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Chroniques
Jabeur Mejri : Une victoire au goût de défaite
21/01/2014 | 1
min
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Par Ines Oueslati

A bord d’un bus qui se dirige vers Mahdia me voilà embarquée. Un bus allant à la prison de la ville, prison où croupit depuis des mois, Jabeur Mejri dont le nom est devenu illustre depuis ses derniers déboires qui ne finissent pas. Le procès de Mejri qui a écopé de 7 ans et demi de prison a agité la société civile et la société tout court.

A bord du bus, je lis Cristal de Gilbert Naccache. Cet ancien perspectiviste rapporte dans son livre son expérience de la prison qu’il a connue onze ans durant et qu’il a quittée en 79.
Plongée dans la description que fait Naccache de l’expérience carcérale, je pense fortement à ce jeune Tunisien en prison pour ses idées qui vont à l’encontre de celles de la majorité. Son partage d’une caricature du prophète a été jugé offensant et perturbateur de la quiétude sociale.

De quelle quiétude parlons-nous ? De quels troubles est-il question quand les dessins en question n’ont presque pas été vus. Qu’en est-il de cet élu qui a brandi des caricatures du prophète en pleine Assemblée nationale constituante. « Offensantes », elles l’étaient bien, elles l’étaient au point de faire tomber en plein émoi le député Aymen Zouaghi qui avait éclaté en sanglots en les voyant.

Jabeur, ce Tunisien aujourd’hui en prison, est un des jeunes qui ont cru en la liberté postrévolutionnaire, en la possibilité d’un changement, en l’abolition de la pensée unique et de la répression étouffante. Son désenchantement a été bien houleux ! Son expérience en prison le prouve.

Son délit est celui d’appartenir aux forces « extrêmes laïques », telles que définies par Marzouki, un des extrêmes que connaît la Tunisie en ce moment, mais pas le seul. Des extrêmes de nature autre nous tirent ailleurs et la polarisation opère au profit d’une direction imposée et pourtant inconnue de beaucoup.

Aux abords des années 70, Naccache a transmis son message comme dans une bouteille dans l’eau, sur du papier à cigarettes. Aux abords d’une révolution contestée, la voix de Mejri nous parvient de prison grâce à cette société civile qui se mobilise pour lui. Pour lui, ils ont fait le voyage et pour sa cause ils se sont consacrés.
A bord du bus vers la prison de Mahdia, jeunes et moins jeunes ont pris place, figures internationales de la scène des Droits de l’Hommes, figures médiatiques, militants connus et moins connus seront le relais d’une voix qu’on étouffe pour mieux la protéger. C’est ainsi que l’a décidé le président de la République, un certain défenseur des Droits de l’Homme.
On nous parle en route de l’article 6 qui est l’objet de négociations houleuses à l’ANC. Apostasie, droit de conscience, criminalisation, libertés, vers où va la Tunisie avec cette constituante qui dresse son nouveau portrait. Que de problématiques maniées avec aisance pour nous faire dévier de l’essentiel, pour nous ramener vers l’essentiel qui n’est tel que pour certains, ceux qui visent les élections à venir, qui s’échauffent et dont les échauffements donnent froid au dos.

Naccache- Mejri sont le reflet de deux expériences de la prison, leurs parcours ne sont pas identiques, mais se ressemblent à bien des égards. Deux époques, deux types de tyrannie, deux parcours en prison et une Tunisie, une Tunisie dont l’Histoire continue à s’écrire au prix fort, celui de la liberté.

Fin de la visite, nous voilà à bord du bus de nouveau, en partance de Mahdia. Règne une ambiance d’optimisme amer. Jabeur partira vivre en Suède. Telle est sa volonté appuyée par un désir gouvernemental parvenant des officiels mais de biais. Un Tunisien quittera la prison ! N’est-ce pas une victoire ? Un Tunisien quittera la Tunisie pour sa liberté, n’est-ce pas une vraie défaite ?!

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