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Comment soutenir Najla Bouden sans aider Kaïs Saïed
15/12/2021 | 11:53
5 min
Comment soutenir Najla Bouden sans aider Kaïs Saïed

 

Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. De même, ce n’est pas à Noureddine Taboubi qu’on apprend à faire de la politique. Surtout quand c’est Kaïs Saïed qui prétend lui donner la leçon.

 

Mardi 14 décembre, le secrétaire général de l’UGTT lance un missile à destination du locataire de Carthage. Un véritable missile, pas comme ceux dont parle tout le temps Kaïs Saïed. Il annonce, depuis la ville de Sfax que le gouvernement a proposé au syndicat un programme économique qui comprend une réduction de 10 % de la masse salariale de la fonction publique, le gel des augmentations salariales pour une période de cinq ans, la levée de la compensation et la cession de quelques entreprises publiques.

 

Cette proposition aurait été formulée samedi dernier, mais Noureddine Taboubi a attendu mardi pour la rendre publique. Pourquoi mardi ? Parce que la veille, Kaïs Saïed a taclé la centrale syndicale et son projet de troisième voie pour le dialogue national. « Ni quatrième, ni cinquième voie, notre seule voie, c’est le peuple », a déclaré Kaïs Saïed dans son long discours rébarbatif du lundi 13 décembre. Il n’en fallait pas plus pour que le secrétaire général dévoile le véritable projet de l’exécutif.

 

Kaïs Saïed qui crie sur tous les toits qu’il est là pour défendre le peuple appauvri est en train, via sa cheffe du gouvernement, de chercher à appliquer l’exact contraire de ce qu’il dit.

On ne peut pas, d’un côté, aider le peuple à améliorer son pouvoir d’achat, alors que de l’autre, on parle de gel des salaires et réduction de la masse salariale.

Par sa déclaration de Sfax, Noureddine Taboubi a dénudé Kaïs Saïed. Le président de la République a toujours dénoncé cette politique droitière recommandée par le FMI et les partenaires de la Tunisie. La seule voie, d’après eux, pour équilibrer le budget et entamer les réformes structurelles d’une Tunisie dont les dépenses, depuis des années, sont bien au-delà des recettes.

Sauf que Saïed n’entendait pas la chose de cette oreille et continuait à vendre au « peuple » son illusion que le pays regorge d’argent, mais que celui-ci a été détourné par les escrocs et les voleurs qui l’ont gouverné. Jusqu’à lundi dernier, il a zappé d’un revers la question économique en réitérant sa promesse que l’argent spolié sera rendu au peuple à travers une loi de réconciliation où les plus grands escrocs développeront des projets dans les zones les plus défavorisées.

 

Pendant que le président de la République proposait du vent au « peuple » avec ses politiques novatrices, sa cheffe du gouvernement était à l’exact opposé, dans le concret, et cherchait des solutions réelles. Quitte à appliquer la même politique que ses prédécesseurs, celle-là même honnie par son président. De toute façon, elle n’a pas le choix et elle espère pouvoir convaincre Kaïs Saïed de la suivre dans sa démarche. Après tout, il a bien accepté, il y a quelques semaines, qu’elle entame les négociations avec le FMI, alors que quelques jours plus tôt le président moquait ouvertement les agences de notation et les politiques inhumaines des organismes financiers internationaux.

 

La solution du gouvernement, dévoilée en toute mauvaise foi, par l’UGTT est l’unique salut de la Tunisie. Moins de trois mois après sa nomination, Najla Bouden a réussi à faire le bon diagnostic.

Alléger de 10% la masse salariale de la fonction publique, privatiser quelques entreprises et réduire les charges de la caisse de compensation, sont des solutions sensées qui peuvent équilibrer le budget sur le court terme. C’est par là, en tout cas, que commence la résolution des problèmes structurels de la Tunisie.

Reste à savoir, maintenant, ce que Najla Bouden entend par la réduction de 10% de la masse salariale. S’agit-il de réduire de 10% les salaires des fonctionnaires, comme l’a annoncé l’agence officielle TAP, ou bien s’agit-il de licencier un certain nombre de telle sorte à ce que la masse salariale soit réduite de 10% ? L’annonce de Taboubi autorise les deux lectures.

 

Ce qu’il faut rappeler, c’est que le nombre de fonctionnaires publics était de 435 mille personnes en 2010 pour une masse salariale de 7,5 milliards de dinars. Cela sans compter les entreprises publiques.

En 2021, ce nombre a augmenté de plus de 50% avec 661 mille fonctionnaires pour une masse salariale qui a presque triplé, estimée à 20,3 milliards de dinars.

En termes plus accessibles, on avait en 2010 435 mille personnes qui touchaient un salaire brut annuel de 17.241 dinars, soit 1436 bruts/mois par fonctionnaires.

En 2021, on a 661 milles personnes qui touchent un salaire brut annuel de 30.711 dinars, soit 2259 bruts/mois par salarié.

Par ses 10% de réduction, Najla Bouden entend gagner quelque deux milliards de dinars. Insuffisants pour boucler le budget, mais inévitables.

 

Reste maintenant à faire passer la pilule, non seulement à l’UGTT, mais aussi au président de la République, si tant est qu’il soit conscient de ce genre de problématiques. La réalité des chiffres est à l’exact opposé des paroles et des actions présidentielles. Najla Bouden se trouve donc dans une position pour le moins inconfortable et il n’est pas du tout exclu que le président de la République se retourne contre elle si elle ose prendre des mesures impopulaires.

Par ailleurs, le calendrier annoncé par Kaïs Saïed implique une année au moins où le pays tournera à vide, avec une économie à l’arrêt et des perspectives sombres. Et puis, le FMI, unique planche de salut financier pour la Tunisie, exige la signature de l’UGTT sur n’importe quel programme de réformes, chose qui sera très difficile à obtenir si ledit plan comprend des réductions de salaire ou une remise en question de la compensation.

La cheffe du gouvernement Najla Bouden se trouve donc dans de beaux draps, entre l’obligation de gérer la situation difficile et un président qui ne cesse d’élever les espérances et d’entretenir l’illusion.

 

Raouf Ben Hédi

 

 

15/12/2021 | 11:53
5 min
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Commentaires
takilas
Bref !
a posté le 16-12-2021 à 03:37
Que faut-il attendre des séquelles causées par nahdha durant dix ans ? Sans parler des connivences et des escroqueries
Et ceci n'est rien, "que 10 %", pour envisager sortir la Tunisie de ce pétrin.
Sahha âabthou kima habou ha nahdha, wa mazzalou yekachkchou fi hnakhoum.
Virtuel
Bon courage
a posté le 15-12-2021 à 18:27
Cette dame a besoin de soutien pour lui permettre de proposer et initier sa strategie de gouvernement en toute independance .
Lol
Ne pas tirer sur l'ambulance
a posté le 15-12-2021 à 18:02
Il fallait arriver à ce chaos pour que quelqu'un commence enfin à lever les tabous et les lignes rouges.
Avec ou sans KS ces réformes vont avoir lieu. Plus on fait vite moins les dégâts, déjà catastrophiques, nous impacterons tous et sans exception.
Le véto sur la loi 38 et les futures décisions difficiles vont probablement mettre à genoux KS mais c'est la bonne chose à faire pour le bien de la nation
Oukelele
Ca y est. On est au fond de l'impasse
a posté le 15-12-2021 à 17:00
C'est en fini de Kaes Saed en tant que Sauveur. Il n'a plus que le choix de la matraque . Et c'est reparti pour un tour
Forza
Najla Bouden et son gouvernement sont illégitimes
a posté le 15-12-2021 à 13:47
.
Vieux Routier
Cherchez le Président
a posté le 15-12-2021 à 12:37
Si Taboubi a raison de dévoiler les stratégies gouvernementales en criant que la situation réelle du pays doit être dite haut et clair au "peuple" et pas dans les bureaux lors de négociations. Cette situation est connue et rappelée par tous les médias de la place.
Si Taboubi aurait du faire le lien entre les propositions au cours de cette réunion et l'affirmation qui lui a été faite de "respecter, dans le cadre de la continuité de l'Etat, tous les engagements pris par les gouvernements précédents". Je suppose qu'il a été poli pour ne pas raviver la blessure.
Madame Bouden et son gouvernement ne peuvent pas inventer d'autres remèdes à une situation déliquescente depuis des années, malgré les avertissements et les alarmes des économistes et des médias. C'est ce qui a été appelé un peu partout "les réformes douloureuses". Plus on tarde à les mettre en '?uvre, plus douloureuses elles seront.
Où le Président dans tout ça ?
(i) il ignore ou feint d'ignorer une réalité économique catastrophique,
(ii) il lance des solutions utopiques et dans tous les cas non pérennes,
(iii) il lance Madame Bouden dans la gueule du loup, seule face à toutes les conséquences de tout ajustement structurel de l'économie, en gardant sa place de spectateur,
(iv) si par miracle, elle réussit, et c'est ce que je souhaite pour ma Patrie, c'est un Président génial qui nous aura sauvé (comme il l'a déjà fait pour la covid-19 ! Sic);
(v) si elle échoue, ce qui est le plus attendu, du moins partiellement, elle aura le même destin que Mechichi, ce que je ne lui souhaite pas.