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Soufflons la troisième bougie de notre constitution, donnons-lui un nouveau souffle !
27/01/2017 | 10:36
5 min
Soufflons la troisième bougie de notre constitution, donnons-lui un nouveau souffle !

Par Salwa Hamrouni*

 

Le 26 janvier est une date doublement symbolique pour la Tunisie. Après le jeudi noir de 1978, après plusieurs autres années vécues dans la répression et l’humiliation ; les Tunisiennes et les Tunisiens retrouvent leurs voix lors de l’adoption de la constitution du 26 janvier 2016.

 

Il est vrai que cette constitution ne répond pas parfaitement à toutes les attentes des uns et des autres. Il est vrai aussi que cette constitution reste en deçà des espoirs de la société civile fortement mobilisée lors du processus constituant. Néanmoins, personne ne peut nier que cette constitution est la première pierre dans l’édifice de la deuxième République.

 

Notre constitution fête, aujourd’hui 27 janvier 2017, sa troisième année. Il est sans doute prématuré de faire un bilan objectif et définitif car trois années ne sont rien dans la vie d’une institution.

Cependant, trois années après sa promulgation, nous sommes en mesure de faire quelques constats quant à son application et quant à son respect.

 

Notre réflexion s’articulera autour de trois axes principaux : les droits et libertés, le régime politique et l’installation des institutions.

Comme Charte de droits et libertés, la constitution tunisienne a garanti, de manière inégale certes, les trois générations des droits humains : les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels et les droits de solidarité dits encore les droits environnementaux.

 

La constitution est allée plus loin en mettant plusieurs conditions limitant le législateur lorsqu’il interviendra à propos de ces droits et prévoyant une clause de non régression des droits garantis. Toutefois, le texte suprême se heurte quotidiennement à des lois anachroniques, liberticides et contraires à la constitution.

 

Trois années après l’adoption du texte de la constitution, nous voyons quotidiennement des Tunisiens et des Tunisiennes humiliés, jugés, et réprimés par l’Etat pour avoir exercé leurs libertés individuelles que ce même Etat est tenu de garantir.

 

Trois années après l’adoption de la constitution, le législateur peine encore à réviser ces lois ou à en adopter d’autres pour permettre le respect effectif de la constitution. Nous citons à titre d’exemple les dispositions liberticides et attentatoires à la dignité et à l’intégrité physique dans le code pénal ou encore les dispositions pérennisant l’inégalité des droits entre les hommes et les femmes dans le code du statut personnel.

 

La constitution est aussi un texte qui garantit le partage et l’équilibre des pouvoirs dans un Etat.

Trois années après son adoption, certains commencent déjà à appeler à une révision constitutionnelle. Certains, trouvent que le régime politique choisi est un régime favorable aux crises politiques et un régime où l’équilibre des pouvoirs n’est pas réellement garanti.

 

Nous estimons à ce propos que la révision n’est ni possible ni souhaitable. La révision n’est évidemment pas possible sans une cour constitutionnelle qui, qui selon le texte même de la constitution, doit impérativement se prononcer sur ce qui peut ou ne peut être révisé.

 

La révision n’est également pas souhaitable car depuis les élections de 2014, l’exercice du pouvoir s’est sensiblement écarté du schéma constitutionnel. Nous n’avons pas un gouvernement dirigé par le parti gagnant et une opposition qui le contrôle et qui fait pression. Nous avons un gouvernement d’unité nationale et donc un pouvoir qui s’effrite entre plusieurs formations politiques avec tout ce que cela implique comme tergiversation et comme difficulté de gouverner. Bref, nous avons un gouvernement qui a du mal à gouverner et donc à puiser dans tous les pouvoirs qui lui sont reconnus par la constitution.

 

La question n’est donc pas celle de la défaillance du texte constitutionnel mais du système partisan lié lui-même au mode de scrutin.

 

Trois années après la constitution, nous n’avons ni conseils régionaux ni conseils municipaux, ni aucune autre institution décentralisée.

La constitution tunisienne a fait un choix de taille : elle a opté pour un Etat décentralisé basé sur le pouvoir local. Seule la décentralisation permettra aux citoyens et citoyennes de vivre un changement quant à leur rapport à la chose publique. Plusieurs étapes ont été franchies pour préparer la mise en œuvre du chapitre relatif à la décentralisation. Une tâche lourde car il y va du succès ou de l’échec de ce choix. Une tâche également lourde car il faut impérativement garantir plusieurs équilibres dont l’équilibre entre un véritable pouvoir local et un Etat unifié et non diminué. C’est donc cela qui pourra expliquer la complexité du processus de la décentralisation et du coup sa lenteur. Aujourd’hui, nous disposons d’un projet de code relatif à la décentralisation et d’un projet d’une loi électorale.

 

Mais, à voir les dernières péripéties relatives à cette dernière, il nous semble que le législateur ne voit pas l’urgence de mettre fin à la situation déplorable des collectivités locales.

 

Trois années après l’adoption de la constitution, nous n’avons pas encore d’instances constitutionnelles indépendantes. Plusieurs projets de lois ont été déposés par le gouvernement et attendent encore leur examen par le pouvoir législatif. Autorités de contrôle, de régulation ou de protection des droits, les instances constitutionnelles indépendantes peinent à voir le jour.

 

Trois années après l’adoption d la constitution et nous n’avons pas encore de conseil supérieur de la magistrature malgré l’élection de ses membres.

 

Enfin, trois années après l’adoption de la constitution et nous n’avons pas encore une cour constitutionnelle.

La constitution est un texte. Un texte, des mots, des phrases dont seul un interprète authentique donnera le sens. Cela est davantage vrai pour la constitution tunisienne. Fruit d’un large consensus politique, notre loi suprême regorge de concepts parfois polysémiques, parfois creux. 

 

Voulant satisfaire toutes les conceptions du pouvoir, de l’Etat et des libertés, le pouvoir constituant nous a offert un texte où le consensus porte sur le signifiant et pas sur le signifié. C’est pour cette raison que l’installation de la cour constitutionnelle devient une urgence aujourd’hui. Installer la cour constitutionnelle devient une urgence pour se prononcer sur la constitutionnalité des projets de lois, sur celle de l’armada des lois inconstitutionnelles que nous continuons à subir, pour se prononcer sur le recours aux mécanismes de l’état d’exception, sur les rapports entre les pouvoirs, sur la révisibilité de la constitution et d’une manière générale, c’est une urgence pour garantir la suprématie de la constitution tout en déterminant sa teneur.

 

Au total, trois années sont trop longues pour celles et ceux qui espéraient et espèrent vivre un changement. Mais, trois années sont peut-être aussi inévitables dans une démocratie délibérative naissante de surcroit. Souhaitons donc le meilleur à notre constitution, mais, surtout faisons en sorte qu’elle soit réellement vivante.

 

* Maitre de conférences, agrégée en droit public à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis.

 

 

 

27/01/2017 | 10:36
5 min
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Commentaires (21)

Commenter

kr
| 28-01-2017 22:49
les tunisiens ont fait la révolution en balayant le terrain politique , ils ont adopté plusieurs nouvelles notions dont ils étaient privées et transcrites dans les textes sans dépasser ce stade. Dommage que la révolution ne s'est pas produite dans la tête....

déja-vu
| 28-01-2017 20:07
La nawaha, aussi appelée naddaba était une femme dont on louait les cordes vocales pour chanter les louanges des défunts, en poésie et dans un rythme endiablé qui poussait les femmes à se griffer visage et poitrine même et surtout quand le défunt ne méritait même pas un soupir.

Des arts et métiers qui se perdent...

Letranger
| 28-01-2017 17:43
"...Soufflons la troisième bougie de notre constitution, donnons-lui un nouveau souffle !..."

Pourquoi pas un jour férié, la meilleure Constitution du Monde, ça vaut bien un jour férié.
Mondial même...

Tunisienne
| 28-01-2017 10:53


et de continuer à la soutenir contre vents et marées !

A un moment donné, il faudrait répondre à une question qui est, à mon sens, incontournable : Devons-nous être et rester surdéterminés par un texte qui est après tout une production humaine avec tous ses biais, ses carences, ses contradictions et son caractère handicapant (dont l'ampleur se révèle de jour en jour) ou devons-nous faire en sorte que la loi fondamentale corresponde aux soucis du vivre-ensemble, de la cohérence et du minimum d'ambitions que nous voulons pour ce pays ?

Car à force de vouloir tout faire cadrer avec la Constitution, nous nous retrouvons dans un schéma de légitimation de l'immobilisme voire la régression dans différents domaines, et de défense de l'indéfendable (comme par exemple la banalisation du terrorisme en défendant la nécessité de circonscrire son traitement dans la masse des généralités édictées par la Constitution !).




realiste
| 28-01-2017 10:40
En Tunisie, personne ne semble s'inquiéter de cette situation. Dans un pays encore à l'âge de pierre des outils et supports administratifs :  la signature légalisée, la copie certifiée conforme, l'empreinte digitale à l'encre noire'... Dans ce pays ou la poste, la CNAM, la recette des finances, ou même le fournisseur d'internet peuvent fermer guichets à cause d'un réseau qui « TOMBE », on ne voit pas comment ni quand la Tunisie sera prête à affronter la révolution technologique. Quand on rêve il ne faut pas croire qu'on réfléchit faudra-t-il rappeler à ces députés ... L'évolution ne se fait pas par des déclarations mais par l'anticipation, la planification et l'action.

realiste
| 28-01-2017 09:44
« C'est l'éducation et la formation qui sauveront la mise » .. Les systèmes d'enseignements et de formations doivent préparer les futures générations à la 4ème révolution industrielle.
Pour anticiper les creux en ressources humaines compétentes, il va falloir mettre les bouchées doubles en matière d'éducation et c'est loin d'être une mince affaire. C'est un chantier mondial qui doit être ouvert pour redéfinir les systèmes et les processus éducatifs de fond en comble. Dans un certain sens, la 4ème révolution industrielle sonne la fin de l'ère éducative que nous avons connue jusqu'à présent. Les systèmes éducatifs actuels ont été fondés, conçus et organisés à une autre époque. Ils reposent sur la culture intellectuelle des siècles des lumières et sur la conjoncture économique de la révolution industrielle du XIXème siècle. Un système qui sépare injustement les enfants en deux groupes : les intelligents et les non intelligents. Les uns sont faits pour le travail intellectuel, les autres pour le travail manuel.  Cette philosophie éducative n'est plus adaptée. La robotique, les ordinateurs hyper puissants, la connectivité, la nano technologie'. Sont autant capables de remplacer et de dépasser les capacités des Hommes et leurs compétences qu'elles soient intellectuelles ou physiques. D'ailleurs, cette frontière imaginaire entre l'intellect et le moteur est devenue absurde. Ce qui est certain, c'est que les process éducatifs en cours ne sont plus en mesure de satisfaire les besoins du marché, de l'industrie et de la technologie du XXIème. Pour résumer la situation : tout est à refaire dans les systèmes éducatifs si on ne veut pas que la 4ème révolution devienne un désastre pour l'humanité..

Maxula
| 27-01-2017 23:58
"cette constitution ne répond pas parfaitement à toutes les attentes des uns et des autres"...

C'est le moins qu'on puisse dire...
La constitution est loin d'être satisfaisante...et elle ne pourra "commencer" à l'être qu'après la mise en place du Conseil Constitutionnel...seule institution légitime à juger de la "légalité constitutionnelle" des lois...
Ce processus ne pourra bien sûr se tenir qu'après un sévère toilettage de l'actuelle constitution...laquelle n'est de fait qu'un brouillon qui n'a que trop duré...
Amendons la constitution et faisons-la approuver par voie référendaire...seule façon à même de conférer une VRAIE légitimité à notre LOI COMMUNE...notre LOI FONDAMENTALE.
Il est simplement dommage que notre éminente constitutionnaliste ne relève pas l'incongruité et l'anachronisme de l'Article Premier(*) de notre constitution par rapport à la modernité progressiste souhaitée et souhaitable pour un pays et une société qui aspire à vivre pleinement dans le 3ème millénaire...
On aura bien sûr compris que je vise par là, l'infâme "confessionnalisation" de la constitution...ce qui lui enlève du coup l'impartialité "contractuelle" d'une convention appelée à régir sur un même pied d'égalité les rapports entre TOUS les citoyens.
Maxula.
(*) Article 1 - La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime.

wild bled
| 27-01-2017 21:14
Quand on a beaucoup de temps libre....

Citoyen_H
| 27-01-2017 19:33

Le laxisme volontaire de la trika durant son bref passage aux armes, a complétement pulvérisé les institutions étatiques.
Ces derniers, affamés congénitaux, étaient préoccupés à se remplir les poches, sachant que cette frénésie ne pouvait durer éternellement.
Si on rajoutait à cela, les très nombreuses nominations faites durant cette période, imaginons un peu, le carnage fait dans les finances de l'état.

Profitant de l'anarchie régnante, tout le monde s'était invité à l'orgiaque et gargantuesque repas .
Ainsi l'anarchie résultant de l'absence de l'état (2011-2014) a été hérité par le gouvernement élu par le peuple.

Face à l'ampleur des dégâts occasionnés à tous les niveaux, les "sans couilles" en place au pouvoir actuel, ont peur de déclencher des émeutes, si ils étaient amenés à prendre des résolutions drastiques pour parer à l'héritage malsain, laissé par le terroriste revenu de londres dès la 1ère seconde du départ de son cauchemar vers l'Arabie maudite.

Ce que vous avez mentionné dans votre dernier paragraphe, les Tunisiens dotés de plus de deux paires de neurones dans leur cerveau l'ont assez vite compris.
Que dire des dix millions de traitres et escrocs restants?

Ces bouseux ne peuvent plus se passer des avantages acquis durant la période de 2011-2014, aussi malhonnêtes soient ils.

C'est pour cela que j'ai fait allusion au bâton purificateur, remède par excellence pour des traitres, qui vendraient père, mère et descendance pour leur bien être.
Dommage que nous n'avons pas l'équivalent de la Sibérie dans nos contrées.
Cela aurait fait un excellent purgatoire pour les millions de vendus que compte notre NATION.
Seule une dictature sauvage pourrait nous donner une chance de survivre dignement.
Tout le reste n'est qu'imposture.
Salutations.




momo
| 27-01-2017 18:48
la vieille se fait emporter par la fleuve et elle dit quelle bonheur. réveillez vous arrêtez de tromper le peuple.Le pays est en train de partir en cacauhuètes