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Tribunes
Tunisie - Italie, l’heure de vérité
17/04/2024 | 19:51
6 min
Tunisie - Italie, l’heure de vérité

 

Par Ghazi Ben Ahmed*

 

La visite de la Première ministre Giorgia Meloni à Tunis ce mercredi 17 avril n’augurait rien de bon. C’était sa quatrième visite à Tunis et si on ajoute les deux déplacements de Kais Saied à Rome, c’était la sixième rencontre de ce tandem depuis leur pacte faustien.

La Première ministre italienne est venue à Tunis avec deux de ses ministres, dont son ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi pour remettre sur les rails l’accord migratoire et stopper l’arrivée des migrants à Lampedusa afin de prouver à ses électeurs et à ses détracteurs que son accord fonctionne. De son côté, Kais Saied est au pied du mur car toute sa construction souverainiste/électoraliste risque de s’effondrer : approuver les diktats de Meloni, lui servir de garde-côtes, accepter le retour des migrants ayant transité par la Tunisie et les déporter dans le désert du sud tunisien dans le camp de Bir Al Fatnassya[1] serait en porte à faux par rapport à ce qu’il a toujours affirmé que la Tunisie « n’avait pas vocation à être le garde-frontière de l’Europe ni une terre de réinstallation pour les migrants rejetés ailleurs[2] », et un désaveu pour sa rhétorique souverainiste à quelques mois des élections présidentielles en Tunisie (si elles auront bien lieu).

 

La Tunisie, garde-frontière de l’Europe

La Tunisie, de par sa position stratégique en bordure de la Méditerranée, se trouve au cœur de la crise migratoire qui touche toute l'Europe, en particulier l'Italie. La proximité des côtes tunisiennes avec l'île italienne de Lampedusa a transformé les villes côtières telles que Sfax en points de transit cruciaux pour les migrants désireux de rejoindre l'Europe. Les embarcations précaires, souvent surchargées et dangereuses, partent régulièrement des plages tunisiennes, donnant lieu à une série incessante de tragédies humaines et de crises humanitaires en mer.

Face à la pression croissante de la crise migratoire, et à la veille d’élections européennes cruciales pour la première ministre italienne, un pacte faustien a été conclu entre Giorgia Meloni et Kais Saied, visant à empêcher les migrants de quitter les côtes tunisiennes pour l'Italie en échange d’aide financière européenne. Ainsi, les fonds européens ont été déviés de leur objectif premier qui est de stabiliser l'économie tunisienne en mettant en œuvre les réformes économiques nécessaires au profit d’une enveloppe migration opaque qui ne s'attaque pas aux causes profondes de la migration.

Ce pacte, sensé servir les intérêts italiens en réduisant le flux de migrants vers ses côtes, impose à la Tunisie un rôle de gardien des frontières de l'Europe, une position souvent critiquée tant localement qu'internationalement. La collaboration, tout en apportant un soutien économique nécessaire, soulève des questions sur la souveraineté de la Tunisie et l’éthique des pratiques européennes en matière de gestion migratoire.

 

Créer l’illusion

Dans le cadre des négociations sur la migration, Giorgia Meloni et Kais Saied ont opté pour la signature d'un Mémorandum d'Entente délibérément vague, cherchant à masquer les détails spécifiques de sa mise en œuvre. Cette opacité était stratégiquement voulue ; Kais Saied préférait éviter une compréhension claire de l'accord, notamment le fait que la Tunisie recevrait des compensations financières pour endosser le rôle de gardien des frontières européennes et pour accepter les migrants refoulés par l'Italie. D'une part, cet arrangement permettait à Saied de minimiser les critiques internes, évitant ainsi d’écorner la souveraineté de la Tunisie. D'autre part, Meloni cherchait à acheter du temps et à nourrir l'illusion qu'elle pouvait résoudre la crise migratoire, un point clé de son agenda politique. Cette illusion avait également séduit la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui envisageait d'utiliser cet accord comme modèle pour de futurs accords avec d'autres pays de la région, renforçant ainsi la périphérie européenne comme un rempart contre l'immigration illégale.

Ainsi Giorgia Meloni et Kais Saied jouent un jeu de dupe. Aucun des deux ne peut vraiment résoudre la crise migratoire. Car pour cela il faudrait d’abord stabiliser l’économie tunisienne et pour ce faire ni l’Italie a le temps et la capacité de le faire, ni la Tunisie a la vision et l’aptitude pour le faire. Alors, on se contente d’un Statu Quo dans lequel on essaye d’obtenir des miettes de l’UE, à coups de migrants ballotés à droite et à gauche, tantôt sous les oliviers à Sfax, tantôt dans des barques de fortune vers Lampedusa.

Meloni excelle dans ce domaine, faire passer des citrouilles pour des carrosses. Un programme de formation devient un plan stratégique de coopération dans le cadre du plan Mattei, et une invitation au G7 un cadeau empoisonné pour un leader en mal de reconnaissance. On sent l’effort vain et poussif pour épater la galerie, que ce soit à coup de boutades (en évoquant Laurel et Hardi) ou de solutions illuminées visant prétentieusement à changer le monde afin que les peuples du sud accèdent à la prospérité.

Mais au-delà de cette quatrième et sans doute dernière visite de Meloni à Tunis, que doit-on retenir de ce tandem que tout oppose ? D’un côté, Meloni à l’ambition démesurée qui n’hésite pas un seul instant tel un bonimenteur à tromper ses partenaires dont la Tunisie à coup de stratégies fumeuses et de paillettes ou telle une mante religieuse à sacrifier ses partenaires pour obtenir un bénéfice électoral, comme elle s’apprête à le faire avec la controversée Ursula von der Leyen qui traîne trop de casseroles. Et puis, Kais Saied le politicien intègre qui rêve de changer le monde, de libérer la Palestine, de réformer le Fonds Monétaire International (FMI), en assenant des leçons à qui veut bien l’entendre mais qui in fine n’arrive même pas à restaurer une piscine de quartier ou un stade national et doit faire appel à la toute puissante Chine pour le tirer de l’embarras. Et c’est là tout notre problème : on voit petit ! Même quand comme Kaïs Saied on détient tous les pouvoirs, qu’on a mis à terre l’UGTT et dompté l’Utica, on patauge, on fait du surplace et pendant ce temps la situation socio-économique ne s’améliore pas et empire. Le président est seul, mal entouré et mal conseillé, et comme le dit la maxime, l’esprit n'est pas un vase que l'on remplit, mais un feu qu'on allume.

Les Tunisiens devront se prononcer de nouveau aux prochaines élections, et ils auront le choix de choisir à nouveau leur « homme intègre » mais cette fois-ci en connaissance de cause.

Pour conclure, on retiendra que tel Faust, Kais Saied échoue dans son pacte avec Meloni. Présentée comme une panacée, cette alliance se révèle inefficace. Seul un accord de long terme, inscrit dans le cadre de l’accord d’association UE-Tunisie, peut apporter des solutions viables et concrètes. Tout le reste n'est que poudre aux yeux.



[1] Selon les dires de Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien des droits économiques et sociaux

[2]  Déclaration de Kaïs Saïed à Gérald Darmanin et à Nancy Faeser, les ministres français et allemand de l’Intérieur, Le 20 juin 2023.

 

*Président du Mediterranean Development Initiative

17/04/2024 | 19:51
6 min
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Commentaires
Rationnel
Responsabilité individuelle
a posté le 18-04-2024 à 14:24
L'auteur répète la même erreur de KS avec sa conclusion:
"Seul un accord de long terme, inscrit dans le cadre de l'accord d'association UE-Tunisie, peut apporter des solutions viables et concrètes."
Si L'Europe est incapable de résoudre ses problèmes économiques, comment s'attendre a ce qu'elle puisse résoudre les problèmes de la Tunisie?
Si les leaders européens n'ont pas une vision pour une union prospère comment s'attendre a ce qu'ils/elles imaginent un futur meilleur pour la Tunisie. Les Tunisiens doivent imaginer leur propres futur sans compter sur le gouvernement et la classe politique et surtout pas l'Europe.
L'Europe et surtout l'Allemagne, le moteur de l'économie européenne est en récession depuis 2 ans. L'Allemagne a perdu une partie importante de son industrie a cause de la guerre Ukrainienne et l'augmentation du prix de l'énergie.
Un autre Italien, Mario Dragui, qui va probablement succéder a Ursula dans la présidence de l'union européenne vient d'explique les raison de l'échec de la politique économique européenne. Les pays de l'union stagnent et perdent leurs industries pour les mêmes raison que la Tunisie stagne, la productivité dans les européens est faible (vis-a-vis leurs principaux compétiteurs: la Chine est les USA), ces pays ont réduit leur coût de productions et les salaires sans se soucier d'améliorer la productivité de leurs industries (et l'innovation). (Source: Mario Draghi: Radical Change'Is What Is Needed).
Les deux variantes des programmes de la majorité des candidats pour les élections présidentielles sont:
1 . Continuer avec les changements constitutionnels et la lutte contre les forces occultes et obscures (KS)
2. Annuler la constitution de KS et élaborer une quatrième constitution qui diffère des trois précédentes. La Tunisie a perdu quinze années dans l'élaboration de deux constitution et et deux structures de gouvernance aussi inefficace l'une que l'autre. Les cinq prochaine années risquent d'être perdu dans l'élaboration d'une quatrième constitution et système de gouvernance.
Comme a déclaré un opposant politique: l'élite tunisienne est comme des enfants qui jouent au bord de la mer et construisent des châteaux de sable qui sont ensuite emportées par les vagues.
le financier
KS ne reve pas de liberer la palestine
a posté le 18-04-2024 à 13:41
KS ne reve pas de liberer la palestine , s il revait de cela , il aurait mis tout en place du point de vue complexe industriano militaire pour le faire . Il aurait relev2 l economie , rendant la tunisie aussi aut suffisante en agriculture .
il reve de rien et laissera son nom au meme niveau de marzouki mais lui au moins a reussi a se debarasser du terrorisime ce qu il lui faut lui donner le merite
Houcine
Effrayant.
a posté le 18-04-2024 à 02:49
Entre un discours qui tente de jouer l'équilibriste pour paraître posé et qui présente un pouvoir sans intelligence et sans vision, tout juste capable de déclamer de belles promesses, et un propos effarant où l'insulte le dispute à la haine....de soi, on a une image plus détestable sous le lambris des belles phrases dont on a le droit de se demander ce qu'elle exprime de l'analyse des faits sinon de ce qui traverse les errements de nos très grands auteurs.
Si l'homme du Think tank paraît au moins travailler pour son officine et soigne son verbe au moins sur la forme, son commentateur se laisse aller sans retenue distribuant les qualificatifs de Barbarorum au plus populaire, chez les beaufs, je veux relever, peuples de bougnoules.
Quand la suffisance atteint un tel niveau, on ne peut qu'applaudir le talent.
Il y a des occasions où il est conseillé de garder ses mauvais tourments pour soi.
Ou bien, ne les partager qu'en cercle restreint si l'on veut s'éviter le pire.

Nephentes
L'illusion de la vérité
a posté le 17-04-2024 à 20:56
Les relations Italie Tunisie illustrent assez bien l'impasse durable des relations euro-méditerranéennes. A défaut de relations équilibrées et mutuellement bénéfiques, on fait semblant de coopérer dans le respect mutuel.

Il s'agit d'un jeu de dupes ou la vérité est impossible à assumer et où tout le monde est perdant.

D'abord fait majeur et précisément impossible à assumer par la partie tunisienne : Nous sommes fondamentalement et structurellement une Terra Barbarium un peuple hors sujet sorti de l'histoire promis à une liquéfaction rapide et probablement irréversible.

Il est par exemple fascinant de conster a quel point les Italiens connaissent les Etats unis ou l'Australie distante de 170000 km et refusent de mettre les pieds même gratuitement - et j'invente rien croyez moi- sur le sol tunisien distante d 170 km

Voici la représentation collective que se font les Européens du Sud de la Tunisie : c'est une terre mauresque un châtiment imposé par le Seigneur du christianisme pour punir les Européens de leur décadence morale En Italie c'est vrai plus qu'ailleurs.

Mais ce rejet pathologique et collectif -très solidement enraciné dans l'inconscient collectif des populations européennes- du fait maghrébin renvoie à une certaine réalité que nous Tunisiens refusons de notre coté d'admettre :

Cette réalité que nous ne pouvons pas psychologiquement assumer et qui nous rend clowns a l'insu de notre plein gré c'est que 70 années après notre indépendance et malgré le fait que nous étions un peuple arabo-méditerranéen, nous sommes en 2024 un conglomérat de bédouins repoussants et débiles un peuple de bou*g*ouls.

Tant que nous n'admettrons pas cela, nous Tunisiens ne pourrons en aucun cas constituer un partenaire crédible aux yeux des Européens ceux du Nord comme ceux du Sud et nous resterons une décharge publique à ciel ouvert.

Notez que la plupart des dirigeants occidentaux tablent quasi-officiellement sur la somalisation probable du Maghreb dans 15 années et planifient d'ores et déjà les dispositifs militaires d'endiguement d'un ensemble régional retourné à l'état de barbarie. (que fondamentalement, à part le miracle bourguibien, il n'a jamais quitté)