Les croyants de mauvaise foi
L’actualité ces derniers jours ne tourne pas seulement autour du gouvernement de Youssef Chahed. Certes, la composition de l’équipe qui succèdera à celle de Habib Essid accapare la scène politique, en cette fin d’été, mais plusieurs Tunisiens, vacances obligent, ont la tête ailleurs.
Si on sort le bout du nez de notre marasme politique et économique actuel, des coupures d’eau à répétition, des crises politiques et autres préoccupations tuniso-tunisiennes, on peut se retrouver dans la polémique, déclenchée ces dernières semaines, autour de l’interdiction du port du burkini sur les plages françaises.
Après l’attentat de Nice, plusieurs mairies du sud de la France ont publié un arrêté interdisant le port du burkini sur les plages. Une décision jugée xénophobe selon certains, ridicule selon d’autres et salutaire selon d’autres encore. C’est que le contexte est particulier…
Le contexte est aussi particulier en Tunisie et la polémique y est tout autant d’actualité. Si sur les plages tunisiennes, les tenues portées par les vacanciers importent peu, retrouvant pêle-mêle, des maillots de bain, des burkinis et autres personnes se baignant totalement habillées, dans les piscines publiques, au contraire, la question se pose de plus en plus. En effet, alors que plusieurs établissements placardent à l’entrée une interdiction claire de se baigner habillé, plusieurs n’en ont que faire et le burkini y est, souvent, plutôt répandu.
Est-ce se soucier du droit des femmes l’été que de leur permettre de s’habiller comme elles le souhaitent ? Ou est-ce au contraire les épauler dans cette tentative de les rabaisser davantage et de les asservir face à un mâle dominant ? La question mérite d’être posée. A mon sens, il est aberrant de penser défendre la liberté des femmes en soutenant leur droit de couvrir leurs corps et en les considérant comme un objet de pêché perpétuel. Mais là est une autre question.
A l’heure où de grands débats sur les libertés sont ouverts en Tunisie chaque jour, où l’on s’interroge sur la place de l’Autre dans la société et son rapport à nous, celle du port du burkini, de plus en plus démocratisé, est aussi d’actualité. Une polémique ridicule pour ceux qui y voient une diabolisation de l’Islam et de tout ce qui s’y rapporte et crient au scandale en dénonçant l’outrage qu’on impose aux sentiments des croyants.
Les vacances sont faites pour se reposer et ne pas se poser de questions. Si l’interdiction du niqab dans les administrations et autres lieux publics peut être compréhensible à bien des égards, n’est-il pas excessif d’obliger certaines femmes à se dévêtir en leur interdisant le burkini dans leur lieu de plaisance ? Ça l’est sans doute, sauf que dans certains lieux, il y a un règlement. Des règles d’hygiène, de bienséance, de décence, d’esthétisme ou autres considérations que certains établissements (et ils sont libres eux aussi) appliquent afin d’obliger les baigneurs à porter les « traditionnels » maillots de bain. Des règles que les baigneuses en burkini n’appliquent que très peu. L’argument derrière : la liberté de culte et le respect des croyances. Un argument gagnant à tous les coups, puisqu’il est généralement placé dans une logique de victimisation et de prétendue oppression. Un argument contre lequel on ne peut rien puisqu’il se base sur une volonté divine et des considérations qui « devraient être sacrées pour le commun des mortels ».
Ceux qui invoquent la religion sont, en effet, les seuls à aspirer à des traitements de faveur. En vertu de cet argument absolu, on interdit la vente d’alcool pendant le ramadan, on ferme bars et rayons des boissons alcoolisées le vendredi et on se tait face au non-respect des règles imposées par les croyants. Autant l’argument de la « laïcité » brandi par certains maires français de droite est outrageusement hypocrite, autant celui de la religion est franchement de mauvaise foi. Souvent, ceux qui brandissent la religion comme argument, appelant à ce que des aménagements soient faits en leur faveur, ne croient pas toujours à la liberté des autres. Si on est libre de porter un burkini, le serait-on autant de se baigner seins nus ? Pour certains, les deux tenues peuvent heurter autant l’une que l’autre.
Interdire le burkini n’est pas une méthode efficace pour libérer les femmes, pour consacrer les libertés, ou encore moins pour combattre le terrorisme, l’argument trop souvent brandi. Une telle oppression risque de produire l’effet inverse et d’alimenter davantage la propagande victimaire en faveur des croyants qui se disent, bien trop souvent, opprimés.
Mais si ces croyants ne respectent pas, eux-mêmes, les règles de bienséance des lieux qui les abritent, ne se transforment-t-ils pas en oppresseurs à leur tour ? Porter un burkini revient à dire aux autres femmes que leur « nudité » vous gêne, qu’elle est indécente, qu’on ne les respecte pas ainsi vêtues. Une gêne dont on se passerait bien sur son lieu de vacances et qui est, elle aussi, tout aussi inefficace et inutile…