La CNFCE planche sur la réforme fiscale
La réforme fiscale est l’un des plus importants chantiers lancés par la Tunisie après la révolution. L’objectif premier étant d’atteindre une équité sociale et de permettre au gouvernement de disposer des ressources de ses ambitions. Deux ans après l’entrée en vigueur des premières dispositions de cette réformes, la Chambre nationale des femmes chefs d'entreprises (CNFCE) et la Konrad-Adenauer-Stiftung ont organisé, ce mercredi 29 mars 2017 au siège de l’UTICA, une journée d’étude sous le thème "Réforme fiscale : vers un régime plus simple et plus équitable" pour faire une évaluation de cette réforme et émettre quelques recommandations.
L’objectif de cette rencontre est de parvenir à ce que les participants comprennent mieux les orientations de l’Etat, pour avoir une meilleure visibilité sur les dispositions futures.
Ainsi, et pour présenter les plus importantes dispositions de la réforme fiscale, la directrice générale de la législation fiscale, Sihem Nemsia, est venue en personne présenter le labeur de quelques années. Elle a indiqué que le diagnostic du système fiscal, bien qu’il révèle des points positifs, a aussi démontré ses limites, notamment la complexité des textes et leur éparpillement, la multiplicité des impôts et taxes, un barème d’imposition archaïque et une divergence entre la législation fiscale et comptable. Le diagnostic a, également, prouvé que les phénomènes de fraude et d’évasion fiscales se sont aggravés et que le régime forfaitaire englobe des bénéficiaires n’ayant pas droit.
Ainsi et pour y remédier, Mme Nemsia a précisé que le législateur a choisi d’opérer cette réforme graduellement pour minimiser son coût budgétaire. La réforme a touché plusieurs volets dont la modernisation de l’administration fiscale.
Parmi les changements opérés, la directrice a évoqué la révision du barème fiscal pour une meilleure équité et qui a coûté la bagatelle de 900 millions de dinars de ressources fiscales en moins pour l’Etat, le plafonnement de la déduction des titres de frais personnel, l’augmentation de la prime pour enfants à charge (qui sera insérée dans les prochaines lois de finances), la révision de la plus value (augmentation de certains taux), l’élargissement du champ d’application pour la retenue à la source des jetons de présence, l’imposition des jeux de hasard, la minimisation du poids fiscal sur les associations non-lucratives, la baisse du taux de la retenue à la source et le maintien deux taux de TVA (6% et 18%).
Fatiha Gharbi, chef de l’unité de contrôle national et des enquêtes fiscales, a rappelé que le système fiscal tunisien est un système déclaratif. Les nouvelles prérogatives accordées à l’administration fiscale lui permettent de contraindre les contribuables indisciplinés ou fraudeurs à regagner les rangs, une mesure indispensable pour la survie de l’Etat a-t-elle estimé. Ainsi, le législateur a créé, pour débusquer les mauvais payeurs, la brigade de lutte contre la fraude fiscale et l’a nantie de plusieurs pouvoirs. En contrepartie, le contribuable a eu, selon elle, plusieurs garanties, comme la possibilité de recourir au médiateur fiscal rattaché au ministre des Finances, le droit à l’information préalable, le droit à l’assistance d’un conseil au cours de la procédure et un sursis de paiement le temps du recours judicaire, le recours auprès de la commission de réexamen outre la mise en place de commissions nationale et régionale de conciliation. L’objectif étant, toujours selon Mme Gharbi, l’amélioration du climat de confiance pour une adhésion spontanée du contribuable.

Tawfik Laaribi, membre du bureau exécutif de l’UTICA, a pointé plusieurs problématiques concernant l’application de cette réforme. Il explique que l’allégement du poids fiscal sur les sociétés n’a pas été aussi efficace : il estime qu'au lieu de créer des mécanismes pour contrer l’évasion fiscale, l’administration fiscale a réparti le poids sur l’ensemble des contribuables. Il a dénoncé, aussi, un décalage entre les prérogatives des agents du fisc et les garanties accordées aux sociétés imposées. Il pense que la succession de gouvernements au pouvoir et l’installation des nouveaux venus avec leur nouvelle approche, éloigne la réforme de sa vision d’origine, d’où la complexité des lois.
M. Laaribi a affirmé que la pression fiscale de l’Etat est devenue énorme et qu'elle ne prend plus en compte les principes élémentaires comme la neutralité et l’équité. En outre, bien que les initiateurs de la réforme soutiennent qu’il n’y a pas eu une augmentation d’impôt, les chefs d’entreprise ont remarqué une hausse de l’impôt et une exagération des pénalités, a-t-il noté.
Cyrine Ben Mlouka, membre de l’Ordre des experts comptables de Tunisie, a milité, pour sa part, pour la sécurité fiscale du contribuable, en lui «permettant de prévoir à l’avance le montant de son imposition, compte tenu de sa compréhension de principes et de règles aisément identifiables, et en étant confiant que l’action administrative ne va pas remettre en question ses prédictions». Elle distingue trois catégories de contribuables : les fraudeurs, ceux qui se trompent de bonne foi et les optimisateurs. Si les première et deuxième catégories méritent être sanctionnées, pour elle, la troisième catégorie ne doit pas d’être sanctionnée, n’ayant pas enfreint la loi.
Concernant les garanties pour la sécurité juridique du contribuable, Mme Ben Mlouka a indiqué que l’administration fiscale n’a pas le droit de revérifier la situation fiscale d’un contribuable déjà vérifié. Elle a aussi précisé que les délais de réponse du contribuable ont augmenté alors qu’en parallèle on a institué des délais de réponse pour l’administration fiscale. Parmi les autres nouveautés, la simplification de la suspension d’exécution des arrêtés de taxation d’office et le renforcement de la conciliation entre le contribuable et l’administration fiscale.
Elle recommande, donc, de limiter l’instabilité de la loi fiscale et de militer en faveur de la clarté des textes fiscaux, de réhabiliter la force probante de la comptabilité régulièrement tenue, de limiter la rétroactivité des textes, de poursuivre la modernisation de l’administration fiscale et de renforcer la conciliation entre le contribuable et l’administration fiscale.
Le professeur fiscaliste Habib Ayadi a estimé que ce n’est pas une réforme, mais un ajustement. Pour lui, la société doit être à l’ARP pour changer les choses de l’intérieur, car, selon lui, les députés ne comprennent rien. Il a considéré que le changement a touché les bases communicantes, en allégeant la base et en surchargeant le sommet, le tout sans tenir compte ni de l’inflation ni du temps qui a passé. Pour lui, si on veut réformer la fiscalité, on doit instaurer le respect de la loi, y compris pour l’administration. Il recommande le respect des prescriptions, l’abolition de la rétroactivité et le respect et la protection de l’entreprise. Il faut aussi former des magistrats fiscalistes et il faut que l’administration s’inspire, dans sa modernisation, des autres expériences similaires comme la Suède et le Canada. Il a expliqué que la notion d’impôt a évolué, ce n’est pas une soumission, mais une contribution pour le collectif.
Concernant l’évasion fiscale, Mme Nemsia a martelé que toutes les parties prenantes doivent contribuer à faire intégrer l’économie informelle à celle formelle. Manel Bondi a rappelé que l’infraction fiscale pénale peut être sanctionnée d’une peine pécuniaire avec une peine privative pouvant atteindre les 3 ans de prison.
L’UTICA se dit pour l’accomplissement du devoir fiscal et le soutien de la réforme entreprise. Ceci dit, cela ne doit pas se faire au dépend des sociétés et la fiscalité ne doit pas devenir une épée de Damoclès qui pèse sur leurs têtes, a affirmé Tawfik Laaribi. L’Etat doit s’attaquer aux fraudeurs et, pour y arriver, il doit disposer d'une administration moderne et efficace.
Imen Nouira