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Contenu audiovisuel : Pour laminer le secteur formel, on taille des « notes » sur-mesure !
23/10/2020 | 20:59
7 min
Contenu audiovisuel : Pour laminer le secteur formel, on taille des « notes » sur-mesure !

 

Depuis la révolution de 2011, de nombreux secteurs sont en difficulté en Tunisie. Avec la crise politique et le relâchement de l’Etat, l’économie formelle a été laminée au profit d’une autre, parallèle, qui se porte aujourd’hui mieux que jamais. De nombreuses sociétés opérant dans des domaines divers et variés souffrent aujourd’hui d’une concurrence illégale et déloyale qui les oblige parfois à mettre la clé sous la porte. C’est le cas notamment des sociétés de production de contenu audiovisuel destiné à l’export, qui peinent aujourd’hui à survivre et qui, en plus, sont accablées par des mesures fiscales qu’on semble avoir taillé sur mesure pour les saper.

 

Les sociétés tunisiennes de production de contenu audiovisuel destiné aux chaînes étrangères ne sont pas très nombreuses et le peu qui existent peine à joindre les deux bouts. Les propriétaires de ces sociétés dénoncent un marché miné par des concurrents étrangers venus s’installer en Tunisie en toute illégalité se disant les représentants de chaînes étrangères alors qu’ils vendent leur contenu à de nombreuses autres.

 

Ces sociétés, qui ne payent ni impôts, ni redevances, pullulent dans le pays sans être inquiétées et cassent les prix au point de pousser les boites légales à jeter l’éponge. « Pire encore, ces sociétés facturent leurs services à l’étranger et encaissent leur argent sur des comptes qui se trouvent dans leur pays d’origine. En gros ils ne payent pas de taxes ici et ne font bénéficier la Tunisie d’aucune rentrée d’argent, vu que leurs transactions se passent à l’étranger, ce qui n’est pas notre cas », nous a confié le journaliste Maher Abderrahmane, le fondateur de Afro Med News.

 

Maher Abderrahmane, déjà victime de ces « champignons » qui ont profité de tout un système pour s’installer en Tunisie sans le moindre cadre légal, se voit aujourd’hui accablé par une procédure fiscale qui a débuté quand il a demandé à ce que sa société, totalement exportatrice, soit exonérée de TVA, comme le dit la loi.

L’affaire a débuté en 2013, quand Afro Med News, qui rappelons-le, produit des reportages qu’elle fournit à des chaînes étrangères, a fait une demande de suspension de TVA. La société s’est vu refuser un « avantage » auquel elle a pourtant droit.

En effet, selon la loi n° 91-98 du 31 décembre 1991, portant loi de finances pour la gestion 1992, la liste des opérations exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée comprend la production des films cinématographiques et télévisés impressionnés sur bandes cinématographiques ou sur bandes vidéophoniques et destinés à la projection au public ou à la diffusion télévisée.

Selon le Décret 3961 de 2008 sur les activités de production et d'industries culturelles, la société Afro Med News se place dans l’activité de « photographe, reportage vidéo et d'enregistrement et développement des films ». Elle est donc automatiquement exonérée de TVA.

La direction centrale des avantages fiscaux a donc refusé d’accorder cette suspension à Afro Med News sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’une société exportatrice alors que la totalité du contenu vendu par cette société est destiné à l’étranger, que ses factures en attestent et que ses transactions se font en devise.

Le Code d’incitations aux investissements stipule d’ailleurs dans son article 10 que « sont considérées totalement exportatrices les entreprises dont la production est destinée totalement à l’étranger ou celles réalisant des prestations de service à l’étranger ou en Tunisie en vue de leur utilisation à l’étranger ». Ces entreprises ne sont pas soumises au titre de leurs activités en Tunisie au paiement de la TVA comme cité dans l’article 22 : « Les entreprises réalisant des opérations d’exportation bénéficient, durant leur activité de suspension de la taxe sur la valeur ajoutée et du droit de consommation sur les biens, produits et services nécessaires à la réalisation d’opérations d’exportation ».

 

Partant de sa demande à ce qu’un responsable vienne constater son activité et voir qu’il s’agit réellement d’une entreprise exportatrice, Afro Med News a été sujette, en 2016, soit 3 ans après avoir engagé la procédure pour exonération de TVA,  à un contrôle fiscal approfondi qui a eu pour conclusion des ajustements fiscaux lui imposant de payer plus d’un million de dinars d’arriérés en TVA. L’argument qui figure sur le rapport du contrôleur fiscal dit que « les opérations d’exportation concernent la vente de produits à l’étranger, les services rendus en dehors du territoire tunisien, les services réalisés en Tunisie et destinés à une utilisation à l’étranger » et que « partant de cela, l’activité d’Afro Med News qui réalise des reportages vidéos à destination de chaînes étrangères ne répond pas à la notion d’export et est, donc, soumis à l’import sur les sociétés ».

« La loi est claire et notre activité aussi. Tous nos reportages, sans exception, sont diffusés sur des chaînes étrangères qui nous les commandent. Nous ne sommes pas une télévision et nous ne diffusons aucun contenu. Nous vendons du contenu à des chaînes qui les diffusent. Selon les textes de loi, nous sommes une société à 100% exportatrice », nous a précisé Maher Abderrahmane, documents à l’appui.

 

Pour en savoir davantage, nous avons pris contact avec un avocat spécialiste en fiscalité et en droit des sociétés. Son verdict était sans appel. Pour l’avocat, l’activité d’Afro Med News est bien couverte par l’exonération de la TVA et la société ne devrait pas être assujettie à cette taxe.

« Tout ce dossier repose des arguments très contestables et s’appuie sur une note qui n’a aucun socle légal », nous a révélé notre source.

« L’affaire engagée par M. Abderrahmane remonte à 2013, or, en 2015, une note a été éditée par un directeur général des impôts, concernant les sociétés de production et de diffusion de contenu audiovisuel sur des chaînes étrangères. Cette note, qui n’est justifiée par aucune loi, précise que ces sociétés ne peuvent être considérées comme exportatrices et sont donc assujetties à l’impôt sur les sociétés. Dans cette note, il n’existe aucune référence à un quelconque texte de loi, rien qui explique que des sociétés de production, car elles ne diffusent pas, puissent ne pas être considérées comme des sociétés exportatrices, rien qui le démontre », a-t-elle ajouté.

C’est, en effet, cette note, parue en 2015, qui a été à l’origine de la décision d’ajustements fiscaux notés dans le rapport de l’administration fiscale.

 

En épluchant les documents officiels, les échanges entre Afro Med News et l’administration fiscale et en nous référant aux textes de lois, nous n’avons pas pu nous empêcher de constater des incohérences et une confusion qui semble être à l’origine de cet imbroglio. L’activité d’Afro Med News, telle que notée sur le registre du commerce, sur son immatriculation fiscale et auprès de l’API, est décrite comme totalement exportatrice. Elle consiste à produire, enregistrer et développer des reportages qu’elle vend à des chaînes étrangères mais ne diffuse pas elle-même et pourtant, l’administration, martèle son fondateur, persiste à lui octroyer un statut qui n’est pas le sien.

 

L’affaire d’Afro Med News soulève de nombreuses questions. Ce secteur malmené au point de voir des sociétés, pourtant jadis prospères, fermer les unes après les autres, ne semble préoccuper personne. D’habitude très réglementé, il est aujourd’hui en proie au chaos qui caractérise le pays depuis 2011 et se voit régi par une note, que des avocats disent « venue de nulle part » pour finir de l’achever.

Entre-temps, d’autres sociétés, étrangères pour la plupart, ont pignon sur rue sans être concernées par les lois et les décrets et encore moins les notes. Elles n’existent pas sur le fichier et peuvent donc travailler en toute tranquillité. Cet exemple, parmi tant d’autres d’ailleurs, est symptomatique de la défaillance de l’Etat face au secteur informel. Une défaillance doublement préjudiciable car, en plus de miner l’économie du pays, tue à petit feu le secteur qui l’entretient. 

 

Quand il s’agit de sociétés qui opèrent dans le domaine de l’audiovisuel, les retombées d’un tel contexte sont encore plus graves car il s’agit de « l’image » de la Tunisie, qu’on va au final laisser aux mains de sociétés étrangères quand les locales auront été décimées…

 

 

Myriam Ben Zineb

 

 

23/10/2020 | 20:59
7 min
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Commentaires
M.A
A DHEJ
a posté le 06-11-2020 à 12:12
Eclairez nous svp sur ce qui est export.
abc
Je suis étonné !!!!
a posté le 24-10-2020 à 05:22
Je suis étonné qu'à ce jour vous n'ayez pas encore compris que nous sommes dans un ETAT voyou.
L'ETAT fait de son mieux pour excroquer qui il peut, pour remplir les caisses vides, faute de pouvoir appliquer la loi aux autres.
Parfois, et je dirai plutôt souvent, ce sont les mêmes qui d'une part fraudent et d'autre part se font arnaquer par l'ETAT.
Qui est gagnant ? L'ETAT ou le contribuable (Usager) ?
Ce qui est sûr c'est qu'en termes de crédibilité l'ETAT est totalement perdant, notamment en termes d'image de marque.
Et on se pose la question pourquoi personne n'investit !!!!
Ou pourquoi les gens préfèrent investir à l'étranger !!!!
DHEJ
Il y a une nuance...
a posté le 23-10-2020 à 22:02
C'est quoi une opération d'exportation ?


Il ne suffit de dire que je vends pour des étrangers....

Il manque une maille à la chaîne !