Une croissance qui pose des interrogations plus qu'elle ne rassure
La publication par l’Institut national de statistiques (INS) des indicateurs trimestriels de conjoncture, croissance, emploi, commerce et prix porterait-elle à croire que l’économie du pays est sortie de l’ornière de la crise ? Le gouvernement en est persuadé et l’a fait savoir par les sorties médiatiques de ministres, secrétaires d’Etat et autres ministres-conseillers auprès du Chef du gouvernement Youssef Chahed ?
En a-t-il convaincu l’opinion publique ? Rien n’est moins sûr, tant celle-ci semble surtout préoccupée par les préparatifs du mois de ramadan et de l’aïd. C’est à l’aune de ses déroulements qu’elle jaugera la situation économique du pays. Et de ce point de vue, elle se focalisera, à juste titre sur l’évolution des prix.
Or, le niveau général des prix a repris son rythme à la hausse. Cela a particulièrement touché les produits alimentaires, les articles d’habillements et de chaussures, l’ameublement et les articles ménagers. Cela ne fournit guère de perspectives positives. Qu’à cela ne tienne dès lors que la croissance économique donne des signes de reprise.
L’évolution du PIB de 2,1% au cours du 1er trimestre 2017 a de quoi réjouir. L’économie du pays s’éclaircit. Cependant, estimer que cette situation dénote « d’une tendance positive qui se maintiendra tout au long des trimestres suivants de l’année », comme l’a affirmé Ridha Saïdi, le conseiller auprès du Chef du gouvernement chargé du suivi des projets publics, serait aller bien vite en besogne.
Avec Ridha Saïdi, on en a pris l’habitude. Depuis le temps où il exerçait ses fonctions de ministre chargé des dossiers économiques au sein des gouvernements de la Troïka. A l’époque, c’est sur la base de prévisions de croissance qu’il a cautionné et soutenu en dépit de leur caractère irréaliste que furent élaborés les successifs budgets de l’Etat, et donc ce qu’il en a résulté en termes de déficits et d’endettement. Simple parenthèse. Revenons à la croissance du 1er trimestre 2017. Certes, elle réjouit.
L’arbre qui cache la forêt
Toutefois, il faut se méfier de l’arbre qui cache la forêt. Car, si l’on se penche sur les performances sectorielles de cette croissance, on en ressort avec un sentiment, à tout le moins, dubitatif. Cette croissance a été essentiellement tirée par le secteur agricole et celui des services. La valeur ajoutée de l’agricole et de la pêche a enregistré une croissance de 4,9% indique l’INS.
Soit. Mais alors, pourquoi cet accroissement de la valeur ajoutée du secteur n’a pas eu d’effet, aussi marginal soit-il, sur les prix des produits agricoles.
Au mois d’avril 2017, les prix des légumes frais ont augmenté de plus de 11% en glissement annuel. Ceux du la volaille de plus de 10%, de la viande bovine de près de 7% et du poisson frais de 6%. Seuls les prix des fruits frais et de la viande de mouton ont enregistré une stabilité, en attendant l’été et l’Aïd El Idha. Pour ce qui concerne le secteur des services qui affiche une croissance de 3,4% au 1er trimestre 2017, l’INS indique que cette performance est notamment induite par la forte croissance de la valeur ajoutée du secteur du tourisme (+8,6%) et celui des services financiers (+7,5%).
Certes, le secteur financier affiche des indicateurs d’activité trimestrielle en nette progression. Toutefois, s’agissant du tourisme, les résultats sont à prendre avec des pincettes. De l’avis même de certains statisticiens de l’INS, les indicateurs sur lesquels on fonde l’évolution de la valeur ajoutée du secteur touristique n’ont plus la pertinence d’antan.
En effet, on s’interroge de plus en plus sur la solidité de la corrélation entre l’indicateur du nombre des nuitées et celui des recettes en devises. L’accroissement de l’une n’implique pas forcément une augmentation de l’autre.
Dernier facteur de la croissance, le secteur industriel ne semble pas se remettre du marasme dans lequel il se morfond depuis quelques mois déjà. La valeur ajoutée des industries manufacturières affiche un recul de 1,1%. Le secteur des matériaux construction, de la céramique et du verre enregistre un repli d’environ 8%, ce qui suggère une baisse d’activité dans le secteur des BTP et plus généralement de la construction. La baisse se constate aussi dans l’industrie agroalimentaire (-4,2%) alors qu’on pouvait s’attendre à l’inverse compte tenu de performances précitées du secteur agricole.
Ainsi, les facteurs sectoriels de la croissance économique au cours du 1er trimestre sont raisonnablement à nuancer. Quand est-il des déterminants de cette croissance, particulièrement en termes d’exportation et d’investissement ? A ce niveau, il faut se rendre à l’évidence. Au terme du 1er trimestre 2017, les exportations tunisiennes ont augmenté. Mais cela n’est dû qu’à un effet-prix qui renvoie au glissement du taux de change. Car, saisies par le prisme du volume, nos exportations ont reculé de plus de 3% durant les 3 premiers mois de 2017.
Quant à l’investissement, on peut légitimement se demander comment cela a pu se produire. En effet, les statistiques des intentions d’investissement déclarées auprès de l’Agence de promotion de l’investissement et de l’innovation (API) affichent une augmentation de 56% à la fin du 1er trimestre 2017. Mais ces intentions d’investissement étaient en net recul au cours des deux premiers mois de l’année (-31,2%). Il semble qu’il y ait eu une véritable ruée des promoteurs aux guichets de l’API au cours du mois de mars 2017 pour que les intentions d’investissement bondissent de la sorte.
Alors, cette croissance est-elle fiable ? On ne peut mettre en doute les calculs de l’INS. Est-elle crédible ? En tout cas, elle suscite plus d’interrogations qu’elle ne rassure.