Le cadeau empoisonné des terroristes
Des personnalités politiques, médiatiques et syndicales sont visées par une opération terroriste. Il s’agit d’une attaque au courrier empoisonné. Avec ce mode opératoire inhabituel en Tunisie, les terroristes changent de fusil d’épaule. Une affaire étrange, certes, mais fortement préoccupante.
« L’affaire est inédite et préoccupante », a avoué le ministre de l’Intérieur Hichem Fourati aujourd’hui dans une déclaration aux médias. Voilà qui est clair, d’autant plus que le porte-parole du ministère parle d’une « opération importante ».
« Il s’agit d’un changement de mode opératoire » a expliqué le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Sofiene Zaâg, ce vendredi 1er mars 2019, sur Mosaïque Fm. « Nous sommes en guerre permanente contre le terrorisme et ces groupes innovent dans leur mode opératoire », a-t-il ajouté.
Si le ministère de l’Intérieur reste prudent en préférant divulguer un minimum d’informations pour ne pas compromettre l’enquête, il en explique les grandes lignes. Ce que l’on sait pour l’instant est qu’il s’agit d’une opération sécuritaire anticipative de grande ampleur. Les agents des services de la Direction générale de la sûreté nationale en collaboration avec le ministère public près du pôle judiciaire antiterroriste sont parvenus à saisir 19 lettres empoisonnées. Les lettres ont été saisies à la poste avant de parvenir aux destinataires visés.
Après expertise scientifique, il s’est avéré que ces lettres contenaient une substance mortelle par simple contact. De l’Anthrax, selon des sources sécuritaires bien informées. En coordination avec le pole de lute antiterroriste, une enquête a été ouverte afin de connaitre toute la vérité sur cette affaire ainsi que les parties qui se cachent derrière et de prendre les mesures nécessaires.
Pour l’instant, la liste des personnalités politiques visées par ces envois est encore confidentielle. Business News a réussi à obtenir celle des journalistes et personnalités médiatiques ciblées, parmi lesquelles figurent plusieurs journalistes et chroniqueurs des chaînes TV Attessia et El Hiwar Ettounsi, ainsi que de la radio Shems FM, à savoir Mohamed Boughalleb, Naoufel Ouertani, Hamza Belloumi, Maya Ksouri, Lotfi Laâmari et Mokhtar Khalfaoui ou encore le président du Syndicat national des journalistes, Néji Bghouri.
On retrouve également dans la liste, la magistrate Raoudha Laâbidi, ainsi que les syndicalistes Noureddine Taboubi, Bouali Mbarki et Sami Tahri. Le seul lien direct entre ces personnalités est leur soutien à la fermeture de l’école coranique de Regueb, une affaire révélée lors de l’émission de Hamza Belloumi sur El Hiwar Ettounsi et qui a suscité le soutien de plusieurs personnalités publiques qui ont dénoncé l’existence de cette école et dénoncé les conditions déplorables dans lesquelles vivaient les enfants qui la fréquentaient. Une thèse défendue par l’une des personnalités visées par l’attaque aux lettres empoisonnées.
Le porte-parole du ministère de l’Intérieur a mis en garde les personnalités nationales en Tunisie contre toute correspondance suspecte et d’en informer les services compétents avant d’ouvrir un courrier qu’on n’attendrait pas, puisque d’autres lettres pourraient avoir été envoyées. Par ailleurs, la sécurité autour des locaux de certaines entreprises de presse a été renforcée, ces dernières 48 heures, suite à des informations faisant état de nouvelles attaques.
En 2015, les journaux dont Hakaek Online, Akher Khabar et Business News ont été directement visés par des menaces terroristes formulées par l’organisation Daech. La menace a été faite le 30 août 2015 sur Twitter et les journaux menacés ont été qualifiés de « bras médiatique indirect qui diffuse des mensonges et des rumeurs » mais aussi d’« ennemis d’Allah ».
L’affaire des lettres empoisonnées rappelle le tristement célèbre scandale de l’Anthrax qui avait fait 5 morts aux Etats-Unis. En 2001, une semaine exactement après l’attentat du 11 septembre, des lettres empoisonnées ont été destinées à plusieurs personnalités politiques notamment au Capitole. Contenant le bacille de la maladie du charbon, elles avaient fait cinq morts, dont deux employés de Washington.
18 ans après, il semblerait que les terroristes tunisiens se soient inspirés de cette affaire qui avait martyrisé les Etats-Unis à l’époque et dont d’autres, similaires ont suivi les années d’après. Si l’attaque a pu être déjouée à temps en Tunisie et qu’aucune victime n’a été déplorée, la vigilance reste de mise.
« La situation sécuritaire est stable mais le seuil de menace est élevé et la préparation sécuritaire est au point et ce, depuis des mois » estime Hichem Fourati qui a ajouté aujourd’hui, que « l’avortement de cette affaire a évité au pays une véritable catastrophe ».
« Cette opération a montré, de nouveau, que les forces de sécurité tunisiennes ont prouvé leur grande préparation et leur sérieux et que la Tunisie a réussi à vaincre le terrorisme », avait conclu Youssef Chahed sur l’affaire aujourd’hui. Il est certes encore trop tôt pour tenir une telle conclusion…
Synda TAJINE