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Chroniques
La pratique fera mûrir la classe politique, pas les lois
Par Marouen Achouri
20/02/2019 | 15:59
3 min
La pratique fera mûrir la classe politique, pas les lois

 

La classe politique tunisienne est largement critiquée sur plusieurs aspects. Outre l’absence de projet et de programme, on critique sa volatilité d’un côté, et le fait qu’il existe 216 partis officiels en Tunisie.

Il est tout à fait compréhensible que la combinaison de ces deux maux fait que la classe politique nage dans un marasme obscur aux yeux de l’opinion publique. L’idée d’imposer un seuil électoral de 5% au lieu des 3% appliqués lors des élections précédentes est bonne en soi. Mais son défaut réside dans le fait que c’est une loi qui pourrait correspondre uniquement à des démocraties établies dans la pratique et dans la pensée, ce qui est loin d’être le cas de la nôtre. De prime abord, il s’agit d’une proposition visant à exterminer les petits partis et les petites voix, ou du moins à faire en sorte qu’ils ne soient plus représentés à l’ARP. Il est vrai qu’avec une telle loi, un Faycel Tebbini ou un Salem Labiadh ne seraient plus députés, ce qui, honnêtement, ne serait pas une grande perte pour le cheminement démocratique de la Tunisie.

 

Mais il ne faut pas compter sur cette mesure pour rationaliser les égos et pour obliger les familles proches idéologiquement à se rassembler. Comme l’a très bien fait remarquer le secrétaire général d’Attayar, Ghazi Chaouachi, les plus grosses divisions ont été subies par les partis au pouvoir et non par ce qu’ils appellent petits partis. Et puis, on a vu précédemment que l’égo de certains de nos leaders politiques défiait toute logique et toute rationalité, ce n’est certainement pas une mesure de ce genre qui leur rendra la raison. La gestion de la vie politique tunisienne n’a pas besoin de lois supplémentaires pour être régulée. Si cela avait été le cas on aurait résolu, auparavant, le problème du financement des partis par exemple, où l’arsenal juridique est prêt mais non appliqué.

 

Il y a également ce que l’on appelle « le tourisme partisan » qui dérange nos politiciens au plus haut point. En fait, ce qui les dérange c’est d’être confrontés au risque de voir leurs rangs s’effriter. Les partis et les blocs n’ont pas l’ossature idéologique suffisante pour garder leurs élus, ils n’ont pas la substance politique et la combinaison de principes nécessaires pour que les élus y adhérent par pure conviction. Par conséquent, les élus sont parfaitement corruptibles soit par le pouvoir et l’ambition soit par l’argent. D’ailleurs, on attend toujours les listes d’élus corrompus que l’on nous avait promis de part et d’autre à l’époque où l’UPL de Slim Riahi était l’un des adversaires de Nidaa Tounes.

 

Encore une fois, nos politiciens veulent juguler ce problème en mettant en place une loi. Dans une sorte de constante fuite en avant, les décideurs politiques tunisiens refusent toute remise en question et comptent sur la loi pour palier leurs faiblesses. D’autre part, la désertion de certains élus et le fait qu’ils changent de bord est une question qui influence les équilibres au sein de l’Assemblée uniquement. Ce n’est en aucun cas une préoccupation de l’opinion publique ou du peuple. Avec leurs discours et leurs pleurnicheries les politiciens souhaitent en faire un vrai problème pour accumuler du soutien au profit de leurs arguments. Mais l’opinion publique sait reconnaitre un bon élu, d’un mauvais, et ce n’est pas son appartenance politique qui détermine cette réalité.

 

Les élections de 2019 arrivent à grands pas et les différents partis politiques tunisiens commencent leur guerre de positionnement. Pour resserrer leurs rangs et pour éviter ce qu’ils considèrent comme un éparpillement de voix, ils utilisent l’arme législative qui leur est dévolue en proposant des lois et des amendements vides de sens. Ce n’est qu’une manifestation de plus de l’impuissance des partis à garantir l’allégeance de leurs propres députés d’un côté, et leur incapacité à offrir un discours politique assez consistant pour éliminer de fait les « petits partis ». Cette vacuité du discours politique, cette incapacité à proposer, à innover, à former une alternative, voilà les vrais problèmes des partis politiques tunisiens. Malheureusement pour eux, ce ne sont pas des problèmes que l’on peut résoudre en votant des lois.

Par Marouen Achouri
20/02/2019 | 15:59
3 min
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Commentaires (2)

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jendoubi mehdi
| 24-02-2019 13:01
Très pertinent. Il n'est pas fréquent de lire des articles avec autant de qualités: bien pensé, bien écrit, et équilibré. les lois fixent un cadre, délimitent le terrain de l'action publique, mais ne sont qu'un facteur parmi les multiples autres qui déterminent l'action politique, dont la pratique et l'expérience cumulée à l'échelle individuelle et collective, comme vous le mentionnez ci-bien. La pensée politique, la culture générale des acteurs politiques et des citoyens, l'histoire de chaque pays, la gravité des crises et mutations sociales profondes, y contribuent aussi largement.
Eriger une loi, c'est aussi fixer un rapport de forces, souvent non-dit et non reconnu par les promoteurs de la loi qui peuvent cacher leurs objectifs tout en proclamant l'intérêt public, et c'est pour cette raison que les lois fixant le cadre de la vie publique gagneraient à être consensuelles, autant que possible. La politique, par nature, exaspère les conflits et il est sain, que les règles du jeu soient perçues comme acceptables par tous.

Tunisino
| 21-02-2019 13:29
La pratique c'est pour les métiers, même les métiers, il faut faire des études pour un apprentissage de qualité. Au lieu de 'la pratique', il faut peut être dire 'les valeurs'. Des politiciens sans valeurs ne sont utiles que pour détruire!