Ennahdha, Tahya Tounes et Nidaa, trois partis qui jouent leur existence
Par Sofiene Ben Hamida
A cinq jours de la clôture des délais de dépôt des candidatures, les trois principaux partis politiques n’arrivent toujours pas à annoncer leurs candidats pour la prochaine élection présidentielle qui se déroulera le 15 septembre prochain.
Le parti islamiste Ennahdha qui domine le paysage politique depuis huit ans n’arrive toujours pas à se décider s’il va présenter son propre candidat ou s’il va soutenir la candidature d’une personnalité « consensuelle ». Lors de la dernière réunion du conseil de la choura laissée ouverte jusqu’à mardi prochain, il aurait fallu toute la fourberie de Rached Ghannouchi pour contourner le vote étriqué en faveur de la désignation d’un présidentiable parmi les dirigeants islamistes.
Contrairement aux apparences, ce ne sont pas les querelles internes et les conflits générationnels - même s’ils sont réels - qui empêchent le parti islamiste de prendre une décision claire concernant l’élection présidentielle. Sur le plan géopolitique, les islamistes savent que les vents ont tourné en leur défaveur depuis quelques années et que, parmi les décideurs du monde, les défenseurs de l’islam démocratique et de l’islamisme modéré ne sont plus aussi nombreux qu’il y a dix ans. Leur intérêt vital aujourd’hui, serait donc de faire le dos rond et de ne pas trop s’exposer.
Sur un plan social et politique, ils savent qu’un candidat islamiste à l’élection présidentielle, même s’il passe au premier tour, risque fort de subir une défaite cuisante au second tour. Ce qui ne manquera pas de peser sur le moral des troupes et d’avoir des répercussions négatives sur leurs résultats aux prochaines élections législatives. La meilleure option pour les islamistes serait donc de soutenir la candidature du chef du gouvernement actuel Youssef Chahed moyennant un partage du pouvoir qui garantirait la mainmise des islamistes sur la Kasbah et le Bardo. La décision d’Ennahdha de laisser la session du conseil de la choura ouverte jusqu’à mardi serait donc un moyen de pression supplémentaire sur le chef du gouvernement pour le forcer à se plier aux exigences des islamistes.
Mais les islamistes ne sont pas les seuls à vouloir forcer la décision du chef du gouvernement. Son propre parti politique, Tahya Tounes l’a appelé vendredi à se présenter. Pour un parti qui est né adossé aux structures de l’Etat mais qui connait une pandémie de démissions au sein de ses structures, cette candidature est sa bouée de sauvetage. Elle lui garantirait une présence dans les hautes sphères de l’Etat et pourrait booster ses scores aux prochaines législatives. Peu importe si le prix à payer est de laisser la présidence du gouvernement ainsi que celle de l’ARP aux islamistes, l’essentiel est de sauver la tête de quelques cadres du parti qui ne s’imaginent plus à l’écart du pouvoir. Il s’agit maintenant pour Youssef Chahed, qui avait déclaré avoir pris sa décision, de montrer s’il accepte d’être l’hôte à tout prix de Carthage, même s’il devait être esseulé, ou au contraire s’il est armé de suffisamment de courage pour faire sa traversée du désert en attendant de reformuler son projet politique se basant sur sa jeunesse et sur un entourage moins magouilleur.
Nidaa, qui est en pleine reconstruction après ses déconvenues successives et le décès de son fondateur, ne se trouve guère dans une position plus confortable. Il a annoncé qu’il désignera un candidat selon des critères précis dont notamment celui de se présenter sous la bannière du parti. Son discours étant clairement adressé au candidat potentiel Abdelkrim Zbidi, actuel ministre de la Défense, il s’agit maintenant de savoir si ce dernier accepte les termes de cet accord qui lui est proposé. En fait, ce deal a l’avantage pour Nidaa de continuer de profiter de la dynamique favorable qui est apparue au lendemain du décès du président Béji Caïd Essebsi au profit de Nidaa et du ministre de la Défense. Allier les efforts pourrait donc être mutuellement profitable à Nidaa ainsi qu’au ministre de la Défense qui sera soutenu par une logistique imposante, à moins qu’il ne préfère se présenter en tant qu’indépendant, profitant de la vague de sympathie qui le porte actuellement.
Quoi qu’il en soit, le fait que les trois partis politiques les plus importants n’arrivent pas, à quelques jours de la fermeture des délais de dépôt des candidatures, à donner les noms de leurs candidats n’est pas anodin. Cela montre que la révolution a bien secoué ce pays, habitué depuis trop longtemps à un président inamovible ou à une présidence à vie. Cela montrerait aussi que jusque-là, on avait tendance à accorder une importance exagérée à des partis politiques qui, aux moments fatidiques, ne cessent de montrer leurs propres limites.