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Tribunes
Ghannouchi-Caïd Essebsi: Une responsabilité historique
20/09/2013 | 1
min
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Par Yassine Brahim*

Mohamed Brahmi a été lâchement assassiné le 25 Juillet 2013, nos soldats quelques jours après, notre pays est rentré dans sa quatrième crise politique institutionnelle profonde, après celles du 14 Septembre 2012, attaque terroriste de l'ambassade américaine, du 18 octobre 2012, assassinat de Lotfi Naguedh et du 06 Février 2013, assassinat de Chokri Belaïd.
Quels sont les acteurs clés de la pièce qui se joue en ce moment sur la scène de théâtre qu'est notre pays, La Tunisie?
Tout d'abord, le pouvoir en place que certains appellent encore la Troïka, moi je dis franchement Ennahdha car la petite histoire de la Troïka a démontré que le CPR se limite désormais à son courant Nahdhaoui, et Ettakattol, malgré quelques sursauts de Si Mustapha Ben Jaâfar de temps en temps, a toujours fini par se plier à la volonté d’Ennahdha à chacune des crises sans exception. Donc le pouvoir c'est Ennahdha, mouvement plus que parti qui a un leader arbitre qui s'appelle Si Rached Ghannouchi.
En face, l'opposition. Elle n'a pas de poids au sein de l'ANC, dont la légitimité est discutable depuis 23 Octobre 2012, elle a donc choisi, dès le début de cette quatrième crise, de suspendre sa participation à cette institution, chambre d'enregistrement de la volonté du pouvoir. Elle est par contre majoritaire dans tous les sondages d'opinion depuis plusieurs mois. Elle est menée par un Front-parti, Nidaa Tounes, qui a réussi en moins d'un an après sa création à dépasser Ennahdha dans les sondages. Nidaa mène l'Union Pour la Tunisie et a réussi à se faire accepter par l'extrême gauche, hostile au début, pour constituer le Front du Salut National. Cette opposition a de fait un leader, Si Beji Caïd Essebsi.
Les organisations de la société civile et à leur tête l'UGTT, l'UTICA, la LTDH et l'ordre des avocats, ont proposé à plusieurs reprises, et surtout l'UGTT depuis le 16 Octobre 2012, des plateformes de discussion pour rechercher un consensus national pour réussir cette phase de transition. Ennahdha a refusé d'y participer fin 2012 par volonté d'exclusion de Nidaa et a choisi la voie de la violence à travers les LPR, la répression policière à Siliana, etc. Il a fallu l'assassinat de Chokri Belaïd pour que le parti au pouvoir remette en cause cette stratégie et accepte de discuter avec Nidaa...
Malgré la pertinence de l’approche et la richesse des contenus, ces plateformes n'ont pas donné de résultat concret, trop d'acteurs et surtout un manque de volonté d'Ennahdha sont les principales raisons.
Donc cette crise, la plus grave ne peut être résolue que s'il y a une entente entre Messieurs Rached Ghannouchi et Beji Caïd Essebsi. Cela frustre beaucoup de monde, mais c'est la réalité des pouvoirs actuels dans le pays quoi que nous puissions en penser. A eux deux ils représentent plus de 70% de l'ANC et de l'opinion publique se prononçant dans les sondages. L'un représente le pouvoir actuel, l'autre représente l'opposition.

Ils deviennent par conséquence les responsables de la réussite ou de l'échec de cette phase de transition. Ils discutent et négocient ensemble depuis un mois et pour le moment nous ne voyons pas encore la fin du tunnel. La pièce continue à se jouer mais j'ai envie de leur dire attention messieurs la scène du théâtre commence à brûler.

En effet, notre pays se dirige vers une accélération de la crise économique et donc sociale. Je suis effaré par la soi-disant sérénité affichée par le gouvernement au point qu'ils ne commentent même plus les baisses des notes du pays de la part des agences de notation internationales, la baisse de l'attractivité de la Tunisie comme destination d'investissement, l'écroulement de notre devise, la grande baisse de la productivité, le creusement inquiétant du déficit et l'important non respect des projections de crédit budgétées. En effet, la Tunisie a 1,4 Milliards de dollars de crédits qui son censés tomber au 4eme trimestre 2013 selon le rapport de la mission du FMI fait fin Mai 2013 disponible sur leur site. 70% sont très loin d'être garantis. Si nous n'y arrivons pas, ne pouvant pas aller sur les marchés financiers vu nos notes, l'investissement public est freiné encore plus, les réserves en devise baissent, le pays devient encore plus risqué, les banques internationales baissent leurs lignes de crédit court terme sur les banques tunisiennes, l'économie tunisienne qui est une économie de flux, nous ne pouvons rien produire sans importer et nous exportons beaucoup, rentre alors dans une descente aux enfers.
Quels sont nos créditeurs actuellement? La Banque mondiale, la BAD, le FMI, la BEI et quelques pays amis, donc que des bilatéraux et des multilatéraux. Les actionnaires principaux étant les Etats Unis et l'Union Européenne.
Quoi donc de surprenant que Si Rached Ghannouchi et Si Beji Caïd Essebsi se rencontrent à Paris avec la bénédiction de ces deux puissances mondiales alliées de la Tunisie ? Les Etats Unis malgré la grande agression subie sur nos terres est et reste un pays ami historique de la Tunisie, certes intéressé, comme le sont tous les amis géostratégiques, par une stabilité sur le plan sécuritaire. Ils semblent convaincus que s'il y a un pays arabe qui peut réussir à installer une vraie liberté et une démocratie après la révolution, c'est le notre.
L'Union Européenne avec laquelle nous réalisons 75% de nos échanges économiques nous connait bien. Toutes les diplomaties sont bien conscientes de ce qui se passe chez nous. L'UE est de loin le premier investisseur en Tunisie. Plusieurs millions de touristes européens nous visitent tous les ans. Nos histoires sont liées, notre futur le saura autant. Nous sommes au sud de leur rive, un chaos sécuritaire chez nous est dangereux pour l'Europe. Notre réussite est plus que souhaitée car en plus de l'intérêt sécuritaire, l'intérêt économique et social est important.
Il est donc normal que le couple Ashton-Kerry encourage le couple Ghannouchi-Caïd Essebsi à s'entendre. Il ne s'agit aucunement de perte de souveraineté pour notre pays, il s'agit de "support" dans le cadre d'intérêts communs. Nous devrions plutôt être fiers que notre pays avec ses 11 millions d'habitants et la petite taille de son économie soit au centre des intérêts de ces deux puissances mondiales.
Quand aux visites chez nos frères algériens, je suis aussi surpris des réactions négatives qu'elles ont générées. La maison est en train de s'écrouler, des travaux sont à prévoir avec un risque de nuisance, et dieu sait si nous avons fait du bruit et chez nos amis dans le sud et sur les frontières, c'est la moindre des politesses que d'aller prévenir son voisin, voire de lui présenter le plan pour qu'il sache à quoi s'en tenir pendant les travaux. Là encore, je ne vois pas où se situe la perte de souveraineté.
Oui, nous aurions été heureux d'être des citoyens d'un pays totalement souverain, excédentaire financièrement, ayant une large réserve en devises, maîtrisant parfaitement ses frontières sur le plan sécuritaire, et du coup ne dépendant réellement de personne pour survivre, mais cela c'est le pays que nous allons construire si nous réussissons, et nous allons réussir, mais ce n'est pas encore la Tunisie d'aujourd'hui.

Donc en clair nous avons deux Responsables avec un grand R soutenus chacun par leur camp politique large, par la société civile, un environnement international géopolitique favorable et pourtant les négociations trainent en longueur. Ils n'ont pas droit à l'échec mais le temps compte beaucoup car la situation se dégrade de jour en jour.

Je m'adresse tout d'abord à Si Rached Gahnnouchi. Je sais que vos supporters acceptent encore moins que vous les critiques à votre encontre, j'en ai fait les frais quelques fois. Je vais en surprendre quelques uns mais je vais commencer par reconnaitre vos mouvements dans le bon sens ces derniers mois. Tout d'abord à Dar Dhiafa en Avril 2013, je vous ai vu faire évoluer la position de vos pairs sur la constitution et vous étiez déjà prêt à changer l'article 139 devenu 141. Mais sur ce point en revenant à votre groupe parlementaire et votre parti vous avez reculé mais quelle perte de temps, vous savez bien qu'un passage en force sur ce sujet ne passera jamais en Tunisie. Ensuite sur les LPR, vous avez accepté un texte que vous n'avez jamais appliqué. Vous avez remis une dose de confiance durant ce Dialogue que vous avez perdu ensuite car la volonté a manqué pour aller jusqu'au bout, surtout dans la phase 2 sous l’égide de l’UGTT. Vous tenez un équilibre dans votre organisation entre les deux tendances fortes mais là vous n'avez plus d'autre choix que de pencher du côté de la raison. Le passage en force que vous avez tenté depuis 20 mois n'est plus possible. Vous le savez bien. Vous devez reculer pour espérer un jour mieux sauter. La peur de la revanche? Ce n’est plus possible dans notre pays, votre mouvement est suffisamment fort désormais et la liberté que nous voulons voire s'installer chez nous fera que nous n'accepterons plus jamais qu’en Tunisie des citoyens soient traités comme ont été traité les islamistes ou encore la gauche pendant les régimes de l'avant révolution.
Vous devez conclure avec Si Béji Caïd Essebsi vite désormais dans l'intérêt du pays et de votre mouvement, qui n'est pas encore un parti politique et qui devra préparer sa propre révolution, pardon évolution.

Si Beji Caïd Essebsi. Vous dites toujours que vous ne vous engagez jamais dans un projet non gagnant. Vous en avez gagné deux depuis la révolution, avoir amené le pays vers les élections et avoir créé un front qui a équilibré les forces politiques en présence. Désormais "jamais deux sans trois" doit s'appliquer coûte que coûte: vous devez réussir à clôturer dans les quelques jours à venir cette négociation avec Si Rached Gahnnouchi et amener le pays vers les prochaines élections dans un climat serein et sans risque de fraude ou malversation. Vous avez pris le lead, vous êtes désormais responsable devant toute l'opposition de la réussite ou de l'échec de ces négociations. La mobilisation s'est ramollie car toute l'opposition sait que vous êtes en train de négocier. Ces négociations ne sont pas faites de manière suffisamment transparentes du goût de plusieurs acteurs de notre camp, mais ce n'est pas grave, votre capital confiance est important. Cependant plus le temps passe plus il va s'épuiser et des explications nous sont dues car nous ne pouvons laisser notre pays aller vers le chaos en comptant sur une entente qui tarderait trop à venir...

Messieurs, les organisations de la société civile ont encore proposé un scénario plausible qui peut être acceptable pour vos camps respectifs, concluez les grandes lignes et regroupez tout le monde pour une photo d’une Tunisie démontrant sa capacité à trouver un consensus national dans un moment très difficile de sa transition vers la liberté et la démocratie.


*Fondateur Afek Tounes


20/09/2013 | 1
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