Les organisations, associations et personnalités nationales et de défense des droits de l'Homme ont signé, le 16 septembre 2024, une « déclaration de solidarité et de soutien aux magistrats tunisiens et condamnation des pratiques du ministère de la justice qui portent atteinte à l'indépendance de la justice ».
Ayant pris connaissance du communiqué de l'Association des magistrats tunisiens publié le 9 septembre 2024 sous le titre « Le ministère de la Justice s'approprie pleinement les pouvoirs du Conseil de la magistrature judiciaire et franchit toutes les lignes rouges dans la domination du pouvoir judiciaire ».
Ayant examiné la situation du pouvoir judiciaire tunisien après la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature le 12 février 2022, la révocation de 57 juges le 1er juin 2022, le refus d'exécuter les décisions judiciaires rendues par le tribunal administratif en faveur de 49 d'entre eux, le gel de l'activité du Conseil provisoire de la magistrature judiciaire en créant une vacance dans sa composition et en ne comblant pas délibérément cette vacance pendant près d'une année, ce qui l'a empêché de se réunir faute de quorum, et le ministère de la Justice exploitant cette situation qu'il a provoquée pour étendre son contrôle sur les parcours professionnels des juges et les contrôler directement par des transferts, des promotions et des nominations via des notes de service directement émises par la ministre de la Justice et en dehors de tout cadre juridique l'autorisant à le faire.
Ayant constaté que le recours aux notes de service, tout au long de l'année judiciaire 2023-2024, a été fréquent et intensif et visé plusieurs juges des trois rangs dans le contexte de leur travail sur des dossiers liés aux militants politiques et des droits de l'Homme et aux infractions électorales impliquant des candidats aux prochaines élections présidentielles et les jugements qu'ils ont prononcés et les décisions qu'ils ont prises à cet égard.
Les signataires condamnent fermement l'usurpation totale par le ministère de la Justice et l'autorité exécutive des pouvoirs du Conseil provisoire de la magistrature afin de gérer et de contrôler unilatéralement la carrière des juges et de contrôler leurs jugements et leurs décisions judiciaires dans les dossiers qui leur sont confiés.
Ils refusent l'état de vide institutionnel imposé par le pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire en provoquant délibérément une vacance dans la composition de son conseil provisoire et en gelant ses travaux pour permettre au ministère de la Justice de s'emparer et de contrôler ses pouvoirs et de les mettre au service des buts et objectifs du pouvoir politique.
Les signataires déclarent leur rejet absolu de la gestion directe de la carrière des juges par le pouvoir exécutif et le ministère de la Justice, qui est totalement contraire à la Constitution, aux textes juridiques applicables et aux normes internationales en matière d'indépendance du pouvoir judiciaire, et demandent qu'il soit mis fin d'urgence à cette situation sans précédent.
Ils expriment leur entière solidarité avec tous les juges qui ont été touchés par des mesures arbitraires et punitives des autorités dans l'exercice de leur devoir d'appliquer correctement la loi et de jouer leur rôle dans la protection des droits et des libertés, et les appellent à continuer à défendre leur impartialité et l'indépendance de leurs jugements et de leurs décisions afin de protéger l'État de droit et l'intégrité du pouvoir judiciaire.
Les signataires appellent tous les juges à prendre leurs distances par rapport à toute tentative de les instrumentaliser pour porter atteinte aux droits et aux libertés et pour opprimer les voix libres.
Ils les invitent notamment à se rappeler la responsabilité du serment qu'ils ont prêté d'exercer leurs fonctions avec impartialité et intégrité, saluant tous les juges qui restent fidèles aux valeurs d'un pouvoir judiciaire indépendant, à l'État de droit, à la défense des droits et des libertés et aux valeurs de la démocratie, malgré les pressions qu'ils endurent.
Parmi les signataires on retrouve l’Association des magistrats tunisiens, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, l’Association tunisienne des femmes démocrates, l’Association tunisienne pour la défense des libertés individuelles, Mourakiboun, EuroMed Rights, Amnesty International Tunisie et l’Organisation mondiale contre la torture.
M.B.Z (d’après communiqué)