La cour de l’hypocrisie
On ne parle plus que de la cour constitutionnelle aujourd’hui. Priorité des priorités, urgence des urgences, nécessité de la mettre en place dans les plus brefs délais, dangers des violations de la constitution… Autant de phrases sérieuses qu’on n’entendait il y a quelques années. Lorsqu’on avait le temps et tout le luxe nécessaire de se consacrer, à tête reposée, au vote des membres de la cour constitutionnelle, loin de l’urgence, des pressions et des échéances électorales.
Ceux qui crient au scandale aujourd’hui et dénoncent un retard « gravissime » dans la mise en place de cette cour « de la plus haute importance » ont raison de le faire. Seulement, ils auraient dû le faire il y a des années, surtout lorsque l’on sait que ce sont les mêmes qui avaient tous les pouvoirs de donner naissance à cette cour, mais ont tout fait pour faillir.
Petit à petit, les langues se délient avec le temps, mettant en lumière cette grande hypocrisie générale dans laquelle la plupart des élus de la majorité sont complices.
Sahbi Ben Fredj a rappelé ce matin dans l’un de ces statuts habituels sur la toile « l’historique des sabotages » par lesquels est passée la cour constitutionnelle depuis des années. Depuis 2015, les députés d’Ennahdha et de Nidaa avaient le nombre de députés requis pour boucler l’affaire. Mais aucun consensus n’a été trouvé. La volonté n’y était pas d’un côté, alors que de l’autre, elle l’était un peu trop pour entraver le processus.
Lotfi Zitoun, ancien conseiller de Rached Ghannouchi, a exprimé hier « sa préoccupation face à l’absence de la CC, la seule apte à juger les agissements du président de la République ». Lui-même est issu de ce parti qui a entravé pendant des années le vote des membres de la CC et a fait qu’on n’en parle finalement qu’aujourd’hui lorsqu’il est trop tard…ou presque.
Ce n’est en effet qu’avec le vote des amendements du code électoral et le refus de Béji Caïd Essebsi de signer sa promulgation que la polémique a enflé.
Il y a quelques années, voire quelques mois, le citoyen moyen n’avait jamais entendu parler de la cour constitutionnelle ni de son « extrême utilité et urgence ». Aujourd’hui, on ne parle plus que de la nécessité de la mettre en place, dans les plus brefs délais afin de rectifier le cours de la démocratie et d’empêcher le président de la République de tomber dans l’anti-constitutionnalité. Jamais politiques et élus du peuple n’ont été aussi respectueux de la Constitution et soucieux d’appliquer ses moindres subtilités.
La cour constitutionnelle est en effet LA priorité des priorités. Mais elle l’était déjà depuis 2015 lorsque le parlement avait le temps nécessaire de la voter dans les règles de l’art. Tous ces blocages et cette perte de temps ne prouvent qu’une volonté manifeste qu’elle ne voie enfin le jour que dans des circonstances bien établies, et sous des conditions bien précises.
Il est très peu probable que la cour constitutionnelle soit mise en place avant les élections. Et même si tel était le cas, il serait sans doute encore plus dangereux de lui donner naissance dans des délais aussi courts et sous le coup des pressions.
Selon la Constitution tunisienne (article 148 alinéa 5), le parlement dispose d’une année au maximum pour mettre en place la CC, à compter de la date de tenue des législatives. Mais tout comme elle aurait dû être créée un an après les législatives de 2104, rien ne présage qu’elle le sera dans les temps cette fois-ci. Rien ne présage, non plus, que le nouveau parlement, fruit des prochaines législatives, constituera un environnement moins dangereux pour mettre sur pied une cour aussi délicate…