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Gouvernement Fakhfakh : les cent jours les plus longs
27/02/2020 | 19:59
5 min
Gouvernement Fakhfakh : les cent jours les plus longs

 

Le gouvernement version Elyes Fakhfakh a obtenu la confiance de l’ARP à la clôture d’une plénière marathonienne de 15 heures. Seulement 129 députés ont décidé de voter en faveur de ce gouvernement, le nombre le plus bas en comparaison aux gouvernements Chahed et Essid. Mais cela veut-il dire que ce gouvernement est fragile et qu’il tombera dans quelques mois comme le prédisent certains ? Analyse.

 

C’est aux forceps que ce gouvernement est finalement né. Après des semaines de tractations et de négociations, qualifiées à un moment de bras de fer déclaré, Elyes Fakhfakh est désormais le nouveau chef du gouvernement après avoir obtenu la confiance de 129 députés. Plusieurs élus ont profité de l’occasion, comme cela était prévu, pour s’illustrer et pour faire les paons devant les caméras et devant un gouvernement qui allait passer de toute façon. Les palmes de la bêtise politique, de l’intolérance et de la xénophobie reviennent sans doute aux élus Safi Saïd, qui a déversé son fiel sur les binationaux, et Mohamed Affes qui a présenté un florilège de haine. Il y a eu plusieurs interventions régionalistes réclamant un ministre pour leurs gouvernorats respectifs et des demandes pour que les membres du gouvernement concernés cèdent leurs double nationalités. Mais quelles que soient les envolées qu’aient pu parfois commettre les élus, tout le monde savait, avant même le début de la séance, que le gouvernement proposé par Elyes Fakhfakh allait obtenir la confiance. L’option de passer à des élections anticipées était bien trop dangereuse et les principaux acteurs politiques l’ont vite écartée, en dépit de leurs déclarations.

 

Les débats tournent aujourd’hui autour de la fameuse notion d’assise politique (ceinture en arabe) et les spéculations vont bon train sur la durée de vie de ce gouvernement avec ses 129 députés. Plusieurs observateurs et politiciens affirment que ce gouvernement ne durera que quelques mois avant d’être enterré par Ennahdha qui souhaitera reprendre la main et placer l’un de ses poulains à la tête du gouvernement. Elyes Fakhfakh lui-même n’a pas exclu de procéder à des changements dans sa composition pour y intégrer d’autres partis en vue d’élargir l’assise politique. Il semblerait même qu’il existe un accord tacite entre les différentes parties pour intégrer, à un moment donné, le parti Qalb Tounes dans la composition gouvernementale.

Cependant, l’expérience a montré qu’une assise politique supposée large en fonction du nombre d’élus ayant voté en faveur d’un gouvernement n’est pas synonyme de stabilité ou d’efficacité. Les gouvernements de Youssef Chahed et de Habib Essid, qui avaient obtenu un plus grand nombre de voix, ont éprouvé des difficultés par la suite, souvent créée par les parties qui avaient voté en leur faveur. La corrélation entre nombre d’élus ayant voté la confiance et efficacité gouvernementale ou parlementaire est une légende sur laquelle une grande partie de nos politiciens ont placé leurs discours politiques. C’est ce qu’avoue à demi-mot Rached Gahnnouchi lui-même lors d’une déclaration donnée à la fin de la séance en disant : « la majorité qui a donné sa confiance au gouvernement n’est pas la même que celle qui fera passer les lois ».

 

Il existe un grand problème de légitimité concernant Elyes Fakhfakh et son gouvernement. Le système politique tunisien a exploré, pour la première fois, les travées de l’article 89 de la Constitution et le doute reste de mise sur la source de la légitimité gouvernementale. Vient-elle de la confiance donnée par les parlementaires ou de la désignation effectuée par Kaïs Saïed ? Il s’agit là d’un piège dans lequel se sont débattus les principales forces du pays et Elyes Fakhfakh lui-même a fait les frais de quelques erreurs de communication lors de sa prise de fonction.

Par conséquent, la légitimité réelle du gouvernement d’Elyes Fakhfakh ne peut provenir que de ses réalisations. C’est un projet ambitieux que le chef du gouvernement a exposé devant les parlementaires et devant l’opinion publique. S’il désire obtenir une légitimité incontestable, il devra réaliser ce qu’il a dit et dans les plus brefs délais. Plus M. Fakhfakh réussira dans sa mission, plus il gagnera à son camp l’opinion publique, plus le spectre de son éventuelle éviction du pouvoir s’éloignera. La seule légitimité, la seule immunité à laquelle peut prétendre Elyes Fakhfakh est celle de la réalisation de ce qu’il a exposé.

Pour cela, Elyes Fakhfakh doit aller vite et bien. Le cap symbolique des 100 jours sera important dans cette configuration car c’est dans cette période que le chef du gouvernement aura les coudées franches pour amorcer les différents projets qu’il a évoqué. C’est sur cette période assez courte qu’il devra gagner à son camp l’opinion publique qui reste, à ce jour mitigée à son égard. La longévité du gouvernement Fakhfakh dépendra uniquement de sa propre efficacité.

Toutefois, même dans cette optique, c’est la solidarité gouvernementale qui sera mise à rude épreuve. Le corollaire de cette assise politique est le fait d’avoir un gouvernement idéologiquement hétéroclite. De réelles questions se posent sur la solidité interne de ce gouvernement quand il sera confronté aux vrais problèmes tels que la gestion des entreprises publiques ou encore la résolution de la situation des caisses sociales. Ce sont des problèmes importants dont la solution ou la résolution est hautement politique. Dans son discours d’ouverture, Elyes Fakhfakh a bien pris soin de ne pas fâcher ses partenaires politiques mais surtout ses futurs partenaires sociaux à l’instar de l’Utica et de l’UGTT. Mais il ne pourra pas garder longtemps cette prudence et cette diplomatie puisqu’il faudra qu’il fasse des choix forts pour être efficace. C’est le dilemme qui se pose aujourd’hui à Elyes Fakhfakh.    

 

La situation dans laquelle se trouve notre pays interdit à tout responsable de tergiverser et d’hésiter. Comme l’a rappelé Zied Laâdhari lors de son intervention, il n’existe pas de vent favorable à celui qui ne sait pas où aller. Donc, Elyes Fakhfakh doit tenir son cap tout en maitrisant l’environnement politique qui lui fournit son assise avec les risques de revirement des partis, l’environnement social composé des principales organisations et qui attend ce gouvernement avec des revendications plein les bras et préserver la cohésion interne et la solidarité au sein de sa composition. C’est loin d’être une mince affaire.

 

Marouen Achouri

27/02/2020 | 19:59
5 min
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Commentaires
Houcine
De la Politique.
a posté le 28-02-2020 à 00:06
Toutes les considérations sur ce nouveau gouvernement, ses parrains ou son "créateur", ses soutiens et son assise sont intéressantes.
Intéressantes si l'on reste au niveau du commentaire journalistique dont c'est l'usage de tenter de décrire et décrypter les paysages, les rouages jusqu'à tenter de montrer comment sont construits les choix, prises les décisions avec leurs jeux et enjeux.
Mais, cela reste au niveau de l'écume. Surfe sur les jeux politiciens jusqu à confondre la politique avec le spectacle des luttes autour et pour le pouvoir. Car, dans ce cas de figure la conquête du pouvoir apparait une fin en soi lorsqu'en réalité elle n'est qu'une étape, nécessaire, pour appliquer sa politique. Celle pour quoi l'on s'est battu jusqu'à la prise de pouvoir.
Pour qu'il y ait de la politique, il faut qu'il y ait des possibles multiples. Des alternatives, une alternative, à ce qui se donne comme la seule voie, le seul chemin, l'unique possible.
En Tunisie, et ce depuis 2011, on peut soutenir que la période s'identifie par une absence de la politique, malgré tous les troubles, les mouvements sociaux, les luttes sociétales, les différents et les compromis constitués.
Ce qui définirait le mieux cette période serait le consensus.
Consensus gestionnaire, même si les gestionnaires s'évertuent l'un après l'autre à nous laisser que des ardoises. Consensus pour rester dans le cadre étriqué d'une politique économique libérale prédatrice et inadaptée. Cette politique de l'offre dans un pays largement importateur creuse les déséquilibres tout en même temps qu'elle favorise des monopoles et des fortunes constitués en parasites.
Pour faire bref, on peut observer une presque totale identité de vues sur ces aspects dans toute la classe politique. C'est pourquoi, malgré les différences ou les oppositions sur des questions sociétales, le consensus est là.
C'est, peut être et paradoxalement, ce qui crée cette défiance de plus en plus prononcée à l'égard des politiciens et de leur politique.
Il n'y a pas de politique. Rien que de la gestion. '?vocateur le recours au terme de compétence dont j'ai relevé l'usage inconsistant dans ces pages.
Le pays n'a pas besoin de gestionnaires si l'on admet qu'un pays est autre chose qu'une entreprise. Il lui faut d'abord se donner des perspectives, une direction et rassembler les gens autour et pour leurs choix communs.
Alors, ceux qui gouverneront auront la légitimité. Les gouvernés sauront veiller au respect des engagements.
Puisque seuls des citoyens actifs et lucides sont dignes de citoyenneté.
DHEJ
Oui 100 jours mais...
a posté le 27-02-2020 à 21:57
800 mille salariés de l'?tat à mettre au travail


'?nergie de démarrage en mode triangle ou étoile ?