Ramadan : manger et dormir beaucoup, travailler et produire peu
Voici arrivé le mois saint, celui de l’ascèse et de la purification, celui de la méditation et de l’élévation. Si dans les préceptes, Ramadan est une période de privation et de pardon, il n’y a qu’à aller creuser un peu, ou même juste gratter, pour se rendre compte que dans nos contrées la réalité est toute autre. Quand on tape « Ramadan Tunisie » sur un moteur de recherche les résultats sont édifiants : on ne parle que d’attentat, de viande, de feuilletons et de sitcoms, de dattes, de cafés et d’horaires administratifs…comme chaque année, depuis des années…
Ramadan frappe à nos portes et amène avec lui son lot de magie et aussi ses contraintes. Si la plupart des Tunisiens sont préoccupés par leur couffin et se ruent vers les grandes surfaces et autres marchés pour s’approvisionner, quelques-uns, planifient déjà leurs crimes pour maculer du sang des innocents ce mois saint. Hier, samedi 4 mai, ministère de l’Intérieur a annoncé que les sécuritaires ont réussi à mettre en échec des attaques terroristes qui allaient se produire durant le mois de Ramadan.
Les forces de sécurité sont aux aguets et les opérations se succèdent pour capturer les terroristes membres du groupe Okba Ibn Nafaâ. Suite à l’arrestation du terroriste Raed Touati, elles ont réussi à avoir, lors de l’interrogatoire, des informations très importantes qui leur ont permis de déjouer des attaques prévues pour le mois de Ramadan. Le mois du jeûne est désormais une période très « sensible », depuis 2013 quand était assassiné l’opposant Mohamed Brahmi et 2014 quand furent attaqués et tués 15 soldats au mont Châambi. Des mesures ont été prises pour parer aux attaques et depuis 2016, ramadan échappe à l’horreur des hommes.
Sans aller jusqu’à tuer les « mécréants », l’Etat fait aussi ce qu’il juge adéquat pour « protéger » la foi des pratiquants de ces tentateurs qu’on se doit de cacher et d’isoler. Chaque année, la quasi-totalité des restaurants et cafés baissent leurs rideaux au mois de ramadan ou se déguisent en gazettes bondées et enfumées. Pour cette saison toutefois, une lueur d’espoir semble se faire voir. Le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, René Trabelsi a annoncé l’ouverture « exceptionnelle » de certains cafés et restaurants au mois de Ramadan. Il s’agit essentiellement des cafés situés dans les zones touristiques du pays, a-t-il souligné.
René Trabelsi n’a pas omis de relever que la coïncidence du mois de Ramadan avec les festivités du pèlerinage de la Ghriba porte un message de « tolérance et de coexistence ». C’est sans doute cette « tolérance » qui fera coexister cette année quelques cafés et des jeûneurs. Une nouvelle qui n’est pas du goût de tous, bien évidemment.
Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice et actuellement député du mouvement islamiste Ennahdha, a indiqué, pour sa part, qu’il est contre l’ouverture des cafés et des restaurants durant les journées de Ramadan.
« Les propriétaires des cafés doivent respecter les jeûneurs. Saviez-vous ce qui différencie les pays développés aux pays en voie de développement : c’est le respect de l’autre ! Et c’est d’ailleurs pour cette raison que les musulmans vivant à l’étranger n’ont pas été importunés. Ce n’est malheureusement pas le cas en Tunisie !», a déclaré le parlementaire ajoutant qu’il n’est pas bien de prendre en photo ou de filmer les non-jeûneurs ou même de les agresser. Une précision de taille, quand on sait que chaque année ceux qui ne jeûnent pas font l’objet d’une chasse aux sorcières et que nombreux prennent les devants et se filment eux-mêmes pour narguer les gardiens de la foi. Une opposition qui donne lieu à des agissements et des propos encore plus ridicules chaque année. C’est aussi cela ramadan.
Ramadan est à l’ère des photos et des films, des posts Facebook et des groupes secrets, mais reste profondément marqué par un archaïsme imposé tant au niveau des messages qu’on lui fait porter que de sa datation. Hier, une photo a été massivement partagée sur les réseaux sociaux, celle d’un décret promulgué en 1960 par le président Habib Bourguiba concernant la fixation des dates de début et de fin du ramadan. Ce décret dispose que les dates de début et de fin des mois du calendrier de l’Hégire, dont ramadan doivent être fixées à l’avance grâce aux calculs astronomiques scientifiques, et ce dans le but de mieux organiser la vie commune. En 2019, cela dit, les dates de début et de fin des mois de l’Hégire restent déterminées par l’observation du croissant de lune, selon une méthode bien ancestrale à des années-lumière de toute modernité.
Cet archaïsme est aussi observé dans la gestion du calendrier du mois de Ramadan, car bien que nous disposions de toutes les commodités que nous offre la technologie et que nous ne vivions pas en plein désert sous une tente, Ramadan reste inexorablement le mois de la séance unique. Pendant un mois tout entier, les administrations fermeront leurs portes à 14h30 alors que la rupture du jeûne n’est prévue qu’aux environs de 19h. Un paradoxe en plus qui vient s’ajouter à la gloutonnerie qui caractérise le mois du jeûne.
Outre les 1000 tonnes de dattes qui seront mises en vente dans les grandes surfaces au mois de Ramadan en vertu d’un accord entre le ministère de l’Agriculture, les fournisseurs et exportateurs, 140 tonnes de viandes ovines surgelées seront importées d’Espagne et commercialisées à 22,5 dinars le kilogramme, pour réguler le marché durant le mois de Ramadan avait annoncé le PDG de la Société Allouhoum, Abdelkader Timoumi.
Le prix de vente de la viande au mois de Ramadan a aussi été le sujet d’actualité. Une rumeur avait circulé il y a quelques semaines, annonçant des prix de l’ordre de 35dt/kg de viande et avait fait l’effet d’une bombe. Très vite démentie par le ministère du commerce qui a annoncé une série de mesures en vue de rationaliser les prix et de les fixer autour de 22dt.
De nombreux internautes ont déjà commencé à s’amuser à énumérer les sujets qui vont tourner en boucle durant le mois saint. Des programmes télévisuels très attendus de la saison, à la recherche désespérée du parfait dessert libanais ou encore le meilleur plan pour rompre le jeûne dans un restaurant de la ville en passant par la guerre éreintante entre jeûneurs et non jeûneurs, Ramadan 2019 ne dérogera sans doute pas à la règle établie : manger et dormir beaucoup, travailler et produire peu. Il va sans dire que Ramadan enregistrera aussi surement des consommations record de différentes denrées, observable déjà par la ruée des supermarchés. A croire que c’est une parenthèse dans la crise et que la faim crée les moyens…
Joyeux Ramadan à tous nos lecteurs.
Myriam Ben Zineb