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Chroniques
Chirac, au revoir Monsieur !
Par Karim Guellaty
26/09/2019 | 16:00
5 min
Chirac, au revoir Monsieur !

 

Il y a des articles qu’on déteste devoir écrire, il y a ceux qu’on ne veut pas écrire, et certains, plus rares, qu’on ne sait pas comment écrire.

 

Écrire sur Chirac, c’est ainsi que tout le monde l’appelle, c’est ainsi qu’il s’appelait lui-même avec souvent beaucoup d’autodérision, c’est ressentir ces trois sentiments à la fois. Et s’il est une signature de Chirac, c’est bien celle-ci ; nous faire ressentir, le concernant, plusieurs sentiments en même temps, parfois contradictoires, parfois opposés, mais tous empreints d’affection, et de respect pour son authenticité et sa sincérité.

 

Chirac, le président de la République, le Premier ministre, le Maire de Paris, le chef de parti, l’Homme, c’est quelqu’un qui vous embarquait avec lui dans ses combats à mort, qui vous emportait dans sa bonhommie à vie, qui vous inondait de son authenticité, mais qui toujours, systématiquement, vous fermait les portes de sa solitude. Il avait cette capacité d’avoir le sens de l’État, celui du plaisir, et d’être tellement secret sur lui-même. Chirac tout le monde savait ce qu’il était, personne ne savait qui il était.

 

Chirac c’est celui qui dira non à l’immense catastrophe que sera la seconde guerre du Golfe avec toute la gravité que lui dictait le moment, après avoir bu une Corona et avant d’aller manger une tête de veau chez le Père Claude, son restaurant préféré dans le 15ème arrondissement de Paris.

 

Chirac c’est celui qui constitutionalisera l’abolition de la peine de mort, qui reconnaitra la culpabilité de l’Etat français dans l’abominable déportation des juifs, ou qui sera à l’initiative du Sommet de la Terre où il aura ce fameux « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Le même qui ira chaque année, passer une journée entière au Salon de l’agriculture, par conviction, par plaisir, par bonheur, parce que nous disait-il quand nous battions campagne en 1995, le bon sens, c’est dans les terroirs de France que vous le trouverez.

 

C’est impossible d’écrire sur Chirac sans avoir mille images en tête, deux mille situations à rappeler, et quand on a la chance de l’avoir connu, trois mille exemples à suivre. Chirac c’est cet homme qui sautait le tourniquet pour prendre le métro, c’est celui qui répondait « enchanté moi c’est Jacques Chirac » à celui qui venait de le traiter de connard, et c’est celui qui, cumulant quelques déconvenues, avait fini par conclure ironiquement là où d’autres étaient effondrés, que « les emmerdes ça volait en escadrilles ».

 

On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais il avait, c’est certain, le sens de la formule. Comment ne pas admirer l’expression si juste de cet extraordinaire constat qu’« on greffe de tout aujourd’hui, des bras, un cœur. Sauf les couilles. Par manque de donneur » ?  

 

Le même qui n’a pas hésité à dire de Margaret Thatcher alors que la France et la Grande-Bretagne sont en pleine négociation sur le budget européen à Bruxelles, « mais qu’est-ce qu’elle me veut de plus cette ménagère ? Mes couilles sur un plateau ? ». On est loin des négociations policées et à rallonge sur le Brexit.

 

N’épiloguons pas sur ses réalisations, ou ce qu’il n’a pas fait, sur ce qu’il a dit, et ce qu’il n’a pas dit. C’est un Grand Homme, et comme tous les Grands Hommes, ce travail revient aux historiens. 

 

Restons sur l’homme. 

Il impressionnait par sa taille, par sa hauteur, mais jamais il ne vous écrasait. C’était un homme avec une vision de la France, des ambitions pour le Monde, une admiration pour l’Homme. La France pour tous était son leitmotiv, sincère, vrai, authentique. Il avait également cette manière si tendre de regarder ceux qui l’entourait, des attentions délicates quand ça allait mal, des petites phrases qui résonnent encore, lors de découragements : « Il faut marcher. Ne t’arrête jamais de marcher. Tu peux ralentir le pas, mais marche ».

 

Chirac c’est cet homme qui, d’abord dans les couloirs de l’Hôtel de Ville, puis à Matignon, et enfin à l’Élysée, dans ces ambiances feutrées où l’on chuchote habituellement, et où l’on marche en silence toujours, c’est cet homme qui parlait fort et marchait d’un pas vif. Il n’hésitait pas à se déplacer lui-même, à aller d’un bureau à l’autre. Chirac n’hésitait d’ailleurs en rien, et surtout pas à vivre. Et la vie il l’aimait, autant sinon plus que la France.

 

Le leader était un animal politique, l’Homme était un sincère humaniste. Le leader calculait autant que l’homme était authentique. Même aux devoirs austères, il trouvait la phrase qui vous permettait de donner un grand coup de pied au fond du désespoir. Je l’entends encore, pardon d’employer le « je », je l’entends encore dire « Honore tes morts, vis ».

 

Il souriait beaucoup. Beaucoup trop en fait pour un homme finalement si seul. C’était un combattant, et comme tous les combattants, c’était un grand blessé. On parle conquérant, c’était surtout un homme de devoirs, et les conquêtes à mener, il ne les voyait pas comme une fin en soi, mais parce qu’« on se doit de le faire. Pour ces enjeux, on ne s’appartient plus ».

 

Adieu Président, votre si profond, si tendre, si triste, si aiguisé regard n’est plus. Qui aujourd’hui et désormais va me souffler cette incroyable phrase que vous me dites à la mort de mon regretté père. M’en souvenir me fait pleurer en souriant Monsieur.

 

La France va célébrer un Président qui n’est plus, la France va honorer un de ses leaders qui s’en est allé, la France va faire passer ce grand Homme à la postérité de l’Histoire. Mais moi, ce soir, dans la solitude d’un Paris devenu subitement beaucoup trop grand, face à une rue de Tournon où le numéro 4 n’est plus accessible, c’est l’homme que je pleure, celui dont personne ne vous dira rien, parce que personne n’a jamais vraiment réussi à savoir.

 

Au revoir Monsieur.

Par Karim Guellaty
26/09/2019 | 16:00
5 min
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Commentaires (13)

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EL OUAFI La
| 27-09-2019 17:28
Bonsoir Gg vous l'avez remarqué aussi que moi Karim été profondément bouleversé je le suis moi aussi, Chirac était pour moi le grand Charles Bis oui cette homme au grand coeur issue de la France profonde,cette homme qui aimait les gens au franc-parler mon admiration pour cet homme est sans équivoque,mon chagrin est immense pour mon pays la France que je continue de l'aimer ouvertement avec fierté et honneur pour ce que la France m'a tout donné ; pour le grand Chirac qui était mon président et qui demeurera éternellement dans mon coeur.
Cette humaniste proche de nous immigrés devenus français par la grandeur de ce pays de liberté ou je me suis confiné en continuant de bosser en croyant dur comme fer en ce pays de droit et de liberté dont la réussite ne saurait tarder. Cordialement.(Manai )

Monia
| 27-09-2019 15:08
d'un Homme de c'?ur et profondément humaniste. Toutefois, il était un homme d'Etat "pleinement contemporain dans son temps", dans le sens où le pilotage de l'Intérieur comme l'Extérieur était très loin des énormes défis auxquels notre monde est confronté de nos jours.
Une lectrice assidue de vos chroniques hebdomadaires.

Gg
| 27-09-2019 14:51
Deux mots d'explication.
Sur les immigrés, avec son langage direct, Chirac a dit ce que pensaient et pensent tous les les français: ceux qui viennent en France pour vivre des aides et ne veulent pas vivre "à la française" n'ont rien à faire en France.
Ceux qui s' intègrent, viennent pour les valeurs françaises de laïcité et d'égalité des genres, et travaillent pour vivre, sont chez eux en France.

Sur le nucléaire, Chirac a autorisé 2 tirs en grandeur réelle pour que les chercheurs aient les données nécessaires à l'abandon de ces essais. Depuis, les essais se limitent au laboratoire, sur des échantillons de quelques atomes, de façon à valider les modèles. Il a donc bien oeuvré à arrêter les essais, mais en préservant l'autonomie de la France.
Voilà...!

saz
| 27-09-2019 13:36
Monsieur Guellaty, il ne vous a pas échappé que Chirac c'est aussi celui qui a tenu des propos odieux en 1991 sur "le bruit et l'odeur des immigrés" et plus encore celui qui en voulait aux immigrés qui, grace aux allocations familiales, touchaient 2 fois plus qu'un français dit "de souche". C'est aussi celui qui en 1995 reprenait les essais nucléaires dans le Pacifique au mépris des populations voisines. Mais ainsi était le personnage capable d'être critiqué ou adulé et ne pas laisser indifférent, ce qui est le propre des grands hommes

Gg
| 27-09-2019 10:59
Merci pour ce bel hommage à notre Chichi, notre président Chirac. Sa disparition met en lumière l'énorme capital de sympathie, d'affection que cet homme avait su créer autour de lui.
'?lu contre le FN, il avait su être le président de tous les français, et personne n'oublie cela.
On se rappelle aussi qu'il avait rendu son honneur à la France en disant non à la guerre contre l'Irak. Tout ce qu'il avait prévu de catastrophes consécutives à cette guerre s'est hélas réalisé, et continue de secouer le monde...
On se souvient de son humour ravageur, cette fameuse réplique à celui qui le traitait de connard, "enchanté, moi c'est Chirac"!
On se souvient comme il aimait taper le saucisson dans les bistrots des campagnes les plus reculées, de son évident plaisir au salon de l'agriculture...
Un érudit, un visionnaire politique, un homme du peuple à l'aise partout, partout chez lui.
Chichi nous a quittés, les français pleurent la perte d'un frère, d'un cousin, d'un père... l'émotion chez les plus jeunes est incroyable.
Merci Karim

EL OUAFI
| 27-09-2019 08:43
Sincères condoléances à votre famille,Sincères condoléances au peuple de France que vous venez de quitter.
L'histoire reconnaîtra en vous votre grandeur votre vision de ce monde votre défense des droits du peuple palestinien pour la conquête de ses droits à la reconquête de ses terres usurpées.
Oui même chahuté bousculé par l'occupant vos avez osé dénoncé cette tragédie auquelle ce peuple est confrontée votre acharnement pour que justice soit rendue aux opprimés de ce peuple palestiniens.
Votre peuple vous pleure, je vous pleure moi aussi par reconnaissance à vous d'avoir osé accompagné un autre Grand à mes yeux Bourguibua à sa dernière demeure.
Au revoir monsieur le président Chirac.(Manai )

Citoyen
| 27-09-2019 07:09
C'est un beau et vibrant hommage pour ce grand personnage si attachant.
C'était quelqu'un qui vous faisait aimer la France tel que nous l'aimons.

CHDOULA
| 26-09-2019 22:19
Votre article résume parfaitement ce dont on n'oubliera jamais de ce grand Homme qu'est Jacques Chirac à savoir : Authenticité, bonhomie , sincérité , amour de sa patrie , des humains , de l'art primitif et surtout de la vie . J'ai eu l'honneur d'être salué par Chichi en 96 et ma main droite s'en souvient encore ! soirée corona devant la TV ( pas la watania où il parait que c'est une soirée interview tête de veau ) ! Merci encore !

Be zen
| 26-09-2019 22:09
Je trouve la réaction de Mouwaten pleine d'intolérance et de haine. C'est sans doute un refoulé, complexé qui adore son gourou et refuse l'ouverture aux autres.
J'ai par opposition j'ai adoré la réaction de Tounsia2, toujours égale à elle même.

Be zen
| 26-09-2019 22:01
Sans triomphalisme, je vous remercie Karim Guellaty d'avoir pris vos responsabilités d'autant plus que la photo que vous avez choisie vous met plus en valeur.
C'est en tous cas mon avis.
La prochaine fois, j'interviendrai sur le fond si le sujet m'interpelle, je vous le promets.