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Chroniques
Mafia blues à la sauce tunisienne
02/06/2017 | 15:59
3 min

 

C’est au rythme des arrestations, des rumeurs les plus folles, des révélations fracassantes et des listes (vraies ou fausses) de députés ou journalistes impliqués dans des affaires de corruption, que les Tunisiens vivent depuis une dizaine de jours. Une actualité qui s’est imposée à une opinion publique, qui entame le mois de ramadan, avec un feuilleton inédit et tout aussi passionnant, sinon plus, que les aberrations servies sur les différentes chaînes. Les Tunisiens découvrent l’étendue de l’influence des réseaux mafieux et leurs connexions avec certains acteurs politiques.

 

Ce que l’on nomme désormais l’affaire Chafik Jarraya, a ouvert la boîte de Pandore. Ce qui en est sorti n’est vraiment pas beau et cela sentait fichtrement mauvais. L’arrestation du lobbyiste en a ébranlé plus d’un et on a assisté à des réactions de toutes les couleurs, allant des plus pathétiques aux plus drôles. C’est que sur la scène médiatico-politique tunisienne, tout le monde sait pour qui roulent les uns et les autres. Un secret de polichinelle faisant se resserrer l’étau sur les personnalités inféodées au sulfureux Jarraya.

 

Le proverbe dit : Qui se sent morveux se mouche. Des morveux, il en existe parmi certains de nos « vertueux » politiques. Alors que la convergence des réseaux clientélistes se concentre notamment sous l’hémicycle du Bardo, certains de nos députés ont choisi de se la jouer sainte-nitouche. Affecter l’innocence, pour éloigner les soupçons. Endosser le rôle de la « fausse » prude accablée pas les calomnies. Certains savent y faire et tentent par tous les moyens de se sortir de ce bourbier dans lequel ils se sont empêtrés.

 

On a aperçu des députés, en très bons termes avec Chafik Jarraya, s’afficher fièrement à la manifestation de soutien aux efforts de Youssef Chahed dans sa lutte contre la corruption et les corrompus. Cherchez l’intrus !

Des députés Nidaa Tounes se sont même indignés de la campagne qui vise à les salir et à porter atteinte à leur intégrité, disent-ils. Pour y faire face, ils ont décidé de créer une sorte de police Facebook, afin de traquer les méchants admins…

Deux réunions de crise après, le bloc parlementaire annonce son intention d’engager des poursuites judiciaires pour démasquer les personnes impliquées dans cette campagne de dénigrement. Mieux encore, il décide de présenter une initiative législative pour lutter contre la corruption et pour la transparence. Une initiative qui touchera la vie publique, civile et politique, ainsi que les mécanismes de financement et de gestion. Trop tard ! Nos députés semblent avoir raté le coche. N’auraient-ils pas mieux fait de déclarer leur patrimoine depuis leur entrée à l’Assemblée des représentants du peuple en 2014 ?

 

Le parquet militaire est en train d’enquêter sur les connexions entre nos politiques et les hommes récemment arrêtés. Parait que Chafik Jarraya en a balancé plus d’un. Il aurait donné les noms de nombreux politiciens et fait des aveux fracassants au juge d’instruction. Une enquête a été ouverte sur le voyage effectué par des députés en Libye en compagnie de Jarraya. Les soupçons qui pèsent sur ces personnes sont lourds. Ça doit trembler grave. On a pu voir quelques visages plus pâles que d’habitude, certains ont même viré au verdâtre. Quelques-uns deviennent même agressifs et usent d’intimidations et d’insultes pour clouer le bec aux journalistes qui révèlent les dessous de l’affaire.

 

Du côté de l’opinion publique, le spectacle affligeant et les déballages auxquels elle assiste n’ont fait que renforcer le désaveu à l’encontre d’une classe politique jugée immorale et pourrie. La vague de soutien au chef du gouvernement dans sa guerre ouverte contre la corruption, révèle le ras-le-bol de nos concitoyens de ce mal qui ronge le pays. Dans la ligne de mire les élus, devenus, pour certains, les défenseurs des intérêts des corrompus.

Pourquoi s’étonner alors du désintérêt croissant qui s’observe chez le Tunisien lambda du fait politique, désormais synonyme pour lui de corruption, de trafic d’influence et de clientélisme. Le cynisme à l’égard de la classe politique perdurera, tant que cette pieuvre continuera à tirer les ficelles. Le regain de confiance n’est pas pour aujourd’hui.

02/06/2017 | 15:59
3 min
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Commentaires (5)

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BEN YACOUB Moncef
| 06-06-2017 15:03
bravo! très belle analyse!

takilas
| 02-06-2017 23:34
Cependant le flou persiste dans nos mentalités ; surtout lorsqu'il s'agit d'impliquer ou d'accuser les instigateurs concernés. Néanmoins c'est un petit pas dans l'inspiration, mais un grand pas dans le journalisme,

L'analyste
| 02-06-2017 21:17
Bravo Madame pour votre analyse et c'est un specialiste qui vous le dit.

Jilani
| 02-06-2017 19:58
BCE en détruisant son parti et l'ouvrant à cette mafia qui se vante d'être ami avec Chafik jerraya et ses semblables assume une grande responsabilité dans la détérioration du pays. Habib essid en a payé le prix avec son hésitation et il a bien senti le danger de s'attaquer à cette mafia qui cible aussi le sommet de l'Etat.

L Nejib
| 02-06-2017 19:02
Une analyse percutante du contexte politique tunisien actuel et de ses aberrations.