
La compensation est un sujet épineux en Tunisie car elle représente une aide substantielle pour les ménages des classes défavorisées mais aussi pour ceux de la classe moyenne. C’est pour cela que toutes les réformes tentées après la révolution ont échoué, la majorité des responsables au pouvoir adoptant des politiques populistes. En 2023, un budget de près neuf milliards de dinars a été alloué à la Caisse générale de compensation. Selon les résultats provisoires de l’exécution du budget de l’État à fin mars 2023, 1,248 milliard de dinars ont été dépensés en compensation. Le hic, c’est que l’État doit en arriéré près d'un milliard de dinars aux bénéficiaires de la compensation (boulangers, meuniers et industriels du secteur laitier, de pâtes et de couscous).
La Tunisie investissait, depuis 1971, dans la Caisse générale de compensation, qui a été créée par la Loi n°26 en date du 29 mai 1970. Neuf familles de produits sont compensés : les céréales et dérivés, le pain, les huiles végétales, le lait demi-écrémé, le sucre, les pâtes et couscous, le café, le thé et le papier pour cahier et livre scolaires. Certains sont directement achetés par l’État comme les céréales, les huiles végétales, le café, le thé, le sucre,… . Pour les autres, il y a des intermédiaires, qui sont depuis la révolution de plus en plus lésés, les arriérés de paiement dépassant souvent les douze mois.
Il faut dire que le budget de la compensation a explosé depuis la révolution passant de 730 millions de dinars en 2010 (1,2% du PIB) à 8.832 millions de dinars pour 2023 (5,4% du PIB), se multipliant par douze fois. En 2022, il s’est situé à 11.999 MD, soit plus de seize fois le budget de compensation en 2010. Entre 2021 et 2022 et à cause des répercussions de la guerre en Ukraine et l’envol des cours des produits de base et du pétrole, le budget de compensation a carrément doublé.
Selon le Budget économique 2023, le budget de compensation devrait baisser de 26,4% en 2023, avec une hausse des transferts sociaux directs, ce qui impactera les dépenses d’intervention qui diminueront de 8%.
En effet, fin 2022, le gouvernement a mis en place une stratégie de réforme de la compensation visant à la supprimer dans son état actuel sur les quatre prochaines années pour la transformer en aides financières directes aux bénéficiaires des familles des classes démunies et moyennes, selon les divers rapports de budget publiés à cette époque. L’objectif étant d’atteindre graduellement les prix réels des denrées, du carburant, du gaz et de l’électricité, pour libérer in fine l’importation des produits pétroliers, tout en conservant le rôle de la Société tunisienne des industries de raffinage dans la sécurisation des approvisionnements et le développement des capacités de stockage.
Le rapport relatif au cadre budgétaire, à l'équilibre financier du budget de l'État et au financement du budget de l’État 2023-2025, spécifie, pour sa part, que le taux de la compensation va diminuer pour se situer à 5,7% de l’ensemble des dépenses budgétaires de 2025 contre 16,4% en 2023, représentant 1,7% du PIB en 2025 contre 5,4% du PIB en 2023. Les transferts directs atteindront, quant à eux, 1,8% du PIB à l’horizon 2025.
Tout cela demeure lettre morte, au vu des multiplies déclarations chef de l’État exprimant son refus total de toucher à ce système et allant à l’encontre du projet de son gouvernement, qui avait pourtant été soumis au Fonds monétaire international.
Pour l'année 2023, le budget de la compensation a été fixé à 8.832 MD : 2.523 MD pour les produits de base, 5.669 MD pour le carburant et 640 MD pour le transport, sachant que toute augmentation d'un dollar dans le prix du baril entraîne une hausse de 141 MD des dépenses (l’hypothèse retenue étant que le prix du baril est de 89 dollars).
Dans le détail et selon le "Budget du citoyen 2023", la compensation des céréales sera située à 1.736 MD, celle de l’huile à 400 MD et celle du lait, des pâtes, du sucre et du papier à 387 MD.
Les résultats provisoires de l’exécution du budget de l’État à fin mars 2023 indiquent que 1.248,5 MD ont été dépensés en compensation pour le premier trimestre 2023 : 42,9 MD pour les produits de bases, 1.038,6 MD pour le carburant et 167 MD pour le transport.
Ainsi, à peine 1,7% du budget de compensation des produits de base ont été déboursés. L’État s’est contenté de payer ses propres structures, étant les bénéficiaires de la compensation de carburant (18,32% du budget alloué déboursé) et de de transport (26,09% du budget alloué déboursé).
Pire, Business News a contacté certains des bénéficiaires de la compensation et il s’avère qu’ils n’ont pas été payés depuis plusieurs mois, pour un montant assez conséquent de près de 900 MD. Tout d’abord, on nous confirme que les industriels du secteur laitier n’ont pas reçu la compensation depuis janvier 2022, soit 18 mois sans comptabiliser le mois de juillet 2023, soit 360 MD d’impayé. Les centrales de collectes de lait (qui payent les agriculteurs) n’ont pas reçu trois trimestres (T3 2002, T4 2022 et T1 2023) soit 80 MD.
Idem pour les boulangers. L’État n’a pas honoré ses dus pendant quatorze mois en comptabilisant le mois de juillet 2023 qui s’élèvent à 262 millions de dinars. 3.317 boulangeries sont concernées. Pour leur part, les meuniers n’ont pas été payés depuis mai 2022 (quatorze mois) pour un montant total de 91 millions de dinars. Les industriels des pâtes alimentaires et couscous n’ont pas été payés, non plus, depuis août 2021 (22 mois) pour un montant de 172,5 MD.
Au total, il y a 965 millions de dinars d’impayés en termes de compensation (plus du 1/9 du montant total dédié à la compensation en 2023).
Bien sûr ces retards ont obligé les professionnels à recourir à l’emprunt pour combler ce manque de trésorerie (alors que le taux directeur a atteint 8%), mais ils ont atteint les limites de leurs capacités. Un des protagonistes ayant voulu garder l’anonymat a affirmé à Business News : « Les charges financières sont devenues un lourd poids pour les entreprises. Je n’ai jamais vu ça en 25 ans de métier ! ».
Le comble et malgré le fait que le Budget économique 2023 affirme que les dépenses de gestion vont augmenter au cours de cette année de 25,7% à cause du payement d’une partie des arriérées de l’État envers ses fournisseurs, plusieurs n’ont toujours pas été payés pendant plusieurs mois. Certains font face à la faillite, car ils ne sont plus capables de payer l’impôt et les charges sociales. Bien sûr, ces sociétés ne peuvent pas payer leurs fournisseurs, ce qui impactera ces derniers et toute la chaîne à cause de la mauvaise gestion de l’État.
Selon nos sources, le montant que doivent l’État et ses entreprises publiques au secteur du BTP est de l’ordre de 600 à 800 MD. Les arriérés de l’État vont de six mois à deux ans. À titre d’exemple, l'Office national de l'assainissement (ONAS) n’a pas payé les entreprises avec lesquelles il travaille depuis mi-2022 pour un montant de 150 millions de dinars d’arriéré.
La caisse de compensation est un fardeau pour les finances publiques. Selon une étude publiée par l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites) préparée par Slaheddine Makhlouf et qui date de mai 2017, elle représente 20,6% de la valeur totale de la consommation alimentaire des ménages défavorisés et a contribué à réduire de plusieurs points le taux de pauvreté dans le pays (15,5% contre 19,1% sans l’intervention de la Caisse Générale de Compensation). Elle représentait à cette époque 7,7% des dépenses des plus démunis contre 1,5% des dépenses des aisés et a permis d'agir favorablement sur le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population, lui permettant ainsi d’accéder à des biens non subventionnés auxquels elle n’aurait pu prétendre sans l’existence de cet instrument. Outre, son impact sur le contrôle de l’inflation.
Cela dit, cette même étude souligne que les ménages aisés bénéficient plus en valeur absolue de la compensation que les ménages démunis (89 dinars par tête et par an contre 68 dinars par tête et par an pour les plus pauvres), les couches aisées dépensant beaucoup plus que les démunis dans l’achat de produits de consommation (5.890 dinars contre 815 dinars pour les plus pauvres à cette époque). Outre le détournement de destination d’une quantité importante des produits compensés au profit des industriels (satisfaction de leur besoin en matières premières : farine, huile), des prestataires de services (hôteliers, restaurateurs) et des contrebandiers (la charge de compensation additionnelle due à la contrebande vers la Libye a été estimée à 120 millions de dinars en 2011).
L’auteur souligne, entre autre, que le système est coûteux, peu efficace et représente une charge difficilement supportable pour le budget de l’État.
Le système de la compensation a été et demeure un véritable casse-tête pour les gouvernants tunisiens : ils sont convaincus de la nécessité de le réformer mais n’ont pas et n’auront pas le courage nécessaire pour le faire, étant une décision extrêmement impopulaire et qui peut provoquer des émeutes comme en 1984. Résultat des courses, la compensation est devenue un fardeau pour les caisses de l’État et une entrave majeure pour le développement et l’investissement. Pire, sa mauvaise gestion est en train d’impacter sévèrement les sociétés privées bénéficières à cause des impayés et arriérés. D’où la nécessité de trouver un compromis pour la réforme de ce système devenu archaïque et anachronique, ne répondant plus aux besoins pour lesquels il a été créé en premier : supporter les familles tunisiennes démunies et de classe moyenne.
Imen NOUIRA


La simple conclusion ? L'Etat en faillite non annoncé
Donc il faut poser la question à KS, que faites vous avec tout le pouvoir que vous vous êtes arrogé.
Comment voulez-vous que ces nouveaux riches (nahdha) ne manifestent pas devant le théâtre municipal devenu leur lieu de refuge, de sinécure et de balade, à Tunis la massacrée et la surpeuplée.