Les banques publiques en point de mire
Après leur recapitalisation, le sort des banques publiques est-il déjà scellé ?
C’est devant la future élite du pays, les étudiants de l’IPEST (Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques de Tunis), un 14 janvier, que le Chef du gouvernement, Youssef Chahed a annoncé une refonte radicale de la présence de l’Etat dans le secteur bancaire, d’une part et d’une redéfinition des moyens et des missions de l’Etat dans le financement de l’économie, d’autre part. Youssef Chahed voulait esquisser à la future génération de décideurs ce qui configurera l’économie tunisienne dans l’avenir. Au premier chef son secteur bancaire et particulièrement les banques publiques. Cependant, le Chahed n’y alla pas de main morte, lors de cette rencontre. « Tout le monde sait que les banques publiques, censées être le bras financier de l’Etat, sont aujourd’hui incapables de jouer leur rôle. Alors qu’elles sont censées être une des solutions pour sortir le pays de la crise économique, elles sont devenues une des difficultés dont souffre l’économie du pays », a lancé Youssef Chahed, avant d’indiquer qu’ « il faudrait que nous nous interrogions sincèrement sur le besoin pour l’Etat d’avoir 3 banques publiques qui, de surcroît, souffrent de grosses difficultés. Ne serait-il pas plus judicieux d’avoir une grande institution financière publique ayant une grande capacité financière et qui serait apte à concurrencer les banques privées ».
Cependant, ce que le Chef du gouvernement omet de dire, c’est l’énorme responsabilité de l’Etat dans les difficultés que vivent les 3 grandes banques publiques que sont la STB, la BH et la BNA et les autres BTS, BFPME,… Avant 2011, c’est sous la pression de l’Etat qu’elles furent amenées à dispenser inconsidérément des crédits à une oligarchie en constitution. Le volume des créances douteuses n’en sont que la conséquente illustration. Après 2011, ces banques ont été amenées à financer inconsidérément, avec la coupable bienveillance de la Banque centrale de Tunisie, les besoins de financement de l’Etat pour couvrir ses dépenses budgétaires ou pour venir en aide aux entreprises publiques aux abois. C’est en étant d’abord les bras financiers de l’Etat et ensuite seulement de véritables banques, évoluant dans un système concurrentiel, que nos banques publiques se sont retrouvées coincées entre le marteau de l’Etat et l’enclume du marché. Le résultat n’est d’ailleurs pas beau à voir. La recapitalisation a évité à nos banques publiques un irrémédiable dépérissement. Elle n’en a pas garantie pour autant la pérennité. Celle-ci ne peut être assurée qu’à la faveur d’une restructuration bien pensée qui fixe dès le départ les choix et les objectifs stratégiques. Or, c’est à ce niveau que l’Etat semble tâtonner ou plutôt tergiverser. Certes le principe est acquis d’un désengagement de l’Etat des banques dans lesquelles il détient une participation minoritaire. Mais il n’est pas affirmé pour les banques mixtes.
Certes, samedi dernier, Youssef Chahed a parlé d’une grande institution financière publique. Mais il ne fournira pas plus de détail.
La fusion constituerait-elle la solution idoine ? Il conviendrait d’y prendre garde, à tout le moins d’être prudent. Les expériences passées de fusion bancaire ont généré plus de problèmes que de solutions. La STB et la BNA souffrent aujourd’hui encore des conséquences de la fusion-absorption de la BNDT et de la BDET d’une part et de la BNDA d’autre part. Une proportion significative des créances accrochées de ces deux établissements de crédits résulte de ces fusions-absorption. D’autre part, la fusion pourrait générer un mastodonte qui serait susceptible de provoquer une distorsion du marché ou tout au moins faire naître le risque d’abus d’une position dominante.
A défaut de fusion, quelle serait alors l’alternative ? En 2012, lors du lancement du « full audit » des trois banques publiques, STB, BH et BNA, les autorités tunisiennes ont commandé une étude sur « les orientations stratégiques et le modèle cible d’intervention publique dans le financement de l’économie ». Dans ses conclusions, l’étude recommande d’une part d’assainir et de relancer les 3 banques publiques, c'est-à-dire de les laisser voler de leurs propres ailes et d’autre part de mettre en place un pôle public de financement dont la gestion serait dévolue à la Caisse de dépôt et consignation (CDC) qui aurait sous son aile la BFPME, les Sicars publiques régionales et la Sotugar qui cibleraient le financement des PME. La CDC aurait sous sa tutelle la BTS pour ce qui concerne le méso et le microcrédit. Et ce n’est pas tout, puisque la CDC aurait aussi pour mission de participer au financement des grands projets d’infrastructure, les secteurs d’activité prioritaire et le logement social.
Serait-ce ce scénario qui aurait la préférence de l’actuel gouvernement ? En tout cas, c’est un véritable chantier dans lequel il s’engage. D’autant qu’il ne concerne pas seulement la dimension économique et financière, mais il intègre aussi une dimension sociale. Autrement dit, l’UGTT serait toujours à l’affût. Wait and See.