
Par Mehdi Bchir*
Dans la nuit de lundi à mardi, Donald Trump a franchi un seuil. Depuis Washington, il a appelé à la reddition inconditionnelle de l’Iran, se vantant d’avoir offert à Israël une liberté aérienne totale au-dessus de Téhéran. Il a affirmé savoir où se cache le Guide suprême, ajoutant qu’il épargnait sa vie… « pour l’instant ». En réponse, l’ayatollah Ali Khamenei a déclaré mercredi que « la bataille commence ».
Trump et Netanyahu sur le chemin d’une erreur stratégique majeure
Depuis, les États-Unis se rapprochent inexorablement d’une guerre ouverte avec l’Iran — une guerre qui semble suivre le même schéma que celui de la campagne israélienne à Gaza : plus la résistance s’organise, plus la violence du camp dominant s’intensifie. Mais l’idée de laisser Israël frapper l’Iran, avant d’y déchaîner les bombardiers américains et les bombes anti-bunkers, constituerait sans doute la pire erreur stratégique commise par un président américain depuis l’invasion de l’Irak par George W. Bush.
Cette guerre-là aussi avait été justifiée au nom d’une sécurité régionale, sous l’impulsion israélienne. Résultat : huit années de chaos, plus d’un million de morts, l’émergence de Daech, et un pays ruiné, toujours incapable de se relever pleinement quatorze ans après. La décision actuelle pourrait s’avérer plus catastrophique encore — et bien plus durable.
Car si Trump et Netanyahu parvenaient à leurs fins, si le régime de Téhéran s’effondrait, et si l’on réinstallait depuis la Californie le fils du dernier Shah, les équilibres régionaux basculeraient définitivement. Netanyahu deviendrait le maître incontesté du Moyen-Orient. Les dirigeants du Golfe s’aligneraient. Les Accords d’Abraham seraient imposés comme une normalité diplomatique. Des centaines de milliers de Palestiniens, sinon des millions, fuiraient vers l’Europe. Et dans chaque cœur arabe ou iranien, couverait pour longtemps le feu d’une humiliation impossible à éteindre.
Une paix obtenue à ce prix n’aurait rien de « merveilleux », contrairement aux termes choisis par Trump. Elle serait froide, explosive, et porteuse de colère. Elle ne ressemblerait ni à 1967 ni à 1973 — elle serait plus grave. Une bombe à retardement prête à éclater sous chaque régime arabe encore en place.
L’Iran, une puissance prête à encaisser et riposter
Mais nous en sommes encore loin. L’Iran n’a pas levé de drapeau blanc. Il vient, au contraire, d’engager sa machine de guerre. Le pays a déjà traversé le feu : huit ans de guerre contre Saddam Hussein, déclenchée lorsque l’Iran post-révolutionnaire était à genoux, sans armée structurée, avec des soldats passant les fusils d’une main à l’autre. Soutenu alors par l’Occident, Saddam bénéficiait de l’aide pour ses armes chimiques. Trois ans après, Donald Rumsfeld serrait la main du dictateur irakien.
Cette guerre longue, sanglante, traumatique, a forgé la doctrine militaire de l’Iran : développer ses missiles, enrichir son uranium, et se protéger par une ceinture de groupes armés de la Méditerranée à ses frontières. Aujourd’hui, cette ceinture est silencieuse — sauf les Houthis. Mais ce silence n’est pas une faiblesse, comme Netanyahu semble le croire : c’est une retenue stratégique. Le Premier ministre israélien lit mal ses adversaires.
Comme Saddam en 1980 ou Bush en 2003, Netanyahu espère une guerre éclair, une reddition rapide. Mais cette fois, Israël fait face à un État réel, à une armée organisée, à une profondeur stratégique. Même si les centrifugeuses enfouies sous la montagne de Fordow sont détruites, l’Iran possède des centaines de kilos d’uranium enrichi stockés ailleurs. Il peut, en un instant, fermer le détroit d’Hormuz — par où transitent plus de 20 % du pétrole mondial. Il peut frapper des cibles américaines partout dans la région. Et si, pour l’instant, les milices irakiennes sont en retrait, cela ne durera pas.
Un régime se sentant menacé dans son existence a toutes les raisons de revoir ses lignes rouges. Même si, selon les agences américaines, il n’y a pas de preuve d’un programme nucléaire militaire en cours, l’écrasement de ses capacités conventionnelles pourrait amener Téhéran à faire le choix que tant d’autres ont fait avant lui : se doter de l’arme ultime.
Trump, dans sa posture de télévangéliste belliqueux, croit dissuader l’Iran d’aller vers la bombe. Mais il est en train de créer un nouveau Pyongyang au bord du Golfe. Ce serait une ironie stratégique, si elle n’était pas aussi tragique.
Et pendant ce temps, les missiles israéliens s’épuisent. Les défenses anti-aériennes coûtent cher. La guerre à Gaza a déjà prouvé qu’Israël ne peut pas tenir sans le soutien logistique et militaire des États-Unis. Une guerre contre l’Iran ne ferait qu’accélérer cette dépendance.
En lançant cette « mère de toutes les batailles », Trump — et Netanyahu avec lui — semblent n’avoir aucune idée de comment l’arrêter. Le problème, c’est que personne d’autre non plus ne semble savoir.
*Directeur à l’United States Institute of Peace (USIP), ancien conseiller principal auprès des Nations Unies, spécialiste des dynamiques de stabilisation et de conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.