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Félicitations à Ennahdha, cette victoire, vous la méritez !
Par Nizar Bahloul
06/10/2019 | 21:44
6 min
Félicitations à Ennahdha, cette victoire, vous la méritez !

 

Les dés sont jetés, rien ne va plus. Les deux instituts de sondages mainstream, Emrhod Consulting et Sigma Conseil, ont publié les résultats « sortie des urnes » des législatives 2019 et ont déclaré vainqueur le parti islamiste Ennahdha. Il n’y a pas à dire, le résultat est net, bien qu’il ne soit ni officiel, ni définitif.

Aucun institut de sondage, parmi les plus en vue, n’a vu la chose venir. Cela fait plusieurs mois que le parti Qalb Tounes de Nabil Karoui caracole à la tête des sondages. Jusqu’à cette semaine ! Et puis, patatras, le jour J, le jour du vote, tout part en l’air. Qalb Tounes est devancé par quelques centièmes tout au long de la journée par le parti islamiste Ennahdha et cette tendance des sondages sortie des urnes se confirme en fin de journée pour se figer à 2,1% à la fermeture des bureaux de vote, d’après les chiffres de Emrhod Consulting. Une différence de 1,9% d’après Sigma Conseil avec une marge d’erreur de 1% pour chacun des instituts. En attendant une confirmation mercredi par l’Instance supérieure indépendante des élections avec l’annonce des résultats préliminaires, force est de reconnaitre que le parti islamiste est vainqueur. Comment la chose a-t-elle pu arriver ? Pourquoi ne l’a-t-on pas vu venir ?  

D’après Nébil Belaam, directeur de l’institut Emrhod, partenaire de la chaîne télévisée Attessia et Business News, le taux d’indécis tout au long des derniers mois a fortement joué. Il a avoisiné les 50% jusqu’aux derniers jours. Ceci justifie l’imprécision ? Oui, vu que Qalb Tounes a été, certes, toujours premier, mais il était toujours devant Ennahdha avec une toute légère différence qui entre dans la marge d’erreur (1,5%) classique des instituts de sondage.

 

Les dés sont donc jetés et rien ne va plus. Il ne s’agit plus là de citer la fameuse phrase des croupiers, mais de décrire la réalité de la Tunisie nouvelle de 2019. Elle confirme ainsi la voie qu’elle a prise depuis 2011, la Tunisie s’islamise petit à petit et à pas sûrs. A vrai dire, elle a commencé son islamisation depuis les années 1980. Le régime Bourguiba a fortement lutté avec succès. Après une légère percée au tout début des années 1990, c’est Ben Ali qui est venu sauver le pays de l’islamisation rampante. Et puis vint la révolution. Bourguiba est déjà mort, Ben Ali est parti. Les islamistes sont sortis des prisons et sont revenus de l’exil. Octobre 2011, ils réussissent avec 37,04% des voix et obtiennent 89 sièges. Le danger est là, la famille dite progressiste-laïque-moderniste pleure sa Tunisie et cherche un sauveteur. Il est là, il tombe à point nommé, il s’appelle Béji Caïd Essebsi, grand héritier de Habib Bourguiba, du bourguibisme, du progressisme, du modernisme et de tous les « izmes ». Du haut de ses 88 ans, il gagne la présidentielle de 2014 et offre un répit. On souffle, les islamistes ne prendront pas le pays, ils reculent et n’obtiennent « que » 27,79% et 69 sièges.

Mais voilà, un ajournement, de par sa définition, est là pour que l’on se rattrape, que l’on rattrape ses erreurs, ses fautes, ses défauts. Toute littérature de ce qui s’est passé ces cinq dernières années est inutile au vu du résultat de ce 6 octobre 2019. Les dits progressistes sont derrière et n’ont pas su profiter du recul net des islamistes. Car, et c’est cela qui est extraordinaire, les islamistes ont bien reculé et sont tombés à 18,29%, soit plus de 50% de ce qu’ils avaient en 2011. Ils avaient 89 sièges en 2011, ils n’auront plus qu’une quarantaine pour la période 2019-2024, si jamais il n’y a pas de dissolution. Que s’est-il passé ? S’il fallait résumer en une phrase ce qui s’est passé, on dira qu’après la mort de Habib Bourguiba en 2000, Zine El Abidine Ben Ali et Béji Caïd Essebsi sont morts en 2019. Si Habib Bourguiba a laissé un héritier derrière lui, Zine El Abidine Ben Ali a laissé un désert. Et à cause de ce désert et de ses 23 ans de gouvernance despotique sans partage, il n’a pas laissé d’héritiers. Béji Caïd Essebsi a beau avoir essayé de laisser des « hommes » derrière lui, il n’a pas réussi. Ridha Belhadj, Mohsen Marzouk, Saïd Aïdi, Selim Azzabi, Hafedh Caïd Essebsi, Youssef Chahed, Néji Jalloul, aucun de ces « hommes » là n’a été capable de reprendre le flambeau de Béji Caïd Essebsi et de s’imposer en « homme » rassembleur et fédérateur.

 

Le résultat est là, l’adversaire est en perte nette de vitesse, mais la famille dite progressiste n’est même pas engrenée, elle est juste au point mort. Alors que les islamistes colmatent leurs brèches et essaient, tant bien que mal, de limiter leur casse, les progressistes, eux, continuent encore à se casser les uns les autres, encore et encore. Le dernier d’entre eux, Nabil Karoui, celui qui était parmi les fondateurs de Nidaa, parti de Béji Caïd Essebsi, en 2012 et celui qui a mené sa victoire en 2014 est jeté aux chiens. Jusqu’au dernier jour de la campagne, il est enfoncé par les siens, et en premier lieu Youssef Chahed.

Les « hommes » qu’a laissé Béji Caïd Essbesi derrière lui ont quelque chose de démesuré et on l’a dit et écrit des dizaines de fois : leur égo ! Ils regardent la Tunisie de haut, du haut de la colline, depuis leur tour d’ivoire. Ils n’écoutent rien, ni personne. Comme les califes, comme les dictateurs, ils frappent les amis avant les ennemis. C’est pour eux que la prière « Dieu préservez moi de mes amis, quant à mes ennemis je m’en charge » a été créée.

Cinq ans durant, ils ont refusé de mener la guerre contre les islamistes, pour éviter le déshonneur. Aujourd’hui, ils vont avoir la guerre et le déshonneur.

 

Ce n’est pas plus mal, le pouvoir usera davantage les islamistes qui continueront leur chute inévitablement. Les « révolutionnistes » (les pires) vont maintenant entrer à l’Assemblée et vont découvrir ce qu’est la realpolitik. Ils vont découvrir ce qu’est un Etat et ce qu’est un budget. Ils vont voir que le pays n’a pas de pétrole, il n’y a que de paresseux et des fraudeurs fiscaux.

Quant aux progressistes, ils n’ont d’autre choix que de traverser le désert et réfléchir. Ils n’auront pas beaucoup de choix. S’ils veulent récupérer le pouvoir, ils doivent travailler comme tous les autres partis des pays démocrates et comme travaille Ennahdha. Des structures de bas en haut, un congrès électif que le meilleur gagne. Les perdants, parmi eux, se mettront derrière le gagnant et non devant lui. Entendront-ils cela ? Appliqueront-ils cette règle basique de la chose politique ? Le doute est permis. Dès demain, vous allez les voir s’attaquer les uns les autres et chercher un peu partout des boucs émissaires.

Bon vent à Ennahdha ! Cette victoire, aussi petite soit-elle, vous la méritez ! Ce n’est pas que vous êtes forts, loin de là, c’est nous qui sommes trop faibles ! Félicitations !

Par Nizar Bahloul
06/10/2019 | 21:44
6 min
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Commentaires (72)

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Maxula
| 08-10-2019 16:49
"Je ne suis assurément pas de ceux-là"

Ce dont moi-même je me félicite !
Car avec une mentalité comme la vôtre, vous ne vous seriez jamais adapté à la vie européenne, au mieux, et au pire vous auriez fait un bon petit islamiste planqué, attendant en vain le moment propice pour vous envoyer en l'air (attention, double sens !).
Et pour ne pas pervertir vos gosses, ne les mettez surtout pas dans le nouvel établissement "colonialiste"(*) qui vient d'être inauguré en Tunisie !
Maxula.
(*) https://www.realites.com.tn/2019/10/le-groupe-scolaire-rene-descartes-inaugure-son-nouvel-etablissement-aux-berges-du-lac-2-a-tunis/

Anti pseudo-progressistes
| 08-10-2019 16:00
Non Monsieur vous n'êtes pas faibles. Vous êtes meme plus forts que Nahdha mais mauvaise soit elle Nahdha vous ne pouvez jamaus la vaincre du fait que vous êtes complètement déracinés de votre milieu et vous ne le comprendrez jamais et aussi parce que vous comportez parmi vous tous les corrompus du pays et vous les soutenez.

Justinia
| 08-10-2019 13:56
Mon pseudo est justement un pseudo,donc arrêtez vos pédanteries pseudo-historiques.Vous êtes Berbère "alhamdoullellah",cela ne vous a pas empêché de tourner le dos à votre culture originelle,et à vous renier.
Vous revenez toujours avec le Berbère arabisé par l'islam de Ben Badis (abcès de fixation ?)pourtant, les Turcs étaient résignés à travailler en langue arabe avec les Tunisiens .C'est curieux,cet islam qui a arabisé les Berbères n'a arabisé ni les Turcs et encore moins les Bengalis et les autres.Dans le même ordre d'idée,est-ce donc le Christianisme qui a arabisé les Chrétiens du moyen orient? Pourquoi pas?
Les "acculturés" issus des établissements français etc...je vais vous décevoir,mais je n'en fait pas partie:Je suis Sadikien ne vous en déplaise...
Les élections? il n'y a que des heureux,surtout ceux qui rodent autour de Regueb...
Le beurre?quelle idée de l'exposer au soleil!.
Il y a encore des gens,qui croient dur comme fer (En faites vous partie?) que la période de Kaïs et le Souk de Okaz appartiennent à la période de l'ignorance.Que dieu leur pardonne.
Pour finir,je vous invite à admirer ce tableau de peinture sur lequel,Boabdil remet les clefs de Grenade à Isabelle La Catholique.Le Pass par lequel ce souverain a pris la fuite,s'appelle encore aujourd'hui:Le Pass du dernier soupir du Maure...

zamharir
| 08-10-2019 09:18
J'ignore si vous êtes Berbère. En effet, votre pseudo, Justinia, suggère que vos référents historiques sont plutôt du côté de l'Empire romain d'Orient, qui, tout comme l'Empire romain d'Occident, considérait les Berbères comme des barbares. Berbère, vous auriez pris un pseudo dérivé d'Apulée de Madaure (actuelle M'daourouch - Algérie) de Numidie, ou de Donate, chef de file du christianisme populaire en Numidie, ces Donatiens persécutés par l'Eglise catholique de Rome, en particulier Saint Cyprien et Saint Augustin. Berbère, moi je le suis, avec des racines qui plongent plusieurs dizaines de générations en arrière au Maghreb. J'en suis d'autant plus fier qu'on a mis à jour il y un demi siècle dans le Grand Sud, des vestiges d'un « ribat » (forteresse), qui aurait servi de QG à l'un de mes derniers aïeux, chef d'une confédération de tribus berbères. D'ailleurs, on ne dit plus Berbère désormais, mais Amazigh. Je suis donc Berbère, et Al Hamdou Lillah, Berbère arabisé par l'islam, selon l'excellente caractérisation du vénérable cheikh algérien Abdelhamid Ibnou Badis, lui même Berbère sanhadji, grand défenseur et promoteur de la culture arabe et islamique au Maghreb. Depuis qu'il y a quinze siècles, l'islam est entré au Maghreb, véhiculant la langue arabe, aucune des tentatives successives de les déraciner n'a réussi, même pas les Turcs, musulmans eux mêmes, qui ont dû se résigner à travailler en langue arabe, aussi bien au Maghreb qu'en Egypte. La colonisation française, les campagnes d'assimilation et celles de re-christianisation menées par Mgr Lavigerie, notamment en Tunisie et en Algérie, ont fait chou blanc : l'islam et l'arabe sont toujours là, langue et religion du peuple et d'une majorité de l'élite nationale, malgré la prolifération depuis deux décennies d'une nouvelle catégorie sociale, les acculturés, issus des établissements français ou apparentés. Ils sont devenus les vecteurs d'un néo-colonialisme culturel avéré, cultivé sur le plan politique par les laïco-assimilationnites, vestiges des défunts partis communistes et socialistes. Ce ne sont pas des « enfants des Lumières » comme Abdou, Afghani ou Tahtaoui et d'autres, qui cherchaient auprès de Voltaire, Diderot, Victor Hugo, et plus tard Derrida, Althusser, Sartre, Camus ou Foucault, des solutions assurant la modernisation de leur société, mais les agents d'un projet socio-culturel importé clé en mains. Je ne suis assurément pas de ceux-là. Vous devriez méditer les résultats des dernières élections tunisiennes, qui ont remis la question identitaire et culturelle au centre du débat, et retenir que l'arabité n'est nullement une appartenance ethnique, mais d'abord un engagement politique et culturel. La démocratie, comme l'Histoire, a ses ruses qui ne peuvent profiter qu'aux peuples fermes sur leurs convictions. Car, "le beurre est destiné à fondre (au soleil) et ne reste sur terre que ce qui bénéfice aux gens" (Coran).

younsi faouzia
| 07-10-2019 21:09
Me Bahloul ,j'ai adoré votre article sauf que vous avez omis un enjeu de taille :ennahdha a acheté des milliers de voix moyennant la fortune colossale dont elle dispose aux origines inconnues (et ils osent accuser les autres de blanchiment !!) en toute impunité, elle a profité de la misère et de l'ignorance d'une grande partie du peuple tunisien
Ennahdha ne travaille pas elle mine , elle ronge comme les mites pour ne plus rien laisser derrière elle.
Il faut se rendre à l'évidence" la démocratie ne va pas de paire avec la misère"
j'espère être de ce monde quand elle disparaîtra.

Monia
| 07-10-2019 20:57
dans un pays qui bascule brutalement du jour au lendemain en régime dit "démocratique" tout en ignorant la base de la démocratie, le devoir civique (la voix du peuple par les urnes). Le taux d'abstention le démontre, pour ne pas dire que pour certains démocratie rime avec "chacun pour soi" quand ce n'est pas "anarchie totale". Dans ce contexte, le 4ième pouvoir a loupé son rôle de soutien démocratique. Il me semble que le fil rouge s'est situé à un niveau, disons plus terre à terre...

Maxula
| 07-10-2019 19:40
"vous savez lire le français?"

Entre autres, oui !
Et je crois même, MIEUX que vous !

Explication de gravures :
Tant pis pour vous si vous avez pris au pied de la lettre, mes sarcasmes exagérés pour qualifier "les félicitations" de NB !
"Voilà les plus sincères et les plus chaleureuses congratulations"
Et re-tant pis pour vous si vous ne savez pas que l'on donne du "Pinocchio" à celui qui galèje, qui ne dit pas vrai, qui nous mène en bateau, qui nous raconte des salades, etc.
Et de fait, NB ne félicite pas "vraiment" les islamistes pour leur victoire, ce qui aurait fait de lui un magnifique "faux-derche" et m'aurait amené à être encore plus virulent(*) dans le persiflage !
Par contre, NB aurait sauté sincèrement de joie si Nabil Maqrouna était sorti premier à l'issue du premier tour, ou même sorti du trou, tout court !
Mais "croire" que NB irait jusqu'à féliciter en quoi que ce soit les enturbannés, ce serait d'abord lui faire injure, et ME faire injure de croire que j'eusse même envisagé cette éventualité "suicidaire" !
Et je vais même vous faire la confidence que je n'avais même pas lu le texte, m'arrêtant juste au titre, qui se suffisait à lui-même !
Merci quand même de vous soucier de mes capacités en langue française !
Maxula.
(*) Même en sachant que la gentille Anastasie de la maison, garde toujours prête sa gentille petite paire de ciseaux !

Mandour+
| 07-10-2019 18:21
Qui a remporté la victoire enfin
En réalité, et sans aucune hésitation et en attendant les résultats décisifs finaux, QALB Tunis a tout raflé.
Bien sûr, avec l'usure des souliers de Rachid Ghannouchi suite à ces déplacements-- pardon, langage dépassé-- plutôt avec l'usure des pneus de la voiture de Ghannouchi par les fréquents déplacements effectués lors de la campagne électorale, Karoui Président fondateur du parti Qalb Tunis campe en prison - ni déplacement, ni appel de ses sympathisants - Karoui à été privé de sa campagne et il a observé un silence permanent de la campagne.
Normalement, le silence électoral est exigé par l'isie pour une journée,
En 2019 , pour l'isie et Qalb Tunis- silence électoral- Karoui interdit de campagne.
Tout ça pour juste 1 à 2% de différence pour Nahdha ou Qalb Tunis de plus ou de moins en attendant la déclaration.de l'isie.
Donc, finalement Qalb Tunis est un vainqueur par excellence .
Nahdha a en réalité subi un échec cuisant et devrait s'inquiéter de ses résultats avec un maximum de 40 membres à l'ARP contre 89 en 2011.
En fait , tout est psychologique car malgré tout, Nahdha ne s'attendait pas à obtenir ce nombre car elle a perdu la totalité de ses forces , C'est pourquoi elle fête cette supposé victoire.
Nahdha s'est dégringolé de façon er son existence en tant que parti est au bord de la faillite .Ses résultats sont là pour le prouver.
Enfin bonne chance à Karoui futur Président de la République et à Qalb Tunis le parti le plus fort actuellement après 5 mois de formation ...

Forza
| 07-10-2019 17:55
Je pense qu'il y'a une très forte corrélation entre le moment du sondage qui montre NK gagnant les présidentielles et les législatives et le changement du ton de BN et surtout de Nabil Bahloul. Et Chahed est maintenant peut-être le gagnant. Si Nahdha veut calmer les partenaires étrangers, elle peut être tentée de le maintenir chef du gouvernement.

TEAM-TONIC
| 07-10-2019 17:38
Bravo !
Trés bien dit !