Tribunes
Le concept américain de guerre asymétrique et son application par le terrorisme en Tunisie
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Par Le Colonel (r) Mohamed Kasdallah*
La stratégie asymétrique est un concept nouveau qui s’applique aux conflits opposant deux belligérants dont les forces humaines et matérielles sont totalement déséquilibrées et où la partie la plus faible réalise des succès militaires intolérables au dépend de la partie forte, et ce, contrairement à la guerre conventionnelle où les forces en présence sont sensiblement semblables du point de vue des moyens mis en œuvre, infrastructure, entraînement, doctrine, tactique et objectifs. Cette guerre dite "asymétrique" est faite de combats du faible au fort au cours de laquelle le faible emploie une stratégie pas nécessairement militaire mais qui vise à combler son déficit tant qualitatif que quantitatif. Il s’agit de s’attaquer au « maillon faible » de l’adversaire et de l’assaillir par une série de « coups d’épingle », à répétition, qui finissent par démoraliser ses troupes, désorienter son commandement et déstabiliser sa structure.
Cette notion d’asymétrie est apparue pour la première fois dans les rapports du PENTAGONE en 1997. On peut lire, en substance, dans un de ces rapports : « nous croyons que nos futurs adversaires auront tiré les enseignements de la guerre du GOLFE. Il sera hors de question de nous affronter par des formations blindées, aériennes et navales car la supériorité US est inégalable. Ils auront recours à des procédés nouveaux non coûteux pour attaquer nos forces, nos intérêts et nos concitoyens en tirant profit de leurs points forts face à nos points faibles ». En fait, la guerre asymétrique était, vers la fin des années 90, l’affaire d’un cercle restreint d’experts et d’académiciens soucieux plutôt de l’emploi des armes de destruction massive. Après la fin de la guerre froide et ses conséquences sur la « balkanisation » des conflits inter-ethniques ou religieux, la notion d’asymétrie commence à occuper une place de prédilection dans les études de recherches stratégiques. La mondialisation, l’extension du terrorisme, la prolifération des armes nucléaires, biologiques, et chimiques sont autant de facteurs décisifs pour l’adoption d’un tel concept.
En Tunisie, la stratégie des groupes armés intégristes ne diffère pas trop, à mon avis, de ce qu’on vient de voir. Il s’agit d’un concept fondé sur l’emploi de peu de moyens, le moment qu’il faut à la place qu’il faut, en ayant toujours l’initiative de son côté. Ces terroristes ne constituent pas, de ce fait, un genre de contre-armée. Leur objectif n’est pas là. Acculer l’Etat jusqu’à la capitulation, les institutions à la désintégration totale et pousser les gens au désespoir, sont les grandes lignes de la stratégie de ces fondamentalistes. Ils ont manifestement des objectifs pour le long terme en tablant sur le pourrissement des situations politique, économique et sociale. En d’autres termes, leur stratégie vise à laisser la voie d’accès à « l’Etat islamiste » grandement ouverte en occupant le terrain et en attendant que le pouvoir s’effrite sous l’effet des coups du terrorisme.
A vrai dire, le potentiel des terroristes ne pèse pas lourd, l’unité de base est un groupe d’une quinzaine d’hommes qu’on appelle « serrya ». Un ensemble de groupes forme une « katiba » dont l’effectif varie entre 50 à 80 hommes. Ces groupes agissent sous l’autorité d’un « émir » local. Dans chaque katiba on trouve un « majless choura » composé des émirs locaux, d’un mufti, d’un artificier et d’un conseiller opérationnel.
Il faut dire que cette structure est toute théorique car la situation de ses composantes pourrait s’apparenter à des microbes que l’on observe à l’aide d’un microscope. On y voit de petites créatures qui grouillent dans tous les sens. C’est très difficile à cerner, d’où la quasi-impossibilité de chiffrer ces criminels.
Aussi faut-il signaler que le degré de nuisance de ces terroristes a considérablement chuté ces dernières semaines au cours desquelles le renforcement de moyens de lutte anti-terroriste s’est traduit par l’élimination d’une part importante du potentiel humain. Mais cette part reste très vague dès lors que l’on essaie de la quantifier pour avoir une idée précise sur les résultats obtenus et surtout sur le chemin restant à parcourir. Ceci étant dit, il y a une chose dont on est sûr, c’est que le terrorisme intégriste possède cette spécialité de se reproduire avec une certaine facilité, ce qui lui confère cette impression de « continuité » ou de « permanence » dans les actions criminelles.
La reconstruction des réseaux détruits et le remplacement des émirs abattus pour maintenir la tension donne la preuve que nous avons affaire à un mouvement qui est loin d’être une nébuleuse sans pilotage. De plus, les groupes armés, aujourd’hui complètement traqués et donc sur la défensive, vont diversifier leurs méthodes d’assassinat pour désorienter la lutte anti-terroriste. Cependant, leurs modes d’action restent toujours les mêmes. Les terroristes ne circulent jamais en grand nombre. Ils se dispersent en groupes réduits dans les maquis les moins accessibles du pays puis, à un moment donné, ils se regroupent pour frapper et s’éparpiller immédiatement après. Le schéma d’attaque se base toujours sur l'effet de surprise, l’obscurité, l’isolement de la cible et la rapidité du repli. Et dans le cas où il y a accrochage avec les forces de sécurité, les éléments blessés sont souvent emportés ou décapités pour éviter toute identification. Quant aux cadavres abandonnés, ils sont généralement piégés en vue de causer le maximum de dégâts. Cette tactique est celle pratiquée par les Talibans en Afghanistan, par les guérilleros du « Sentier Lumineux » au Pérou et par les GIA algériens.
Toutes ces actions des intégro-terroristes cherchent essentiellement à terrifier la population, créer un climat d’insécurité et de psychose, faire parler d’eux en attaquant les cibles les plus médiatiques, pousser les gens au désespoir en empêchant toute possibilité de résistance, sans oublier le terrorisme économique tel que l’attentat-suicide survenu à Sousse le 30/10/2013 et qui vise l’anéantissement du tourisme tunisien.
La stratégie asymétrique ne cesse de terrifier les grandes puissances occidentales. Leurs stratégies traditionnelles fondées sur la supériorité technologique s’avère insuffisante pour contrecarrer les coups dévastateurs d’un terrorisme insaisissable et imprévisible.
Notre pays, frappé de plein fouet par cette monstruosité humaine est déterminé à extirper cette gangrène de ses racines et arriver à bout des groupes armés criminels afin de retrouver le calme et la sérénité.
* Mohamed Kasdallah est Colonel à la retraite, ancien attaché militaire auprès de l’ambassade de Tunisie en Algérie et Président de l’association Anti Violence « Tolérance et Réconciliation »
E-mail : hkasdallah@gmail.com
La stratégie asymétrique est un concept nouveau qui s’applique aux conflits opposant deux belligérants dont les forces humaines et matérielles sont totalement déséquilibrées et où la partie la plus faible réalise des succès militaires intolérables au dépend de la partie forte, et ce, contrairement à la guerre conventionnelle où les forces en présence sont sensiblement semblables du point de vue des moyens mis en œuvre, infrastructure, entraînement, doctrine, tactique et objectifs. Cette guerre dite "asymétrique" est faite de combats du faible au fort au cours de laquelle le faible emploie une stratégie pas nécessairement militaire mais qui vise à combler son déficit tant qualitatif que quantitatif. Il s’agit de s’attaquer au « maillon faible » de l’adversaire et de l’assaillir par une série de « coups d’épingle », à répétition, qui finissent par démoraliser ses troupes, désorienter son commandement et déstabiliser sa structure.
Cette notion d’asymétrie est apparue pour la première fois dans les rapports du PENTAGONE en 1997. On peut lire, en substance, dans un de ces rapports : « nous croyons que nos futurs adversaires auront tiré les enseignements de la guerre du GOLFE. Il sera hors de question de nous affronter par des formations blindées, aériennes et navales car la supériorité US est inégalable. Ils auront recours à des procédés nouveaux non coûteux pour attaquer nos forces, nos intérêts et nos concitoyens en tirant profit de leurs points forts face à nos points faibles ». En fait, la guerre asymétrique était, vers la fin des années 90, l’affaire d’un cercle restreint d’experts et d’académiciens soucieux plutôt de l’emploi des armes de destruction massive. Après la fin de la guerre froide et ses conséquences sur la « balkanisation » des conflits inter-ethniques ou religieux, la notion d’asymétrie commence à occuper une place de prédilection dans les études de recherches stratégiques. La mondialisation, l’extension du terrorisme, la prolifération des armes nucléaires, biologiques, et chimiques sont autant de facteurs décisifs pour l’adoption d’un tel concept.
En Tunisie, la stratégie des groupes armés intégristes ne diffère pas trop, à mon avis, de ce qu’on vient de voir. Il s’agit d’un concept fondé sur l’emploi de peu de moyens, le moment qu’il faut à la place qu’il faut, en ayant toujours l’initiative de son côté. Ces terroristes ne constituent pas, de ce fait, un genre de contre-armée. Leur objectif n’est pas là. Acculer l’Etat jusqu’à la capitulation, les institutions à la désintégration totale et pousser les gens au désespoir, sont les grandes lignes de la stratégie de ces fondamentalistes. Ils ont manifestement des objectifs pour le long terme en tablant sur le pourrissement des situations politique, économique et sociale. En d’autres termes, leur stratégie vise à laisser la voie d’accès à « l’Etat islamiste » grandement ouverte en occupant le terrain et en attendant que le pouvoir s’effrite sous l’effet des coups du terrorisme.
A vrai dire, le potentiel des terroristes ne pèse pas lourd, l’unité de base est un groupe d’une quinzaine d’hommes qu’on appelle « serrya ». Un ensemble de groupes forme une « katiba » dont l’effectif varie entre 50 à 80 hommes. Ces groupes agissent sous l’autorité d’un « émir » local. Dans chaque katiba on trouve un « majless choura » composé des émirs locaux, d’un mufti, d’un artificier et d’un conseiller opérationnel.
Il faut dire que cette structure est toute théorique car la situation de ses composantes pourrait s’apparenter à des microbes que l’on observe à l’aide d’un microscope. On y voit de petites créatures qui grouillent dans tous les sens. C’est très difficile à cerner, d’où la quasi-impossibilité de chiffrer ces criminels.
Aussi faut-il signaler que le degré de nuisance de ces terroristes a considérablement chuté ces dernières semaines au cours desquelles le renforcement de moyens de lutte anti-terroriste s’est traduit par l’élimination d’une part importante du potentiel humain. Mais cette part reste très vague dès lors que l’on essaie de la quantifier pour avoir une idée précise sur les résultats obtenus et surtout sur le chemin restant à parcourir. Ceci étant dit, il y a une chose dont on est sûr, c’est que le terrorisme intégriste possède cette spécialité de se reproduire avec une certaine facilité, ce qui lui confère cette impression de « continuité » ou de « permanence » dans les actions criminelles.
La reconstruction des réseaux détruits et le remplacement des émirs abattus pour maintenir la tension donne la preuve que nous avons affaire à un mouvement qui est loin d’être une nébuleuse sans pilotage. De plus, les groupes armés, aujourd’hui complètement traqués et donc sur la défensive, vont diversifier leurs méthodes d’assassinat pour désorienter la lutte anti-terroriste. Cependant, leurs modes d’action restent toujours les mêmes. Les terroristes ne circulent jamais en grand nombre. Ils se dispersent en groupes réduits dans les maquis les moins accessibles du pays puis, à un moment donné, ils se regroupent pour frapper et s’éparpiller immédiatement après. Le schéma d’attaque se base toujours sur l'effet de surprise, l’obscurité, l’isolement de la cible et la rapidité du repli. Et dans le cas où il y a accrochage avec les forces de sécurité, les éléments blessés sont souvent emportés ou décapités pour éviter toute identification. Quant aux cadavres abandonnés, ils sont généralement piégés en vue de causer le maximum de dégâts. Cette tactique est celle pratiquée par les Talibans en Afghanistan, par les guérilleros du « Sentier Lumineux » au Pérou et par les GIA algériens.
Toutes ces actions des intégro-terroristes cherchent essentiellement à terrifier la population, créer un climat d’insécurité et de psychose, faire parler d’eux en attaquant les cibles les plus médiatiques, pousser les gens au désespoir en empêchant toute possibilité de résistance, sans oublier le terrorisme économique tel que l’attentat-suicide survenu à Sousse le 30/10/2013 et qui vise l’anéantissement du tourisme tunisien.
La stratégie asymétrique ne cesse de terrifier les grandes puissances occidentales. Leurs stratégies traditionnelles fondées sur la supériorité technologique s’avère insuffisante pour contrecarrer les coups dévastateurs d’un terrorisme insaisissable et imprévisible.
Notre pays, frappé de plein fouet par cette monstruosité humaine est déterminé à extirper cette gangrène de ses racines et arriver à bout des groupes armés criminels afin de retrouver le calme et la sérénité.
* Mohamed Kasdallah est Colonel à la retraite, ancien attaché militaire auprès de l’ambassade de Tunisie en Algérie et Président de l’association Anti Violence « Tolérance et Réconciliation »
E-mail : hkasdallah@gmail.com
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