Faut-il accroître l’investissement ou augmenter les salaires ?
Par Houcine Ben Achour
Les résultats des différents examens et concours tiennent, en ce moment et non sans raison, le devant de l’actualité. Les performances scolaires de nos chérubins sont une préoccupation majeure dans la mesure où, demain, ils auront la lourde mais aussi exaltante responsabilité de la destinée du pays. Malheureusement, cette année 2018 est loin de devoir être inscrite en haut de l’échelle de la réussite. A preuve, les résultats du concours de fin du cycle de l’enseignement de base. Un peu moins de 1 400 élèves sur près de 25 000 inscrits ont réussi le concours de la neuvième année de l’enseignement de base. Pourtant, le ministère de l’Education a réservé environ 3 150 places dans les différents lycées pilotes répartis dans le pays. Un taux de réussite qui dépasse à peine 5% des inscrits au concours mais, pire encore, car ce taux dépasse à peine 1% du total des élèves de neuvième au nombre de 125 000 environ. Tel est le nombre de notre primo-élite. Combien en restera-t-il à la fin du cursus non pas seulement secondaire, mais supérieur ? Le fait d’imaginer une réponse donne déjà froid dans le dos. En tout cas, cela suffit amplement à décréter l’urgence absolue de réforme du système éducatif du pays et de réorienter les moyens mis à la disposition du secteur de l’éducation.
La réforme ne devrait pas se réduire à une refonte des contenus et des programmes mais englober la manière et les outils idoines pour les dispenser. Quant aux moyens, il suffit d’établir un parallèle entre l’évolution du budget des rémunérations et celle du budget d’investissement du ministère de l’Education pour être édifié. En effet, entre 2011 et 2017, le budget des rémunérations du personnel de l’éducation nationale est passé de 3 600 MD à 5 900 MD. Dans le même temps, le budget d’investissement de l’Etat dans l’éducation est passé de 455 MD en 2011 à … 310 MD environ en 2017, faisant chuter de plus de moitié un ratio déjà faible d’investissement par rapport aux rémunérations qui passe de 12,5% à un peu plus de 5%. N’est-il pas temps de corriger cette épouvantable distorsion ? N’est-il pas temps que les syndicats des enseignants de l’éducation nationale prennent conscience que si le niveau de nos élèves est aussi déliquescent c’est en grande partie en raison des choix qu’ils ont imposé : améliorer leur niveau de vie au dépend de l’amélioration des conditions d’études des écoliers et des collégiens de ce pays, augmenter leur salaires au dépens de l’amélioration des infrastructures éducationnelles du pays. De ce point de vue, ils sont disqualifiés pour dénoncer la dégradation des structures éducatives du pays.
Cette effroyable asymétrie entre budget des rémunérations et budget d’investissement n’est pas l’apanage du seul secteur de l’éducation nationale. L’enseignement supérieur n’est pas en reste. Le ratio investissement/salaires dans l’enseignement supérieur est passé de 17% en 2011 à 6% en 2017. En matière de santé publique, ce ratio est heureusement demeuré stable quoique très faible autour de 10%. Cela n’a pas empêché la fuite de nos cadres médicaux à l’étranger dont les répercussions se feront sentir dans un très proche avenir.
Plus généralement, le ratio investissements/rémunérations du budget général de l’Etat n’a cessé de se dégrader, perdant la moitié de sa valeur entre 2011 et 2017.
Cela étant, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité d’un nouveau round de négociations sur les salaires dans la fonction publique et même dans le secteur privé. Il est manifestement curieux que le gouvernement s’engage dans un tel processus alors que, à la lecture de l’état d’exécution du budget à fin mai 2018, il n’a aucune marge budgétaire susceptible de lui permettre de répondre positivement à toute augmentation de salaires dans la fonction publique. Le Conseil d’administration du FMI qui se réunit demain dans le cadre de la 3e revue du programme devant permettre le décaissement d’une nouvelle tranche du crédit élargi ne va pas occulter le sujet, pouvant rappeler les autorités tunisiennes à ses propres obligations, inscrites dans le Mémorandum de politique économique et financière au sein duquel elles s’engagent à un gel des salaires dans l’administration et la fonction publique durant les années 2018 et 2019.
Il est d’autant curieux que l’Utica, la centrale patronale historique, se soit elle aussi engagée dans un processus de négociations de même nature alors que les chefs d’entreprises ne cessent de plaindre des charges de plus en plus lourdes que subissent les entreprises ; charges fiscales, sociales et financières avec le récent relèvement du taux d’intérêt directeur de la Banque centrale. Certains mêmes allant jusqu’à menacer de tomber dans l’informalité.
Aujourd’hui, le choix est crucial entre augmenter les salaires ou accroître l’investissement. Entre sauvegarder le pouvoir d’achat ou ouvrir de nouvelles perspectives de création d’emploi.