La mort des nouveau-nés :
Un crime avec préméditation
Pour un nouveau-né, la mort n’est pas la règle. Elle n’est pas une fatalité. La mort, quand il s’agit d’un nouveau-né, est un accident terrible de la vie. Mais comme pour tout accident, s’il est prémédité, il devient un crime.
Tout le pays a été secoué ce week-end par le décès de onze nouveaux-nés dans le centre de maternité et de néonatalogie de Tunis. Ce traumatisme collectif causé par cette catastrophe nationale s’explique par le nombre de victimes trop élevé ainsi que par le comportement peu respectueux envers leurs familles et leur prise en charge catastrophique par les structures du ministère de la Santé.
Cette catastrophe, il n’y a pas d’autres mots pour la qualifier, a mis à nu, dans toute sa laideur, la réalité de notre système de santé, délabré, sclérosé et définitivement inapte à assumer sa mission envers les 87% de Tunisiens qui ne peuvent pas se soigner, eux ou les membres de leurs familles, faute de moyens, dans le secteur privé.
Bien entendu, les politiques n’ont pas raté l’occasion pour nous faire leur cirque. Les partis politiques ont publié des communiqués pour exprimer leur indignation, un ministre a démissionné, un conseil des ministres s’est tenu en urgence et cette question sera l’un des points de la réunion du Conseil de la sûreté qui se tiendra lundi sous la houlette du président de la République. Tous semblent effarés, surpris et impatients de désigner un responsable sur qui on pourra se décharger et qui sera le fusible qui sautera pour permettre à tout le système défectueux de la santé publique de donner l’impression de résister, jusqu’à la prochaine catastrophe.
Tous, sauf les plus avertis, surtout parmi les professionnels de la santé, qui voyaient le drame venir et pour qui la mort des onze nouveau-nés à la Rabta était une catastrophe attendue, prévisible et annoncée.
Sans essayer de se voiler la face, la société tunisienne de pédiatrie a annoncé dans un communiqué publié samedi, que le décès des onze nouveau-nés est dû à des infections nosocomiales dont le point de départ serait un produit d’alimentation parentérale. Elle a appelé les autorités à faire la lumière sur les circonstances de la contamination des produits et à prendre les mesures nécessaires pour mettre en conformité les services de soins avec les normes réglementaires. Elle a enfin rappelé la précarité des conditions de travail des professionnels de la santé et l’urgence de sauver l’hôpital public.
En vérité, ce communiqué n’est que le dernier cri d’alarme lancé par le les professionnels de la santé. Il y a neuf mois, en juillet dernier, l’un d’eux, le docteur Mohamed Douagi, avait alerté sur la situation catastrophique de ce même service de réanimation néonatale de la Rabta, condamné de gérer quinze mille naissances chaque année, en plus des transferts, avec seulement un médecin chef du service et deux de ses assistantes.
L’année dernière, cinq autres enfants ont trouvé la mort dans un service de néonatologie d’un autre hôpital de la capitale. Au cours des dernières années, des dizaines de dossiers de corruption, de malversations, de crimes organisés dans le secteur de la santé ont été mis à jour. Les affaires du sang contaminé, des stents périmés ou de la contrebande des médicaments ne sont que des exemples parmi des dizaines d’autres.
Dans son rapport pour l’année 2016, l’Instance nationale pour la lutte contre la corruption a présenté 46 recommandations touchant le secteur de la santé parmi les cent recommandations contenues dans son rapport.
Alors de grâce, ne cherchons pas de bouc émissaire à la mort des onze nouveau-nés. Cherchons plutôt un remède à notre système agonisant de santé publique. Ce remède existe si nos politiques veuillent bien rompre leurs rapports de vassalité avec les instances internationales et mettre l’intérêt de leurs concitoyens au dessus de leurs intérêts égoïstes.