Chokri.
Par Ahlem Hachicha Chaker
Un prénom. Ça n'a l'air de rien. Et pourtant ce prénom résume la Tunisie aujourd'hui, dans son passé imparfait, dans ses luttes, dans la complexité de son tissu social et intellectuel, dans son identité unique et particulière, dans ses valeurs, et surtout dans l'avenir qu'elle veut se construire.
Chokri Belaïd a été un militant, dans cette définition où l'on se reconnait. Militer, c'est s'engager à défendre des idées et des principes, c'est s'engager à défendre les plus faibles que soi, c'est s'engager pour un mieux être collectif, c'est s'engager à donner à son pays.
Chokri, au lendemain du 14 janvier 2011, dans une Tunisie qui se cherchait, est resté fidèle. Fidèle à une femme, fidèle à une histoire personnelle, fidèle à des idées, fidèles à un pays. Et surtout fidèle à nous.
Chokri a su trouver les mots quand les mots nous ont manqué. Il a été notre voix quand on voulait nous faire taire. Il a été le courage que nous cherchions. Il a trouvé la force de continuer et de nous donner envie de continuer.
Chokri a su faire la différence entre les personnes et les principes. Il a su être l'homme de gauche farouche, tout en sachant qu'il y avait de la place pour les autres dans son pays. Il n'a pas fait l'erreur de privilégier ses idées politiques sur l'intérêt du pays.
Chokri n'a jamais été complaisant. Lorsqu'il a fallu dénoncer ses amis d'hier et leurs dérives, il l'a fait. Lorsqu'il a fallu s'opposer à une nouvelle injustice qui voulait remplacer une ancienne injustice, il n'a pas hésité.
Chokri a défendu, toute sa vie, les opprimés, les abusés, les mal lotis. Mais surtout, il a défendu son pays, sa nation, son peuple.
Chokri a été cette intelligence tunisienne, faite d'humour, d'amour de la vie, de tendresse, de passion, de fougue, de bonhommie, de simplicité, de curiosité de l'autre.
Chokri était ce tunisien qui aimait la poésie, Dieu, sa femme, son pays, ses amis, ses enfants, les inconnus, les livres, la bonne chère, un pré vert, une plage, la musique. Pêle-mêle. Sans ordre hiérarchique.
Chokri sourit sur toutes ses photos. Il sourit dans nos mémoires.
Chokri a été assassiné. Parce qu'on croyait ainsi nous dire que tout ça était fini. Le temps des sourires, des joies, de l'amour, de l'esprit, des mots libres. On voulait nous dire que nous devions tous devenir gris, mornes, soumis. On voulait nous dire de ne plus sourire à un inconnu dans la rue, de ne plus humer une fleur au pied d'un mur, de ne plus être différent et unique. Chacun. Et tous ensemble.
Un pouvoir ignoble, abject, totalitaire, stupide a cru tuer un homme pour faire taire une nation.
Chokri est l'antidote dont nous avons besoin aujourd'hui. Il est ce message que notre Etat, nos institutions, le pouvoir et les candidats au pouvoir n'arrivent pas à entendre. Et pourtant il est là. Cet engouement pour Chokri, notre fidélité à sa mémoire vous montre la direction: droiture et courage. Nous ne voulons rien d'autre. Et nous n'accepterons rien d'autre.
Chokri est le proverbe mexicain qui dit "Ils ont voulu nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines". Chokri est une graine, nous en sommes les fleurs.
Chokri est immortel. Et nous aussi.