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Chroniques
Le gouvernement est encore en retard d’une guerre
Par Houcine Ben Achour
26/12/2019 | 18:59
6 min
Le gouvernement est encore en retard d’une guerre

 

Il ne faudrait pas que les PME tunisiennes et les investisseurs se réjouissent trop vite de l’annonce faite par la présidence du gouvernement de la prise en charge par l’Etat de 3 points de pourcentage des taux d’intérêt sur les crédits accordés par les banques et les établissements financiers au profit des PME autres que celles du secteur commercial, financier, immobilier, des mines et des hydrocarbures. N’est-il pas préférable d’attendre la parution du décret qui fixe les conditions et les procédures pour bénéficier d’un tel bonus afin de juger sur pièce ?

Car, telle qu’elle est annoncée, cette mesure suscite bien des interrogations. On ne connaît pas le calendrier de sa mise en œuvre. Est-elle prévue à partir de 2020 ou 2021 parallèlement à la révision des taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés ? Par ailleurs, On n’a pas connaissance de son impact financier. Or, compte tenu de son ciblage, le coût de financement de cette mesure risque de devenir exorbitant si l’avantage des 3 points n’est pas accompagné d’un montant-plafond. Une chose est sûre, la mesure aura inévitablement un coût. Or, celui-ci n’apparait pas dans le budget de l’Etat. Ce qui laisse supposer que cette mesure interviendrait à partir de 2021 ; à moins que le gouvernement ne se décide d’ores et déjà à piocher dans l’enveloppe des « dépenses imprévues » ou bien à utiliser l’instrument du crédit d’impôt. On verra bien.

 

En revanche, ce que l’on ne voit pas bien ce sont les raisons d’un tel retard dans la prise de décision d’une telle mesure. N’aurait-il pas été plus opportun et plus efficace de l’avoir engagé bien auparavant ; dans la foulée du dernier relèvement du taux directeur de la Banque centrale en février 2019 ? N’aurait-il pas été plus logique de fixer le bonus à 2,75 points de pourcentage annulant, ainsi le différentiel de hausse du taux directeur de la BCT qui est passé, en moins de douze mois, de 5% à 7,75% entre mars 2018 et février 2019 ?

C’est cette lente réactivité qui a fait l’échec du gouvernement sortant. Que dire alors de ses capacités d’anticipation. Elles ont été quasi-nulles. Il n’en faut pour preuve que les déboires vécus cette année par le secteur agricole. La crise actuelle de la filière de l’huile d’olive ne peut faire oublier celle vécue, il y a à peine quelques mois, par le secteur céréalier, ni celle vécue par la filière du lait en début d’année 2019 et qui risque malheureusement de se reproduire en 2020.

Le gouvernement n’a pas su anticiper ni la pénurie, ni l’abondance.

 

Dès la fin du 4e trimestre 2018, le gouvernement n’était pas sans savoir que la filière laitière allait enregistrer un recul de son activité. Au lieu de la soutenir par une politique d’aide aux éleveurs et braver la pénurie, il a opté pour des importations massives qui non seulement allaient creuser le déficit de la balance commerciale alimentaire mais alourdir aussi la charge de compensation dans la mesure où le coût d’importation d’un litre de lait dépassait le prix public du produit (une vingtaine de millimes par litre selon certaines sources). Autrement dit, on a subventionné l’éleveur ou l’industriel étranger au lieu et place de subventionnée la filière laitière locale. Ce scénario est en train de se reproduire d’ailleurs.

La gestion de la campagne céréalière est du même registre en termes d’absence d’anticipation. Le gouvernement ne pouvait pas ignorer que la récolte céréalière allait enregistrer un record. Dès le mois de mars 2019, le Département américain de l’Agriculture d’un côté et l’Union européenne de l’autre avaient prévenu que la campagne céréalière tunisienne 2019 allait être exceptionnelle, prévoyant une hausse de la production variant entre 30% et 50% par rapport à celle de 2018. N’était-ce pas à ce moment-là qu’il convenait de se préparer à répondre à toutes les éventualités ? Pire, au lieu et place, on a décidé de réduire la logistique de transport des céréales de 25% par rapport à 2019. Le gouvernement a attendu le démarrage des moissons pour se rendre compte du désastre annoncé et décider de prendre des mesures qu’il aurait dû logiquement engager ex-ante.

 

La crise qui traverse actuellement la filière de l’huile d’olive est du même acabit. Le gouvernement ne pouvait pas ignorer que la récolte d’olives allait être exceptionnelle. Il ne pouvait ignorer que la production d’huile d’olive qu’elle générerait allait accroître sensiblement l’offre au niveau mondial. Il n’était pas sans savoir que les stocks d’huile d’olive au sein de l’espace européen, notre marché d’exportation traditionnel d’huile d’olive, ont atteint des niveaux très élevés : 859 000 tonnes à la fin du mois de septembre 2019, en hausse de plus de 60% par rapport à 2018 et de près de 170% par rapport à 2017. A telle enseigne que la Commission européenne a autorisé début novembre « une aide au stockage privé » afin de « desserrer l’étau sur un marché marqué par des stocks déjà élevés : 859 000 tonnes estimées au 30 septembre 2019 dans l’Union européenne (dont 88% en Espagne), en hausse de 61,8% sur un an et de 166,8% sur deux ans ».  

Le gouvernement ne pouvait pas ignorer que ce qui s’échangeait l’année autour de 5 € le litre d’huile d’olive se négocie aujourd’hui autour de 2,5€.  Avec tout cela, il fallait s’attendre à des tensions sur la filière et agir et non réagir. Le quotidien La Presse titrait le 4 novembre 2019 : « Production exceptionnelle d’huile d’olive, une surabondance difficile à gérer ». L’article remarquait que « l’abondance de l’offre révèle cependant plusieurs difficultés qui pourraient affecter la production et la récolte dans son ensemble, en raison, d’abord, d’un manque cruel de main-d’œuvre et de la chute des prix qui pourraient dégringoler à leur niveau le plus bas depuis cinq années, d’autant plus que les producteurs font aussi état de la présence d’un stock d’huile important issu de la récolte de l’année écoulée encore invendu ».

 

Il a fallu attendre la fin du mois pour que des mesures soient prises alors que la campagne avait déjà commencé. Mesures qui n’ont pas suffit car elles privilégiaient plus le volet exportation que la filière dans son ensemble. Il a fallu renforcer dernièrement le dispositif à travers deux mesures qu’il convenait de prendre bien plus tôt, à savoir la fixation d’un prix de référence et la mobilisation des moyens pour réguler le marché en augmentant les capacités de stockage de l’Officie national de l’huile (ONH).

 

Le gouvernement de Youssef Chahed a échoué en raison de ses absences d’anticipation, ici comme ailleurs. Toujours en retard d’une guerre.

Par Houcine Ben Achour
26/12/2019 | 18:59
6 min
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Commentaires (4)

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Manixsv
| 28-12-2019 23:33
Helas, cest ce qui arrive quand c'est l'Etat qui doit gerer la logistique du transport de marchandise. Mais comment avoir le pouvoir absolu de tout controler autrement ?
Le manque d'anticipation est plus dramatique quand il est incapable d'anticiper les classes nécessaires au baby boom post révolution

DHEJ
| 28-12-2019 19:05
Le travail peut résoudre tous les problèmes mais il faut déjà que le Chef de L'Exécutif mette l'armada des fonctionnaires sous son autorité au boulot.

Or le GAMIN n'en est pas capable !

Zem
| 28-12-2019 08:36
A vous lire et à écouter bon nombre de personnes, tous les maux dont nous souffrons sont de la faute de autres. Pour certains, nous ne sommes responsables de rien de ce qui nous arrive. C'est soit de la faute des romains, soit des US, soit des français, soit des anglais, soit des ..., soit du ..., soit de Bourguiba, soit de Ben Ali etc.. Tant que nous penserons ainsi et chercherons des coupables pour justifier nos problèmes, nous ne ferons que reculer. Les problèmes seront seulement résolus par le travail, la créativité, le civisme, en éradiquant la corruption, etc, etc, et en se donnant des coups de pieds dans le C.. et la liste est longue.

DHEJ
| 27-12-2019 10:28
Comme son chef...

D'ailleurs est-il un mercenaire à la solde US pour foutre la famine au bled?!