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La Tunisie retirée de la liste noire, et après ?
22/01/2018 | 20:00
11 min
La Tunisie retirée de la liste noire, et après ?

Par Jihed Hannachi*


L’Union Européenne a envoyé au monde un message négatif sur le climat des affaires en Tunisie, en la classant comme paradis fiscal. Les agences de notation font de même en dégradant incessamment notre rating. Après les vagues d’indignation et le soulagement suite aux promesses de retrait de cette liste, pourquoi ne pas agir afin de tirer profit de cette crise au lieu d’avoir une posture défensive et réactive se limitant à faire le nécessaire pour ne plus figurer dans ladite liste ?

 

Nous devons agir, non pas parce que l’UE, les agences de notation ou l’IMF nous poussent à le faire mais parce que nous, Tunisiens, nous aspirons à mieux. Et pour cause ! Il y a tellement de clignotants au rouge que le classement en tant que paradis fiscal - et ce qui aurait dû être fait pour l’éviter- deviennent secondaires.

Nous avons une administration en sclérose, une sorte de dinosaure qui peine à s’aligner sur les prérequis de l’époque et de l’étape. Nous avons une corruption rampante, un secteur informel florissant au point qu’il engrange plus de 50% de l’économie, un attentisme du capital dû à la non-visibilité et à l’instabilité des règles du jeu mais aussi à un grand opportunisme et manque de vision long terme.

Nous avons une inflation galopante, des syndicats à l’horizon très court terme, des politiques égoïstes, une banque centrale à court de solutions, un arsenal juridique complexe et plein de failles et une gestion de la chose publique archaïque.

 

Face à cela, nous avons un gouvernement - ou dois-je dire des gouvernements successifs- à court d’imagination et de courage pour entreprendre une vraie refonte sur le plan économique et social.

On nous gouverne avec des effets d’annonce creux et sans lendemain. On nous fait des annonces sans qu’il y ait des actions qui s’en suivent. On entend tous les jours des initiatives pour digitaliser telle ou telle administration, pour une réforme transversale qui casse avec la gestion cloisonnée et départementale de notre administration. On entend que tel ministre est chargé de trouver une solution pour accélérer telle réforme qui stagne, qu’il a un mois pour ce faire. Des mois après, rien ne se passe et on nous fait d’autres annonces. Maintenant, place au start-up act et à la réduction du nombre d’étapes pour la création d’entreprise de neuf à cinq.

On veut initier une révolution a coup d’annonces, de symboles, de lois et d’encore plus d’avantages aux investisseurs.

On a le temps de se réjouir du moindre « accident » qui donne ce qui ressemblerait à une amélioration ou à une reprise du tourisme, de la production agricole ou de l’investissement. Etonnant !

Prenons nos responsabilités et initions nous-même la refonte économique et sociale à laquelle nous aspirons. En fin de compte, ni nos « amis » de l’UE ni l’IMF et les agences de notation ne sont en mesure de définir pour nous ce que nous devons faire. Cela peut paraitre confortable de ne pas avoir à bâtir notre propre chemin. Mais il y a le biais de l’intérêt propre de nos « amis » dans ce qu’ils nous recommandent. Et puis, attendez, les Tunisiens n’ont pas fait une révolution pour qu’on vienne leur dicter ce qu’ils doivent faire après ? Nous devons être d’accord au moins sur ça.

 

Voilà une proposition concrète pour corriger cette atteinte à l’image du climat des affaires en Tunisie et pour se repositionner sur l’échiquier international comme un pays où il fait bon entreprendre et vivre. Un pays qui crée la valeur par le travail, l’innovation et l’ouverture au monde :

 

1)      Brisons le tabou de la transparence

Au fond, je comprends le malaise de nos gouvernants : L’UE leur demande d’accepter d’échanger les données sur les avoirs des citoyens européens en Tunisie (comptes financiers ou titres, parts dans des sociétés passives, polices d’assurance-vie), annuellement, de manière automatique et sans aucune formalité par ailleurs (pas même une demande). C’est l’échange automatique d’information, invoqué comme l’une des trois raisons du classement de la Tunisie en tant que paradis fiscal.

L’UE demande un tel échange d’informations sur ses contribuables à elle installés en Tunisie alors que notre propre fisc ne peut pas avoir accès aux mêmes informations sur ses contribuables aussi facilement. Après maintes tergiversations au cours des débats sur la loi de finances 2017, le législateur a fini par alléger la procédure mais on est loin de l’échange systématique. Il faut en finir avec cela.

Tout simplement en instaurant un envoi automatique des données sur les avoirs chez les banques et les compagnies d’assurances à l’administration fiscale tout en assurant la sécurité desdites données et en définissant clairement le cadre de leur utilisation par le fisc.

Utilisons ensuite la requête de l’UE, qui fait sens par ailleurs, pour négocier la réciprocité, c’est-à-dire demander un échange automatique des données des contribuables tunisiens dans les pays de l’union.

 

2)      Passons directement à la 5G

Pourquoi devons-nous évoluer linéairement ? Et si on passait directement aux dernières technologies disponibles pour connecter et servir tous les Tunisiens ? Pourquoi est-il difficile de permettre à tous les tunisiens de disposer d’un compte bancaire, de pouvoir payer et être payé instantanément, de signer leurs contrats de manière digitale, de contacter leur médecin pour une consultation à distance pour déterminer s’il y a besoin de planifier une consultation au cabinet ou à l’hôpital, de suivre les résultats scolaires de leurs enfants au fil de l’eau, … Nous sommes tous là à faire la queue pour des copies conformes et légalisation de signature, puis à la recette des finances pour enregistrer lesdits contrats afin de leur donner une date certaine. Pas mal pour une nation qui veut aller de l’avant !

Parfois, il revient plus coûteux de digitaliser un processus existant (compensation des chèques, enregistrement des contrats, etc.) que d’instaurer un nouveau processus. Sachant qu’on va adopter la technologie qui est aujourd’hui la dernière in fine lorsque les autres nations adopteront la 6G, 7G. Rattrapons ce retard d’un seul coup et mettons-nous au diapason. On ne peut pas imaginer la valeur que ça va contribuer à créer. Tentons le coup, franchement on n’a pas grand-chose à perdre.

 

3)      Digitaliser les moyens de paiement et bannir le cash

Tout le monde étant connecté à la 5G, il faut bannir le cash aussi bien pour les entreprises que pour les professionnels et les particuliers. Nos banques se battent toujours pour avoir le plus grand nombre d’agences alors que la bataille est au niveau du nombre d’utilisateurs de leurs applications mobiles, si tenté qu’elles ont en une.

Les banques ont la responsabilité de mettre en place une tarification agressive pour les transactions via mobile et en ligne voire la gratuité pour les paiements, au lieu de nous facturer les coûts de l’inefficacités de leurs systèmes et du systèmes financier en général.

Pourquoi il y a une sorte de tyrannie du chèque, encore et toujours ? Pourquoi on insiste à automatiser des pratiques bureaucratiques d’un autre âge (la télé compensation, allez expliquer ça à un jeune) alors que la technologie actuelle permet de payer et de se faire payer instantanément ? Imaginez la fluidité que ça engendrerai dans l’économie.

 

4)      Prenons le train de la 4ème révolution industrielle

La Tunisie a raté le train de l’industrialisation. On n’a pas réussi à sortir de la logique de la loi 72 à savoir nous efforcer d’attirer les industriels pour des raisons de bas coûts. Positionnons-nous sur les industries du 21ème siècle : La haute technologie.

Nous sommes en train de répéter pour les industries créatives et la haute technologie ce qu’on a fait pour les industries manufacturières en 1972 (c’est-à-dire il y a plus de quarante ans !) : Venez investir ici, ça coute moins cher et en plus on va vous donner des avantages fiscaux et financiers.

Changeons de paradigme. Osons nous positionner comme un hub d’innovation véritable. L’approche de la loi 72 était adaptée en son temps, elle ne l’est plus.

Il nous faut une nouvelle approche et elle est dans la haute technologie. Dans ce secteur on est sur la même ligne de départ que la plupart des pays qui nous devancent par ailleurs et on a des avantages intrinsèques qu’on devra certainement jouer. Osons nous mesurer à Singapour, Hong Kong, La Finlande ou encore l’Estonie, et pas uniquement sur le papier.

 

5)      Utiliser véritablement des approches non classiques pour résoudre les grands problèmes de la nation

L’actuel chef du gouvernement a dit dans son discours d’investiture devant la Chambre des Représentants du Peuple, qu’il nous faut aborder les problèmes de la nation en ayant recours à des solutions non classiques. Et il a raison.

Faute de quoi il est allé résoudre le problème de l’évasion fiscale en créant un nouvel organe « la police fiscale », qui est une solution on ne peut plus ancienne. Elle remonte littéralement à la nuit des temps. C’est tout ce que toute une armada de conseillers économiques, financiers et fiscaux a pu inventer ? Pas mal.

Faute de quoi, on commence à réfléchir sur la décentralisation et on inaugure le nouveau siège du Centre de Formation et d’Appui à la Décentralisation …à Tunis ! A défaut d’être efficace, l’action de nos gouvernements deviens anecdotique.

Les exemples se multiplient et l’essence est la même : Les tunisiens vous ont donné le pouvoir pour en faire quelque chose, mais pas n’importe quoi, mais pas pour faire du sur place. Osez vraiment des solutions non classiques, ça justifierai les sacrifices que vous nous demandez.

Et les solutions non classiques, il y en a. Il faut juste arrêter de penser en terme d’unité, commission, police et de miser sur la haute technologie. Cessons de construire des directions régionales puis locales puis communales et investissons dans des centres de données, une haute connectivité et des services en ligne aux citoyens là où ils sont. Cessons de s’acharner à « réformer » l’administration, une opération qui se résume à reproduire électroniquement des procédures conçues pour un autre âge. Tout le monde aurait vu que ça ne marche pas.

Créez des unités pilotes, complètement digitales, et incitez citoyens et entreprises à les utiliser. Le service le moins chère, le plus rapide, le plus simple et le plus déterritorialisé se vendra par lui-même. Une sorte de migration va s’opérer naturellement de la bureaucratie vers la commodité.

Afin de parler aux investisseurs, commencez par les entreprises.

L’association SBR Tunisia œuvre depuis 2016 à promouvoir un seul portail où les entreprises s’acquittent de toutes leurs obligations déclaratives, en s’inspirant des meilleures expériences dans le monde. Il ne s’agit pas de faire la déclaration fiscale ou CNSS en ligne et de se déplacer pour le paiement ou pour les quittances ou alors pour déposer les états financiers ; Et avoir à se déplacer encore une fois au registre du commerce pour déposer ces mêmes états financiers. Il s’agit de s’acquitter de toutes les obligations à distance et, s’agissant des obligations déclaratives, de manière complètement automatique.     La technologie est là, la feuille de route est là, les parties prenantes sont identifiées et ont été approchées. Vous savez ce qui vous reste à faire pour éliminer paperasse, file d’attente et duplication et donner à la nouvelle administration les moyens d’être plus efficace, aux entreprises la possibilité de se focaliser sur la création de valeur pour leurs clients et à la Tunisie l’opportunité pour se positionner comme étant un pays où l’environnement des affaires est en train d’évoluer vers la transparence et efficacité.

 

6)      Démocratisons nos entreprises

Se positionner en tant que pays pionnier dans le domaine de la technologie nécessite une nouvelle manière de gestion. L’entreprise et l’administration en réseau, basées sur la donnée, la collaboration et l’intégration avec un écosystème innovant et à la pointe de la technologie ne peuvent être structurées de manière militaire en une pyramide qui n’est justifiée que par le fait que le pouvoir appartient à celui qui détient l’information. Libérons l’information, les connaissances et les énergies dans nos entreprises et nos administrations, le pouvoir sera naturellement entre les mains de ceux qui, compte tenu de la situation, sont les mieux placés pour inspirer, motiver, innover et créer de la valeur. Ceux-là changeront en fonction des circonstances et rien ne justifiera plus l’héritage ou la « présidence » à vie, à tous les niveaux. Nous avons aboli ça de notre système politique (quoi que…), faisons de même pour le système économique. Ouvrons la voie à l’émergence d’un nouveau leadership, adapté à l’époque et à ses défis.

 

7)      Commencer maintenant

Commencez maintenant, c’est urgent. Avec SBR Tunisia, nous avons déjà commencé à faire notre part et nous continuerons. Nous sommes de loin pas les seul à proposer des solutions concrètes et à être prêt à contribuer à les mettre en place.

A vous, gouvernants et autres investisseurs, entrepreneurs et administrations, de faire la vôtre.

Qu’il y ait retrait de la liste noire ou non, le niveau d’urgence reste le même parce qu’on n’a de choix que d’être à la hauteur de notre rendez-vous avec l’histoire.

 

* Président de SBR Tunisia

22/01/2018 | 20:00
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Commentaires (6)

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makgech
| 23-01-2018 23:48
Quand la diaspora par ses divers transferts s'avère être la première contributrice au produit national, il conviendrait de ne pas faire tarir une telle (res)source, si précieuse.
Ce que fait notamment Malte pour protéger ses expatriés, tout en ne se pliant guère aux dictats de ceux qui, dans l'UE, s'accaparent les parts léonines des pouvoirs et des richesses!

déja-vu
| 23-01-2018 11:05
Si nous choisissons de nous enfermer dans un monde virtuel ou nous sacrifions la justice, la vérité, la compétence et la transparence au nom d'une "révolution" qui immunise des assassins et des truands sans foi ni loi, ne demandons pas aux autres d'etre aussi hypocrites et suicidaires que nous.

Les usuriers sont peut-etre "lâches", mais pas fous...

Ils applaudissent vos illusions, se prennent en photo au lablabi..et savent tout sur vous, directement des gens... pas des radios et tvs qui chantent la meme chanson, l'"hymne à Ali baba".

Ces usuriers sont impitoyables quand il est question de sous...

Ils/elles font leur boulot et bien.

Ce pays a avant tout besoin d'un nouveau départ...Un bilan impartial et intraitable de toutes les magouilles depuis 7 ans.

La, le peuple aura confiance et travaillera. Votre "nouveau leadership" réussira. La Tunisie renaîtra.

Pas avant. Pas avec des charlatans.

saz
| 23-01-2018 01:26
Accuser l'UE et le FMI alors même que l'inventaire de Mr Hannachi est dans le collimateur de ces institutions depuis belle lurette: corruption, fiscalité aléatoire, contrebande, terrorisme etc..me parait inopportun. Franchement quel intérêt aurait l'UE par exemple à nous chercher noise. Nous ne sommes ni l'Iran ni le Vénézuéla. Quand à la réciprocité des contrôles fiscaux, sachez Mr Hannachi que le contribuable tunisien a tout intérêt comme tout citoyen français à être en règle avec l'administration fiscale française qui ne badine pas avec les fraudeurs.Je suis par contre d'accord avec vos vos propositions ,mais trop de retard a été pris. Se mesurer à Singapour, HK ou la Finlande n'est pas pour un avenir proche. Chez eux le civisme, la rigueur dans le travail à quelque niveau que ce soit et l'efficacité qui s'en suit, la tolérance qui fait que malgré une minorité musulmane, Singapour peut désigner une femme musulmane à la Présidence de la République, est l'équivalent d'une religion. Chez nous aborder l'équité homme-femme devant l'héritage est déjà un tabou. Quant à parler de nuisance des haut-parleurs mal réglés des mosquées (et non du contenu du message) est un blasphème.Dans nos administrations ,un fonctionnaire peut s'absenter de son poste de travail pour accomplir ses prières dans la mosquée du coin alors même qu'elles peuvent l'être sur place. Combien reviennent après la prière du Asr. L'insalubrité de nos villes et même de nos campagnes feraient pâlir un HongKongais ou un Singapourien pour qui jeter un mégot ou un chewing gum parterre est un délit puni par une forte amende.De même que manger dans les transports publics. Je ne connais pas un pays qui a pu émerger au sein d'un b... ambiant. Dans les pays émergents l'individu est avant tout un citoyen responsable devant l'autorité et devant ses semblables. Chez nous il donne l'impression d'être plus un adepte d'une religion apte à s'enflammer pour une remise en question du dogme. Restons tout de même optimiste.

Kr
| 22-01-2018 21:51
La vision nomade a une autre vision

sss
| 22-01-2018 21:35
Tout à gagner! mais il faut vouloir le faire! Se jeter à l'eau et apprendre à nager et essayer de ne pas se noyer!!! Là est la question veut on vraiment le faire car si on veut tout est possible

Gg
| 22-01-2018 21:18
Ah la belle affaire!
Il y a beaucoup plus urgent que cet inventaire à la Prévert: choisissez si vous êtes un pays islamiste, acquis à daech et AQMI, ou un pays tolérant, moderne, démocratique.
Tant qu'il y aura des troupeaux de terroristes dans vos campagnes, protégés par une partie des hauts responsables du pays, tant que les organisations terroristes auront pignon sur rue jusque dans la capitale, tant que vos administrations justice etc... n'auront pas été lavées des souillures islamisantes, toute cette liste vertueuse ne sera d'aucune efficacité.
Ou bien tournez le dos à la démocratie.
Mais soyez clairs.
Le reste viendra... Après.