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Chroniques
Avec leur immunité, ils font la loi !
04/04/2016 | 15:59
6 min

 

C’est un fait divers à la fois d’une extrême banalité et d’une extrême gravité. Un député d’âge mûr (62 ans) gare n’importe où sa voiture et constate sa saisie par la fourrière municipale. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Le député règle son amende et reprend son véhicule tête baissée, mû par la honte d’avoir violé la réglementation. C’est ce qui se serait passé si la Tunisie était un pays développé avec des citoyens civilisés. Les choses se sont passées autrement et cela n’étonne qu’à moitié, puisque nous sommes habitués aux passe-droits.

 

Comment donc les agents municipaux osent-ils lever un véhicule appartenant à un député, aussi mal garé soit-il ? C’est un crime de lèse-majesté ! L’acte n’est d’ailleurs pas anodin, il est à la portée de tout un chacun de constater des voitures mal garées dans les différentes artères du pays avec, à l’intérieur, un macaron de « police », de « magistrat », d’ « avocat » ou de « journaliste » ou encore une plaque d’immatriculation diplomatique ou d’un ministère de souveraineté. C’est tout un état d’esprit qui habite un bon nombre de membres de ces corporations à se sentir au dessus des lois et à s’autoriser de « petits » dépassements qui, à leurs yeux, n’en sont pas.

 

Le problème n’est pas dans le fait que les membres de ces corporations s’autorisent ces petits dépassements, mais dans le fait que ceux-ci soient tolérés par les agents municipaux. Motif : Intimidés par les badges professionnels ou les plaques d’immatriculation, les agents évitent les … « problèmes ». Et c’est là tout le problème ! Aujourd’hui, faire correctement son travail devient un problème. Inévitablement, et à ce rythme, les choses ne peuvent qu’empirer quand on constate, au fil des jours, que les fonctionnaires (parfois de hauts cadres de l’Etat) se laissent intimider par certains représentants de corporations et certains hommes politiques.

 

L’état d’esprit de Mustapha Ben Ahmed n’est pas isolé, il reflète une culture générale dans ce pays. Dimanche 3 avril, ce député gare sa voiture dans un stationnement interdit. La grue municipale la transporte à la fourrière. Le député aurait piqué une crise de nerfs, refusé de payer l’amende et insulté les agents en les traitant de racketteurs. Pire, le sexagénaire se serait targué de son immunité parlementaire qui le placerait, à ses yeux, au dessus de la loi.

Mal lui en a pris, Mustapha Ben Ahmed est tombé dans une « mauvaise » mairie. A Sidi Bou Saïd, le président de la délégation Raouf Dakhlaoui, n’est pas du type à se laisser intimider. Il prend la défense de ses agents et alerte l’opinion publique en la prenant à témoin.

 

Au-delà du fait divers et de la véracité des faits, c’est cette intimidation (ou tentative d’intimidation supposée) qui pose problème. Il ne serait pas exagéré aujourd’hui de dire que le cas de Raouf Dakhlaoui est devenu extrêmement rare. Un représentant de l’autorité publique qui refuse de se laisser intimider par un représentant d’une corporation ou par un homme politique n’est plus courant. Et cela ne s’arrête pas uniquement à une banale question (quoiqu’elle ne soit pas aussi banale que cela) de fourrière municipale et d’amende, elle atteint les plus hautes sphères de la justice. « Qui vole un œuf vole un bœuf », affirme le dicton. Par analogie, on peut dire que celui qui refuse de payer une infraction refuse de payer pour un crime.

 

Combien d’affaires, théoriquement pendantes devant la justice, ont été étouffées parce que les suspects font partie de la haute sphère politique, syndicale, médiatique ou juridique ? La liste est longue. Cela va de ce candidat à la présidentielle qui a bénéficié du soutien financier de deux pays (voir notre article à ce sujet) jusqu’aux scandales de Salim Ben Hamidène, Rafik Abdessalem, Sihem Ben Sedrine et Ali Laârayedh.

La semaine dernière, l’ancien conseiller à la présidence Aziz Krichen, a publié un ouvrage de 430 pages dans lesquelles il relate une série de graves faits impliquant l’ancien président Moncef Marzouki et des membres de son cabinet, sans pour autant que la moindre instruction judiciaire ne soit ouverte. Pourquoi donc ? Parce qu’il y a une forme d’intimidation exercée par certaines corporations (professionnelles ou syndicales) et certaines « personnalités » sur les magistrats et sur les hauts fonctionnaires pour que la loi ne soit pas la même pour tout le monde !

 

Cette discrimination dans les faits trouve tout un fondement dans la législation avec le concept d’immunité dont bénéficient certaines corporations, à commencer par les membres de l’ARP.

Cette disposition du statut des parlementaires a pour objet de les protéger, dans le cadre de leurs fonctions, des mesures d'intimidation venant du pouvoir politique ou des pouvoirs privés et de garantir leur indépendance.

C’est grâce à cette disposition tout à fait légale (mais qui est loin d’être exercée dans tous les pays) que certains députés se croient intouchables et au dessus des lois. Toutes les lois, y compris les simples réglementations municipales. Or ces députés feignent d’oublier que leur irresponsabilité (ce qu’on appelle immunité de fond) ne les protège que contre les poursuites pour des actions accomplies dans l’exercice de leur mandat et de leur fonction. Pour toutes les activités extra-parlementaires, les députés (et tous ceux qui bénéficient d’une quelconque immunité) peuvent être poursuivis et des mesures coercitives peuvent être prises à leur encontre.

 

Non seulement, les députés feignent d’oublier cette disposition, mais en plus ils essaient de tromper leurs vis-à-vis (les représentants de l’autorité publique) en leur faisant croire qu’ils sont intouchables. Avant Mustapha Ben Ahmed, il y a eu Samia Abbou ou encore, tout récemment Ahmed Laâmari, ce député d’Ennahdha dont le nom a été cité dans l’affaire de terrorisme de Ben Guerdène. Non seulement, le monsieur s’est avéré intouchable, non seulement  il a menti en public en déclarant qu’il n’a jamais été arrêté, mais il a pu obtenir en plus  la protection du ministre de la Défense en personne !

 

Cette disposition d’immunité parlementaire, inspirée de la législation française, existe dans plusieurs pays arabes et sous-développés, mais elle ne trouve pas de place dans les pays anglo-saxons.

Dans la logique des pays anglo-saxons, la protection de l’individu va de soi, qu’il soit parlementaire ou non. En clair, et comme on le lit dans les manuels spécialisés de ces pays, les institutions judiciaires de droit commun suffisent à prévenir et à réprimer les poursuites, les arrestations et les détentions illégales et arbitraires.

En principe, il n’y a donc aucune utilité pour qu’un parlementaire bénéficie d’une législation protectrice spéciale.

En pratique, on constate que cette législation protectrice devient malsaine puisqu’elle ouvre la voie aux abus (le cas de Mustapha Ben Ahmed), qu’elle permet d’échapper à la justice (le cas de Samia Abbou) ou encore qu’elle devient dangereuse (le cas de Ahmed Laâmari).

 

04/04/2016 | 15:59
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Commentaires (42)

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salem
| 05-04-2017 09:27
N'importe quel tunisien condamnerait la pratique du passe-droit lorsqu'il s'agit de quelqu'un d'autre, mais pas de lui-même.Il lui arrive souvent devant la pratique nationale de l'infraction - à titre de citoyen- de s'en offusquer,de s'indigner jusqu'à disserter et pérorer longtemps sur la nuisance de ces pratiques sur ce qu'on appelle un état de droit, sans oublier de fustiger avec force les coupables qui empêchent le pays de tourner rond.La même personne une fois impliquée dans un délit analogue, parfois quelques heures si ce n'est quelques minutes après, fait un saut périlleux pour oublier sans aucune gêne tout ce qu'il avançait sur la nécessité de se comporter en citoyen responsable et conséquent . Ce qui m'étonne le plus,c'est que ce passage semble se faire d'une façon si naturelle, si évidente et sans états d'âme, comme s'il s'agissait d'un droit incontesté et incontestable. Faut-il mentionner aussi que cette mentalité est largement répandue et partagée par l'ensemble des tunisiens de quelque condition qu'ils soient, et qu'elle semble vouloir perdurer encore pour longtemps.

magra
| 15-10-2016 10:10
BN vous avez beau vous époumonner pour pourfendre les dénis de justice d'un coté et de l'autre l'incivisme et l'irresponsabilité qui sont devenus la chose la mieux partagée dans notre pays.
Votre engagement citoyen ne pourra malheureusement pas contrer la déchéance des valeurs dans notre pays.
Croyez en mon expérience , les médias et surtout certains soit disant chroniqueurs radios et tv se présentant comme les "longs couteaux" gardiens de la liberté souvent dévergondée de la presse ,sont pour beaucoup dans la déliquescence de l'Etat et des dérives citoyennes!

Houda
| 06-04-2016 00:07
Cher M. Si on trouve parmi les membres du gvt de mauvais exemples: ............... on ne s etonne pas des conduites des deputés ou autres possesseurs de pouvoir... , pourquoi tous concourent vers le pouvoir? Vs croyez pour travailler l interet du pays et du peuple! Le croire est une debilité!!!!!

hamdouch
| 05-04-2016 23:53
Les peuples ont les gouvernants qu' ils méritent. Donc pourquoi s étonner Normal!?

Olfetta
| 05-04-2016 15:09
Le comble c'est qu'au moment de l'infraction, notre député était absent à la réunion du parlement en plus il est payé.
Dans un pays qui se respecte ce misérable doit à l'Etat 100 dinars pour l'absence et 60 dinars pour l'infraction.
Notre budget est pénalisé doublement.

manou
| 05-04-2016 14:41
On a tout vu et tout entendu, les parlementaires doivent être un exemple, mais au contraire ils montrent l'exemple de la corruption, des dépassements, des débordements et de hors la lois... et on se demande d'où vient tout se grabuge, d'où vient le terrorisme ??? On doit pas chercher très loin, l'exemple de la de ce député suffit laaaaargement.

Sam
| 05-04-2016 13:34
Au nom de la démocratie on bafou tous

Bouglagem
| 05-04-2016 13:18
C'est déespérant de voir encore ce
genre de pratique .Ces députés sont sensés donner l'exemple et non se comporter comme des voyous .
Malheureusement pour notre pays certainS
se croient au dessus des lois or
ca serait bien de leur bourrer le crane
et leur dire personne n'est au dessus des lois
L'ère de dire aux gens vous ne savez qui je suis ou
j'ai des relations est fini
Vous avez des comptes à rendre au peuple TUNISIEN si vous n'êtes pas
capables de respecter les lois de votre
pays veillez dégager de l'assemblée
et changer de métier
Monsieu le président de l'assemblée nationale faites une enquête sur tous
les débordements il y va de de la
crédibilité de votre assemmblée

patriote
| 05-04-2016 12:48
je vous disais que le mieux aurait été à ce que les militaires prennent le pouvoir momentanément

kevinmatrixx
| 05-04-2016 12:48
Tout à fait d'accord avec la totalité du contenu de cet article avec une seule exception relative aux voitures avec des plaques d'immatriculation diplomatique. Ces voitures et leurs propriétaires/conducteurs jouissent de l'immunité diplomatique/consulaire. En cas d'infraction, les agents concernés doivent alerter leur hiérarchie qui doit pour sa part avertir le ministère des affaires etrangères qui fera le nécessaire (avertir ou "attirer l'attention" de l'ambassade du pays auquel appartient la voiture en question et l'inviter à mieux respecter la réglementation tunisienne en vigueur). Remorquer ce type de voiture est une simple perte de temps et d'argent vu que les diplomates (ainsi que leurs voitures) sont exonérés de payer les amendes (et les taxes en général) et ce, en application des dispositions des conventions de vienne sur les relations diplomatiques et consulaires (1961 et 1963). Toute voiture de ce type levée par les agents municipaux, devra être incessamment et ipso facto remise à son propriétaire sans payer un seul millime. Autrement on peut même risquer l'incident diplomatique Eh oui...c'est la loi!