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Chroniques
Que sait Noureddine Taboubi ?
22/11/2018 | 18:34
5 min

 Par Houcine Ben Achour

 

« Nous allons ajuster la boussole des choix nationaux du pays », a déclaré Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, s’adressant aux grévistes de la fonction publique venus manifester devant le siège de l’Assemblée des représentants du peuple, ce jeudi 22 novembre, à l’appel de la centrale syndicale historique. Est-ce que cela va faire reculer le gouvernement et infléchir la position du FMI sur l’impérieuse nécessité de maîtrise de la masse salariale du budget de l’Etat ? Cela est envisageable, mais encore loin d’être probable. En tout cas, un tel scénario aurait des conséquences plausiblement désastreuses sur les finances publiques. Le fragile redressement des finances publiques acquis laborieusement en 2018 ne constituera qu’une rapide parenthèse car les finances publiques vont replonger dans les abysses du déficit et amplifier par ailleurs l’endettement du pays, faute de pouvoir accroître la pression fiscale, laissant désormais entrevoir le pire : une crise de la dette.

 

De quels choix nationaux parle le secrétaire général de l’UGTT dès lors qu’il n’a vu dans le projet de loi de finances et de budget de l’Etat que la ligne budgétaire relative aux rémunérations publiques qui enregistre un quasi-statu quo, signifiant un gel des salaires de la fonction publique en 2018 et 2019? Il ne s’est nullement interrogé sur les 40 milliards que devra trouver l’Etat pour satisfaire toutes ses dépenses en 2019. Il n’a porté aucun intérêt sur la manière dont le gouvernement compte s’y prendre pour mobiliser des ressources propres de l’ordre de 30,5 milliards de dinars en 2019, soit 2,7 milliards de plus qu’au cours de 2018, année durant laquelle fut appliquée une mesure fiscale exceptionnelle et donc non reconductible  d’une imposition supplémentaire sur les revenus et les bénéfices de 7,5%. Est-ce que Noureddine Taboubi a seulement constaté que malgré l’augmentation des ressources propres du budget, l’Etat sera dans la nécessité d’emprunter  plus de 10,1 milliards de dinars en 2019, soit plus de 400 MD de plus que 2018. Le secrétaire général de l’UGTT a-t-il seulement constaté que pour contribuer à hauteur de 19% aux richesses produites annuellement, l’administration et la fonction publique consomment près de 30% de cette richesse?

 

La préoccupation est générale face à la dégradation du pouvoir d’achat du citoyen. Elle n’est pas exclusive de la centrale syndicale. Sauf que face à ce problème, l’UGTT propose une fausse solution. L’augmentation des salaires ne rattrapera la perte de pouvoir d’achat que durant un laps de temps très court, faute d’activer dans le même temps d’autres leviers visant à freiner la consommation, particulièrement la consommation d’importation ou à améliorer la productivité. Sans quoi, l’inflation perdurera grignotant inexorablement une fois de plus le pouvoir d’achat. C’est cette spirale prix-salaire qu’il s’agit avant toute chose d’éviter.

Cela étant, il est pour le moins curieux que les responsables de l’UGTT en viennent à jeter l’anathème sur le gouvernement et brandissent l’épouvantail de la souveraineté nationale. C’est cette attitude de refus de la réalité économique et financière qui risque le plus d’écorner la souveraineté du pays. Ils n’ont tiré aucun enseignement de la crise grecque. Certes, la situation économique et financière de la Grèce en 2010 est sans commune mesure avec la situation qui est la notre aujourd’hui. Cependant, on risque d’en prendre inexorablement le même chemin.  Heureusement que nous ne sommes pas dans la position grecque obligés de mettre en œuvre plan d’austérité après plan d’austérité de 2010 à 2018 pour bénéficier des plans d’aide de la Troïka (FMI-BCE-Commission européenne). Même Alexis Tsipras, le porte drapeau de la contestation anti-austérité a dû se rendre à l’évidence en dépit de la victoire de son parti Syriza aux législatives de janvier 2015 et au référendum de juillet 2015, puisqu'il signera un nouveau plan d’austérité, le 9e depuis le début de la crise, et un nouveau plan de réformes des retraites, le 14e en 7 ans, pour obtenir un prêt de 85 milliards d’euros sur 3 ans. Ironique, le journal français Libération a qualifié Tsipras de « meilleur élève de Bruxelles ». Implicitement, il assume toute la logique de l’austérité économique engagée depuis 2011 par la Grèce avec les baisses de salaires dans la fonction publique, la baisse des pensions de retraite, les privatisations des entreprises publiques etc. En clair, toute la panoplie hard de redressement des finances publiques.

 

Mais au bout du compte, le résultat grec est éloquent. En 2016, le solde primaire du budget de la Grèce dégagera un excédent de 3,6% du PIB et de 2% du PIB en 2017. Pour cette dernière année, le déficit budgétaire global équivaudra à 0,7% du PIB. Une situation qui lui permet de trouver preneur lors d’une éventuelle émission d’obligations souveraines sur 10 ans à un spread de 430 points de base, le même prévalant avant la crise de 2010.  

Cependant, cela n’a pas empêché un citoyen grec d’écrire dans le magazine français Le Point que « la Grèce a vécu ce calvaire par la faute de ses élites corrompues, incompétentes et avides. De la faute aussi de son peuple immature et archaïque dans ses choix. J’habite dans ce pays et je peux témoigner. Savez-vous qu’aujourd’hui, à Athènes, c’est quasi impossible de trouver un designer, un architecte, un comptable ou un médecin à l’hôpital? Ben, ils sont tous en Allemagne et dans ces pays du Nord qui n’ont rien payé pour les former mais qui en profitent bien pour doper leur PIB. »  

C’est à croire qu’il ne parle pas de la Grèce mais d’un autre pays. Cela aussi Noureddine Taboubi ne semble pas le savoir. Vouloir ajuster la boussole économique de la Tunisie serait hasardeux de sa part.

22/11/2018 | 18:34
5 min
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Commentaires (10)

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Jilani
| 23-11-2018 15:59
Il a reçu 4 fois taboubi au palais, cette tête brûlée ouvrier de la société ellouhoum pour son objectif ultime dégager YC de son chemin pour faire avancer son fils débile et se présenter en 2019. Il veut mettre le pays à genoux et se montrer comme l'unique sauveur. YC doit agir en tyran démocrate comme tchirchill ou de Gaulle pour sauver réellement le pays de cette mafia. Nous risquons tous nos salaires et notre situation à cause de ces fous. La Grèce a mis 10 ans pour sortir de la crise avec des baisses de salaire et retraite.

Tunisino
| 23-11-2018 15:44
Le citoyen grec a écrit 'La Grèce a vécu ce calvaire par la faute de ses élites corrompues, incompétentes et avides. De la faute aussi de son peuple immature et archaïque dans ses choix.' Donc ce n'est pas uniquement Taboubi qui est à blâmer, il a juste pris le train en marche!

abouali
| 23-11-2018 10:08
C'est ce même parti qui a gonflé les effectifs de la fonction publique, réduit l'administration à l'impuissance, imposé la politique du fait accompli, et placé le pays dans une dynamique rétrograde. Mais ce sont bien des tunisiens qui l'ont amené à cette position dominante, et qui s'apprêtent de nouveau, selon toute vraisemblance, à le renforcer davantage. Alors, fermer les yeux, non bien entendu, mais quels moyens avons nous pour combattre l'hydre ?
Merci pour votre commentaire.

Raouf
| 23-11-2018 09:18
Voilà un éclairage que, malheureusement, l'aveuglement des responsables de l'UGTT, pardonnez-moi, montre qu'ils n'en ont "rien à cirer". Mais l'UGTT est-elle un syndicat? Est-ce là la lutte syndicale? Hached doit se retourner dans sa tombe quand il entend Taboubi dire qu'il lutte pour la souveraineté nationale de la décision. Le Pr Dimassi développe pratiquement la même analyse que HBA. Cependant, il est difficile de comprendre le comportement des tunisens, des politiques, des syndicalistes en raisonnant de façon rationnelle. Je pense même qu'il est trop tard d'avancer des analyses rationnelles de la situation tunisienne; Il faudrait faire parler davantage les sociologues, les psychologues et tous les spécialistes de la communication pour éclairer les tunisiens sur leur propre comportement.Cela dit, même si je peux être d'accord sur certaines analyses par ailleurs répétitives et persistantes de l'instantané, les économistes de leur côté, qui occupent le paysage médiatique devraient revoir leur copie par la lecture ou la relecture de Kahneman, Schiller et Thaler, trois prix Nobel d'économie qui réfutent entre autres l'idée de rationalité des comportements des agents économiques.
Y-a-t-il encore quelqu'un pour méditer et penser en dehors du chaos ambiant?

Trop tard!
| 22-11-2018 21:24
Je partage à 100% votre avis! Mais faut-il fermer les yeux face à un parti politique qui se dit musulman et qui a mené le pays vers le collapse socio-économique? Un parti politique qui se dit musulman et pratique simultanément le matérialisme et la corruption?

abouali
| 22-11-2018 20:52
Tous les raisonnements, tous les commentaires, toutes les démonstrations et l'argumentaire, tournent malheureusement autour de l'argent, de son origine et de son utilisation. Aucune attention n'est portée sur la qualité de l'environnement, sur la dégradation des conditions de vie, des services, de l'éducation, des transports, de soins de santé, sur notre culture et notre artisanat, sur l'évolution des rapports sociaux, sur la religion et son impact de plus en plus pesant, sur le chômage, sur le capital humain et l'égalité sociale .... Tout n'est que chiffres et gros sous ! Ceci contribue à entretenir une vision purement matérialiste de l'économie, qui déteint sur les comportements individuels et les réactions collectives. C'est l'aspect salarial et les possibilités de son évolution qui priment sur toute autre considération, quitte à continuer à souffrir de la précarité et de la médiocrité de tous les autres facteurs de l'existence. Sur le plan international, c'est la rigidité et la froideur glaçante des chiffres qui détermine le traitement appliqué aux nations en difficulté. Aucune humanité dans l'examen des dossiers, aucune autre considération que la loi implacable de la rentabilité et du profit. Les potions appliquées, et c'est le cas de la Grèce, si elles ont généré des résultats mesurables économiquement, n'en ont pas moins provoqué des drames sur le plan humain avec des vies détruites et des retraités et perdition. Le concept du Bonheur National Brut apparu il y a trois décennies, mériterait d'être reconsidéré et remis en vigueur, pour remettre de nouveau l'Homme au coeur des politiques et des efforts de croissance et de développement !

DHEJ
| 22-11-2018 20:22
Qui est le citoyen des deux

N. Taboubi ou le GAMIN ancien vagmaster de l'ambassade US?

TATA
| 22-11-2018 20:05
Je vous prie de relire l'article de Mr. Sofiene Ben Hamida, paru le 2/04/2018 sur Business news: "Les maladresses d'hier expliquent les maux d'aujourd'hui"

Je redonne un passage de l'article de Mr. Sofiene Ben Hamida en question: "C'est en se basant sur des remarques formulées par la Cour des comptes que la commission des finances de l'ARP a rejeté le projet de clôture du budget de 2013. Les dépassements dans la gestion des finances publiques, mentionnés dans le rapport de la Cour des comptes sont multiples, en rapport avec le recrutement anarchique, les promotions de complaisance, la dilapidation des moyens de l'Etat, l'utilisation excessive des voitures administratives et de fonctions à mauvais escient... C'est cette gestion approximative, sinon criminelle qui a conduit, entre autres raisons, aux difficultés actuelles des finances publiques. La troika, Ennahdha essentiellement, sont responsables de nos maux actuels. Il a fallu cinq longues années, comme si on cherchait à prescrire les faits, et un rapport de la Cour des comptes pour briser la loi de silence respectée par l'ensemble de la classe politique au pouvoir et désigner les responsables de la banqueroute actuelle. Il est en effet surprenant que tous les chefs de gouvernements qui ont succédé à la troika, Mehdi Jomaâ, Habib Essid et maintenant Youssef Chahed, aient soigneusement évité de pointer du doigt la gestion calamiteuse de la troika et se sont contentés de nous dire que la situation des finances publiques est difficile sans nous donner les raisons qui ont conduit à ce sinistre. Concernant Mehdi jomâa, la situation est particulièrement grave car la feuille de route issue du dialogue national lui assignait expressément de revoir les nominations et les recrutements, qui ne répondaient pas aux procédures légales, décidés au temps de la troika. Malheureusement il n'a pas avancé d'un iota sur cette question. Pourtant, en 2013, le contexte s'y prêtait. Aujourd'hui, il est évidemment trop tard pour rouvrir ce dossier. Quant à Habib Essid et Youssef Chahed, l'un n'avait pas les moyens de froisser les islamistes, seuls alliés de son gouvernement et l'autre s'est trouvé dès le début embourbé dans cette logique d'union nationale de façade. Au final, les islamistes, principaux animateurs de la troika s'en tirent à bon compte. Leur gestion sectaire et hasardeuse des affaires de l'Etat n'a jamais été critiquée par leurs successeurs. Leur alliance avec Nidaa leur a permis de tourner la page de leur administration calamiteuse tout en continuant à être associés au gouvernement. Aujourd'hui encore, ils profitent de leur participation au gouvernement en continuant de placer leurs hommes dans des postes clés de l'administration mais n'éprouvent aucune gêne à se désolidariser du gouvernement en cas de besoin,"

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@Si Houcine,
-Nous voulons savoir où sont passés les 19milliards d'euros (et même plus) de dettes, de donations et d'aides extérieures du temps de notre ex-troïka! Et tous ceux qui disent/prétendent que "le contrôle parlementaire des biens publics s'affaiblit en cas d'adoption du projet de loi de la clôture du budget de l'Etat, une longue période après son exécution." se font complice!

-Il doit y avoir un suivi des dépenses publiques à notre BCT!

-On emprisonne ceux du temps de la dictature sans leur faire un procès juste, mais on refuse de nous donner des éclaircissement concernant la disparition de gigantesques sommes d'argent durant le règne de notre ex-troïka! De quelle démocratie parlons nous en Tunisie?

J'espère que vous voyez maintenant pourquoi la classe pauvre et les nécessiteux soutiennent Mr. Noureddine Taboubi!


@Si Mohamed Obey, je partage votre Avis!

MFH
| 22-11-2018 19:36
Taboubi pense plus à sa popularité au sein de la centrale qu'à la manière de sauver le pays du marasme. Le blocage semble incontournable. Les fonctionnaires, les employés, les ouvriers ont raison. L'état et les bailleurs de fonds ont aussi raison.
Celui qui a une solution est Bouh bey.

Mohamed Obey
| 22-11-2018 19:10
Pourtant, l'analogie ne tient pas la route. K'analyse est tronquée, puisqu'elle ne dit pas pourquoi l'économie nationale se trouve dans l'impasse. Il faut revenir aux pratiques financières des gouvernements successifs dirigés par des partis hors-la-loi et qui se sont appropriés les caisses de l'Etat comme si c'était la propriété de 'Essaïed El Walid'... ET vous voulez que les travailleurs assument les conséquences?