Tunisie - FMI : Une croissance économique oui, mais pas sans réformes !
« Il faut passer de cette réussite politique, cette transition à la démocratie […] qui est un exploit extraordinaire […] et qu’il faut préserver, à des réformes économiques en profondeur qui doivent se poursuivre afin d’améliorer la croissance économique, vers une croissance qui soit à la fois inclusive et créatrice d’emplois pour répondre aux aspirations de la population». C’est ce qu’avait déclaré la directrice générale du Fonds Monétaire International, Christine Lagarde, lors de sa visite en Tunisie en septembre dernier.
Depuis sa visite le gouvernement tunisien a présenté en octobre, son projet de loi de finances, dont l’objectif est un retour vers la croissance et vers une dynamique économique essentielle à l’investissement, à la création de l’emploi et de richesse. Un récent rapport du FMI sur les perspectives économiques régionales pour le Moyen Orient et l'Asie Centrale, a estimé que l'économie tunisienne devrait enregistrer un taux de croissance de 3% en 2016 contre 1% en 2015 et 2,3% en 2014.
Ce rapport porte sur les prévisions de croissance des pays exportateurs et importateurs du pétrole au Moyen- Orient et en Asie Centrale, dont la Tunisie, et exige la réalisation d’un nombre de réformes pour l'accélération de la croissance dans cette région où le rebond de l'activité économique est freiné par les retombées des conflits dévastateurs en Irak, en Libye et en Syrie.
La baisse des cours du pétrole, la stabilisation politique et les réformes économiques auront nécessairement des effets positifs sur la confiance, l'investissement et les exportations. Le gouvernement tunisien s'est, d’ailleurs, engagé à poursuivre en 2016, la lutte contre le terrorisme, la relance du développement régional et la modernisation de la douane.
Il table en effet sur une croissance de 2,5% en 2016 notamment grâce à la lutte contre l’évasion fiscale, la contrebande et l’économie parallèle. C’est ce qu’avait expliqué le ministre des Finances, Slim Chaker, qui a précisé que les hypothèses qui ont été mises en place pour l’élaboration du projet de loi de finances sont : une croissance de 2,5%, un prix de référence du baril de pétrole à 65 dollars et un taux de change moyen du dinar à 1,970 dinar pour un dollar.
Ainsi, le budget de l’Etat pour l’année 2016 a été fixé à 29.250 millions de dinars (MD), en hausse de 7,1% par rapport à 2015. Les ressources ont augmenté de 9% pour se situer à 22.656 MD. Le déficit budgétaire est de à 6.594 MD, soit 3,9% du PIB alors qu’il était situé à 4,4% en 2015, 4,9% en 2014 et 6,8% en 2013. Le déficit est ainsi proche des standards internationaux de 3%. On notera que 35% du budget de l’Etat est réservé aux dépenses sociales (Education, formation professionnelle, santé, affaires sociales, famille, enfance, etc.) et 17% du budget a été réservé pour la sécurité et défense.
Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) avait affirmé, suite à l’achèvement des consultations au titre de l’article IV avec la Tunisie en septembre dernier, que les perspectives à moyen terme en Tunisie demeurent favorables et que la croissance devrait s’accélérer à 4,7% d’ici 2020. Le FMI avait mis l’accent sur le fait que ces perspectives dépendent d’une baisse des risques sur le plan de la sécurité et d’une atténuation des tensions sociales, ainsi que de la bonne et rapide exécution de vastes réformes qui favorisent le développement du secteur privé et qui améliorent le climat des affaires. Climat des affaires qui avait aussi été récemment décortiqué dans une enquête de la Chambre Tuniso-Française de commerce et d’industrie (CTFCI).
En effet, selon le FMI, l’économie tunisienne a pu résister pendant la longue transition politique et face à un environnement économique international difficile. Le pays a été confronté à des vents contraires liés aux menaces pesant sur la sécurité et aux tensions sociales, qui compensent les effets positifs de l’achèvement de la transition politique, de la baisse des prix internationaux du pétrole et de la reprise en Europe.
La croissance s’était bien redressée après le creux de 2011, mais elle s’est affaiblie au début de 2015 : la croissance du PIB a atteint en moyenne 1,2 % (sur un an) pour le premier semestre, du fait d’un ralentissement notable de l’activité dans l’industrie manufacturière, le tourisme et le secteur minier. Par ailleurs, le chômage est resté élevé. L’inflation globale est tombée à 4,2% en juillet, en raison de la baisse des prix des produits alimentaires et d’une politique monétaire prudente.
Les déséquilibres extérieurs demeurent néanmoins élevés. La faiblesse des recettes tirées du tourisme, l’augmentation des importations et la baisse des exportations de pétrole et de phosphate ont porté le déficit des transactions courantes à 8,8 % du PIB en 2014, soit son niveau le plus élevé depuis les années 80. Les exportations exceptionnelles d’huile d’olive et la diminution des importations énergétiques ont réduit le déficit au début de 2015, mais cette amélioration ne devrait pas durer, car les recettes tirées du tourisme, qui ont fort souffert des attaques terroristes survenues au Bardo et à Sousse, devraient baisser cette année. Les volants de réserves se maintiennent, grâce au succès d’une émission obligataire internationale plus tôt dans l’année.
Selon le FMI, la situation budgétaire s’est améliorée : le déficit budgétaire structurel est tombé à 3,3 % du PIB en 2014 grâce à la bonne tenue des recettes. Cependant, la composition du budget s’est affaiblie : l’investissement public, qui est nécessaire pour soutenir la croissance, a atteint un plus bas de 4,2 % du PIB, tandis que la masse salariale, qui représente environ 60 % des recettes, a augmenté. La loi de finances complémentaire pour 2015 prend en compte les répercussions à court terme du ralentissement économique récent, notamment en prévoyant une augmentation des dépenses de sécurité et des transferts aux petites et moyennes entreprises.
Le système bancaire demeure, par ailleurs, fragile. Le ratio des fonds propres pour l’ensemble du système s’établit au-dessous des exigences réglementaires. Les prêts improductifs du secteur bancaire sont élevés, à 15,8 %. En raison de la faible croissance des dépôts, les banques publiques demeurent structurellement illiquides, ce qui accroît le recours au refinancement auprès de la BCT. Dans ces conditions, la croissance du crédit au secteur privé reste modeste, et son niveau est largement inférieur au potentiel.
Le conseil d’administration du FMI avait, enfin, souligné la nécessité pour le gouvernement de reprendre l'assainissement à compter de 2016, à travers la limitation de l'augmentation de la masse salariale grâce à une réforme de la fonction publique et la réduction des subventions énergétiques moyennant un ajustement automatique des prix des carburants. Il a insisté sur l'importance d'accroître l'exécution de l'investissement public, d'opérer des réformes budgétaires qui ne nuisent pas à la croissance et de renforcer la gestion des finances publiques et du suivi des entreprises publiques, de manière à réduire les risques budgétaires.
Appelant à achever rapidement la recapitalisation de toutes les banques publiques et soulignant qu’il importe de veiller au respect de la réglementation pendant toute la période de restructuration, le conseil d’administration a aussi précisé qu’il est important de moderniser le dispositif de résolution bancaire, de renforcer le contrôle et la réglementation des banques, et de mettre en place une loi efficace sur les faillites afin de s’attaquer aux prêts improductifs. Il a rappelé qu’il est essentiel d’améliorer le climat des affaires pour accélérer la croissance et la création d’emplois, ainsi que rehausser la compétitivité, la croissance économique devant passer obligatoirement par l’aboutissement des réformes engagées. Tout un chantier qui attend la Tunisie, en somme !
Myriam Ben Zineb