
De sources bien informées, nous avons obtenu quelques données relatives à l’Affaire de Kamel Letaïef et les témoins interrogés par le juge d’instruction du 5ème bureau durant ces dernières semaines.
Comme indiqué précédemment, l’affaire a été déclenchée par l’avocat Chérif Jebali qui a fourni au juge une série de listing des appels émis et reçus par Kamel Letaïef, mais aussi une partie des appels reçus ou émis par plusieurs personnalités dont des officiers du ministère de l’Intérieur et d’anciens ministres.
A travers toute l’instruction, le plaignant chercherait à témoigner à charge contre Kamel Letaïef en rassemblant, un peu partout, des éléments qui tendraient à prouver qu’il est influent sur les décisions de l’Etat.
Dans l’un de ses interrogatoires, Me Jebali aurait déclaré que le 9 avril 2012, Kamel Letaïef aurait appelé certains hauts cadres du ministère de l’Intérieur (il aurait donné les noms et les heures d’appel) et se demande pour quelle raison il y avait autant d’appels entre eux et M. Letaïef, précisant que vu les conflits qu’il y avait ce jour-là à l’avenue Habib Bourguiba, les appels téléphoniques auraient dû se limiter entre les responsables de l’Intérieur seulement.
De là, le plaignant fait un raccourci pour évoquer les événements du 14 septembre en citant de nouveau les responsables du ministère de l’Intérieur qui auraient éteint leurs téléphones portables de 13h17 à 15h07 pour l’un et de 13h58 à 15h05 pour l’autre. En bref, on constate qu’un avocat est carrément en train d’espionner des officiers !
Dans un autre interrogatoire, il aurait donné les numéros de plusieurs autres hauts cadres et le nombre de fois où ils ont contacté (en appels émis ou reçus) Kamel Letaïef.
L’avocat aurait mis en doute le bon fonctionnement de certaines brigades qui ne seraient pas, à ses yeux, sérieuses dans leur travail.
Le plaignant aurait évoqué également feu Abdelfattah Amor, ancien président de la Commission anti-corruption et cite le nombre d’appels effectués et reçus entre lui et Kamel Letaïef. Là aussi, il aurait fait des raccourcis pour émettre ses synthèses et interprétations personnelles.
Dans le dossier, figure également le témoignage de l’homme d’affaires tunisien Chafik Jarraya, interrogé par le juge d’instruction en qualité de témoin. On notera au passage que M. Jarraya est (ou était) client de l’avocat Cherif Jebali.
Dans ce témoignage, Chafik Jarraya aurait déclaré que Kamel Letaïef l’aurait contacté pour qu’il mobilise ses troupes en vue d’organiser des sit-in et rassemblements devant l’ANC en guise de soutien à Mustapha Kamel Nabli. Ces contacts auraient eu lieu, selon M. Jarraya, en 2011.
Autre témoignage à charge, celui de cet ancien directeur central du ministère de l’Intérieur. Il aurait déclaré que Kamel Letaïef serait influent et aurait placé plusieurs de ses proches dans de hauts postes au ministère, y compris des ministres.
A entendre cet ancien directeur, Kamel Letaïef serait derrière le limogeage d’un certain nombre d’officiers après le 14-janvier et la nomination d’autres.
Ainsi, ce serait Kamel Letaïef qui serait derrière le limogeage de Rafik Hadj Kacem et la nomination d’Ahmed Friâa (avant la révolution), c’est lui qui serait aussi derrière la nomination de Farhat Rajhi et de Habib Essid (après la révolution). Plusieurs autres noms auraient été cités par cet ancien directeur central.
Face à tant de témoignages accablants, nous avons contacté Kamel Letaïef pour obtenir sa réponse. Il nous a manifesté sa grande surprise de voir ses listings téléphoniques circuler ainsi entre les mains d’un avocat. Concernant les appels téléphoniques avec de hauts gradés du ministère de l’Intérieur ou des ministres et des personnalités de l’Etat, il estime qu’il n’y a aucun mal à cela et que rien d’illégal n’a été commis. Rien n’indique ou ne prouve dans ces appels qu’il y avait un quelconque complot contre la sûreté de l’Etat. En clair, on pourrait conclure à un travail de lobbying ordinaire.
Concernant les appels avec Chafik Jarraya, il dément catégoriquement et rappelle les multiples articles de presse insultants et offensants publiés contre lui dans des journaux financés par cet homme d’affaires. Il relève, surtout, que le témoignage contient une grande incohérence puisque Chafik Jarraya aurait lui-même déclaré que ces appels ont eu lieu en 2011, alors que la polémique liée à Mustapha Kamel Nabli et son maintien à la Banque centrale de Tunisie date de 2012.
Concernant les accusations du directeur central, Kamel Letaïef dément et évoque le règlement de comptes. Selon lui, cet ancien directeur lui aurait demandé d’intervenir pour sa réintégration au ministère de l’Intérieur, ce qui lui était impossible.
Cette affaire serait-elle une tempête dans un verre d’eau ? D’après ceux qui ont vu le dossier (ils sont tenus par le secret professionnel et ne peuvent pas le dévoiler), il y aurait de fortes chances pour que la réponse soit positive, faute d’éléments tangibles et de preuves irréfutables sur un quelconque complot.
La seule chose de tangible que l’on constate est qu’un avocat traine avec des numéros de téléphone et les listings d’appels de hauts cadres de l’Etat et il y a lieu de s’interroger sur la manière dont il a pu se les procurer.

