L’enlisement
Par Houcine Ben Achour
Alors que l’économie tunisienne tente cahin-caha de sortir de l’eau, la crise politique actuelle risque de la faire replonger dans les profondeurs des difficultés. Cela ne s’est pas fait attendre d’ailleurs. L’Agence de rating Fitch n’a pas seulement confirmé la note de « B+ » sur le risque pays mais a aussi révisé les perspectives de ce risque de « stables » à « négatives ». En 8 ans, la dégringolade est vertigineuse. Le pays est passé du grade « Investment » affichant un triple « B » avec des perspectives « stables » à un indigne « B+ » et le pire serait à craindre. La Tunisie est ainsi passée d’un statut de pays crédible et sûr à un pays avec lequel il faudrait réfléchir par deux fois avant de lui faire crédit. Il y a deux mois, c’est l’agence de rating Moody’s qui a dégradé la note souveraine de la Tunisie la faisant passer de « B1 » à « B2 » avec des perspectives « stables ». Si la notation de Moody’s avait été publiée ces jours-ci, l’agence n’aurait eu aucun scrupule à estimer que les perspectives du risque Tunisie sont négatives. Voilà où nous en sommes.
Le document de Carthage 2 va-t-il nous faire émerger des flots ? Mais avant même de tenter une réponse, il convient de se poser une autre question : Hormis le fameux 64e point du document, qui a connaissance des 63 autres qui le précèdent ? Très peu. Quelques dizaines de personnes, au mieux. L’opinion publique était et est toujours en droit de savoir ce que stipule le texte du projet d’Accord de Carthage 2 pour juger de la nécessité ou non d’un remaniement ou d’un changement de gouvernement. Or, à ce jour elle en est totalement ignorante. Une fois de plus, on la laisse sans repère.
Qu’à cela ne tienne. Il semble bel et bien que l’Accord de Carthage 2 ressemble fort à son précédent. L’Accord initial contenait une soixantaine d’objectifs ou actions par le gouvernement d’Union nationale si l’on excepte les 7 points visant à soutenir l’efficacité du travail gouvernemental et à parachever la transition démocratique. L’Accord suspendu de Carthage 2 contiendrait sensiblement le même nombre, ce qui a fait dire à un membre de la commission d’experts chargé d’élaborer cette nouvelle feuille de route que « la mise en œuvre de ces points requiert 4 à 5 ans, alors qu’il ne reste au gouvernement en place que 20 mois d’exercice ».
Ainsi, on change de gouvernement pour que le prochain ait plus de temps nécessaire afin d'accomplir sa mission. L’expert en question est membre d’un parti partisan du départ de Youssef Chahed. Ainsi, ce parti demande des comptes à un gouvernement, installé depuis moins de 2 ans, pour exécuter un programme – Accord de Carthage 1 - qui en nécessite le double sinon beaucoup plus tout en étant d’accord pour fournir un délai de 4 à 5 ans à un nouveau gouvernement qui serait chargé de réaliser les objectifs et autres mesures contenus dans l’Accord de Carthage 2, sans lui demander entre temps des comptes. Il y a de quoi tomber à la renverse.
La digression ne doit pas nous dévier de l’essentiel qui est de savoir si, en dépit de sa mise en veilleuse, cet Accord de Carthage 2 tient compte du programme de réformes économiques que le pays a présenté, il y a deux ans, au FMI en contrepartie de son soutien financier de 2,8 milliards de dollars sur 4 ans.
A un moment où la Tunisie envisage de solliciter les milieux financiers internationaux pour un crédit de un milliard de dollars, ces derniers ne vont plus seulement se focaliser sur les résultats macroéconomiques du pays et les réformes économiques qu’il a entreprises mais de jauger aussi la stabilité politique qui y règne. Là aussi, ils veulent avoir une visibilité. De celle-ci dépendra tout le reste. Depuis février 2018, certains membres signataires de l’Accord de Carthage 1 ne semblent pas l’avoir compris. Jusqu’à quand ? Quel épouvantable dommage pour le pays de subir un tel enlisement.