Félicitations à Ennahdha, cette victoire, vous la méritez !
Les dés sont jetés, rien ne va plus. Les deux instituts de sondages mainstream, Emrhod Consulting et Sigma Conseil, ont publié les résultats « sortie des urnes » des législatives 2019 et ont déclaré vainqueur le parti islamiste Ennahdha. Il n’y a pas à dire, le résultat est net, bien qu’il ne soit ni officiel, ni définitif.
Aucun institut de sondage, parmi les plus en vue, n’a vu la chose venir. Cela fait plusieurs mois que le parti Qalb Tounes de Nabil Karoui caracole à la tête des sondages. Jusqu’à cette semaine ! Et puis, patatras, le jour J, le jour du vote, tout part en l’air. Qalb Tounes est devancé par quelques centièmes tout au long de la journée par le parti islamiste Ennahdha et cette tendance des sondages sortie des urnes se confirme en fin de journée pour se figer à 2,1% à la fermeture des bureaux de vote, d’après les chiffres de Emrhod Consulting. Une différence de 1,9% d’après Sigma Conseil avec une marge d’erreur de 1% pour chacun des instituts. En attendant une confirmation mercredi par l’Instance supérieure indépendante des élections avec l’annonce des résultats préliminaires, force est de reconnaitre que le parti islamiste est vainqueur. Comment la chose a-t-elle pu arriver ? Pourquoi ne l’a-t-on pas vu venir ?
D’après Nébil Belaam, directeur de l’institut Emrhod, partenaire de la chaîne télévisée Attessia et Business News, le taux d’indécis tout au long des derniers mois a fortement joué. Il a avoisiné les 50% jusqu’aux derniers jours. Ceci justifie l’imprécision ? Oui, vu que Qalb Tounes a été, certes, toujours premier, mais il était toujours devant Ennahdha avec une toute légère différence qui entre dans la marge d’erreur (1,5%) classique des instituts de sondage.
Les dés sont donc jetés et rien ne va plus. Il ne s’agit plus là de citer la fameuse phrase des croupiers, mais de décrire la réalité de la Tunisie nouvelle de 2019. Elle confirme ainsi la voie qu’elle a prise depuis 2011, la Tunisie s’islamise petit à petit et à pas sûrs. A vrai dire, elle a commencé son islamisation depuis les années 1980. Le régime Bourguiba a fortement lutté avec succès. Après une légère percée au tout début des années 1990, c’est Ben Ali qui est venu sauver le pays de l’islamisation rampante. Et puis vint la révolution. Bourguiba est déjà mort, Ben Ali est parti. Les islamistes sont sortis des prisons et sont revenus de l’exil. Octobre 2011, ils réussissent avec 37,04% des voix et obtiennent 89 sièges. Le danger est là, la famille dite progressiste-laïque-moderniste pleure sa Tunisie et cherche un sauveteur. Il est là, il tombe à point nommé, il s’appelle Béji Caïd Essebsi, grand héritier de Habib Bourguiba, du bourguibisme, du progressisme, du modernisme et de tous les « izmes ». Du haut de ses 88 ans, il gagne la présidentielle de 2014 et offre un répit. On souffle, les islamistes ne prendront pas le pays, ils reculent et n’obtiennent « que » 27,79% et 69 sièges.
Mais voilà, un ajournement, de par sa définition, est là pour que l’on se rattrape, que l’on rattrape ses erreurs, ses fautes, ses défauts. Toute littérature de ce qui s’est passé ces cinq dernières années est inutile au vu du résultat de ce 6 octobre 2019. Les dits progressistes sont derrière et n’ont pas su profiter du recul net des islamistes. Car, et c’est cela qui est extraordinaire, les islamistes ont bien reculé et sont tombés à 18,29%, soit plus de 50% de ce qu’ils avaient en 2011. Ils avaient 89 sièges en 2011, ils n’auront plus qu’une quarantaine pour la période 2019-2024, si jamais il n’y a pas de dissolution. Que s’est-il passé ? S’il fallait résumer en une phrase ce qui s’est passé, on dira qu’après la mort de Habib Bourguiba en 2000, Zine El Abidine Ben Ali et Béji Caïd Essebsi sont morts en 2019. Si Habib Bourguiba a laissé un héritier derrière lui, Zine El Abidine Ben Ali a laissé un désert. Et à cause de ce désert et de ses 23 ans de gouvernance despotique sans partage, il n’a pas laissé d’héritiers. Béji Caïd Essebsi a beau avoir essayé de laisser des « hommes » derrière lui, il n’a pas réussi. Ridha Belhadj, Mohsen Marzouk, Saïd Aïdi, Selim Azzabi, Hafedh Caïd Essebsi, Youssef Chahed, Néji Jalloul, aucun de ces « hommes » là n’a été capable de reprendre le flambeau de Béji Caïd Essebsi et de s’imposer en « homme » rassembleur et fédérateur.
Le résultat est là, l’adversaire est en perte nette de vitesse, mais la famille dite progressiste n’est même pas engrenée, elle est juste au point mort. Alors que les islamistes colmatent leurs brèches et essaient, tant bien que mal, de limiter leur casse, les progressistes, eux, continuent encore à se casser les uns les autres, encore et encore. Le dernier d’entre eux, Nabil Karoui, celui qui était parmi les fondateurs de Nidaa, parti de Béji Caïd Essebsi, en 2012 et celui qui a mené sa victoire en 2014 est jeté aux chiens. Jusqu’au dernier jour de la campagne, il est enfoncé par les siens, et en premier lieu Youssef Chahed.
Les « hommes » qu’a laissé Béji Caïd Essbesi derrière lui ont quelque chose de démesuré et on l’a dit et écrit des dizaines de fois : leur égo ! Ils regardent la Tunisie de haut, du haut de la colline, depuis leur tour d’ivoire. Ils n’écoutent rien, ni personne. Comme les califes, comme les dictateurs, ils frappent les amis avant les ennemis. C’est pour eux que la prière « Dieu préservez moi de mes amis, quant à mes ennemis je m’en charge » a été créée.
Cinq ans durant, ils ont refusé de mener la guerre contre les islamistes, pour éviter le déshonneur. Aujourd’hui, ils vont avoir la guerre et le déshonneur.
Ce n’est pas plus mal, le pouvoir usera davantage les islamistes qui continueront leur chute inévitablement. Les « révolutionnistes » (les pires) vont maintenant entrer à l’Assemblée et vont découvrir ce qu’est la realpolitik. Ils vont découvrir ce qu’est un Etat et ce qu’est un budget. Ils vont voir que le pays n’a pas de pétrole, il n’y a que de paresseux et des fraudeurs fiscaux.
Quant aux progressistes, ils n’ont d’autre choix que de traverser le désert et réfléchir. Ils n’auront pas beaucoup de choix. S’ils veulent récupérer le pouvoir, ils doivent travailler comme tous les autres partis des pays démocrates et comme travaille Ennahdha. Des structures de bas en haut, un congrès électif que le meilleur gagne. Les perdants, parmi eux, se mettront derrière le gagnant et non devant lui. Entendront-ils cela ? Appliqueront-ils cette règle basique de la chose politique ? Le doute est permis. Dès demain, vous allez les voir s’attaquer les uns les autres et chercher un peu partout des boucs émissaires.
Bon vent à Ennahdha ! Cette victoire, aussi petite soit-elle, vous la méritez ! Ce n’est pas que vous êtes forts, loin de là, c’est nous qui sommes trop faibles ! Félicitations !