La semaine a été bien noire en Tunisie. Deux jeunes collégiennes meurent dans un internat suite à un incendie. L’une de leur camarade échappe à la mort parce que, dit-elle le plus naturellement du monde, elle n’a pas pu dormir à cause du froid et de la faim.
Le parlement européen vote un texte inscrivant la Tunisie dans une liste de pays fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.
Un nouveau député entre à l’ARP, alors qu’il séjournait, il n’y a pas longtemps, en prison. Avant les élections 2014, il multipliait les injures et les calomnies contre ses adversaires politiques, il touchait carrément l’honneur des femmes et des hommes politiques et de médias, juste parce qu’ils avaient des idées différentes que les siennes ou qu’ils appartenaient à une classe sociale aisée.
Un directeur d’une chaîne de télévision publique est limogé sur le champ suite à ce qui a été considéré comme une erreur, sans avoir consulté son conseil d’administration ou l’autorité de régulation.
Un scandale de blanchiment d’argent éclate à la Banque centrale. Un quotidien accuse, presque nommément, des personnalités politiques et économiques, d’espionnage. Le porte-parole du parquet dément catégoriquement, mais le mal est fait, l’honneur de ces personnalités est atteint.
Hassen Zargouni, dans ses excès d’optimisme, répète tout le temps que « le succès est en nous ». Ceci est très vrai, mais ce n’est pas moins vrai que l’autre maxime : « le mal est en nous ».
Après l’inscription de la Tunisie dans la liste des pays fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, plusieurs voix se sont élevées pour dénigrer les Européens et crier à la théorie du complot. Rares sont ceux qui ont osé se regarder dans le miroir et établir une autocritique pour voir ce mal qui est en nous, en nos institutions, en nos gouvernants, en nos députés, en nos lois, en notre constitution. Cette fois, et contrairement à ce qu’on répétait avant la révolution, les médias ont tiré la sonnette d’alarme depuis belle lurette pour pointer du doigt ce mal.
Jeudi prochain, l’ARP va examiner la proposition de limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari. Il sera sur le bûcher et on l’accusera du mal qui nous arrive. Peut-être de tout le mal qui nous arrive. La responsabilité de M. Ayari est indéniable, mais il est loin d’être coupable et encore moins l’unique responsable.
S’il est vrai que les centaines de milliers de dollars et d’euros qui viennent de l’étranger passent par le système bancaire officiel et que la BCT est informée systématiquement de tout virement important, il n’en demeure pas moins que celle-ci n’a ni le droit, ni les moyens, de contrôler la légalité de ces virement et de ces transactions. Des ONG pullulent par centaines depuis 2011 et font tourner des budgets de centaines de milliers de dinars, mais elles ne subissent aucun contrôle. Les partis politiques font tourner des budgets de centaines de milliers de dinars, voire des millions, mais eux non plus ne subissent aucun contrôle. Ce n’est pas à la Banque centrale de les contrôler, son rôle s’arrête à informer les organismes chargés de ces contrôles, à savoir le fisc, la douane, la présidence du gouvernement. Qu’ont fait ces derniers ? Pas grand-chose.
Les devises s’échangent en toute impunité et presque pignon sur rue à Ben Guerdène et près de la Porte de France à Tunis. Est-ce le rôle de la BCT de les arrêter ? Il est indéniable que la BCT, et tout notre système bancaire est défaillant, mais ce n’est qu’un maillon défaillant parmi les nombreux autres maillons défaillants de la chaîne.
Quand on parle de blanchiment d’argent, on ne peut pas ne pas penser à ces évadés fiscaux qui représentent près de 50% du PIB. Parmi les évadés fiscaux, les contrebandiers, mais aussi des avocats et des médecins. Est-ce à la BCT de leur demander d’où proviennent leurs richesses ou à l’administration fiscale ? Cette dernière, elle-même, est ligotée par des lois qui lui interdisent d’aller voir le contrebandier délinquant et l’obligent à contrôler le commerce qui a choisi la voie de la légalité. C’est tout notre système qui sanctionne la légalité et encourage l’illégalité.
Pour mettre fin à ce système, une proposition de loi, parmi tant d’autres, dort encore dans tiroirs de l’ARP. Elle est destinée à contrer l’enrichissement illicite et elle a été proposée par Attayar depuis 2015, mais personne ne veut la voir votée. Le gouvernement a proposé plusieurs lois similaires qui l’aident à contrer le commerce informel et le blanchiment d’argent, mais elles dorment encore.
Les députés ne veulent pas de ces lois, car les députés eux-mêmes ont des choses à se reprocher. On ne compte plus les députés qui défendent ouvertement les contrebandiers et qui crient, jusqu’à la semaine dernière, que le terrorisme est une « fazzâa » (le terrorisme est un épouvantail) ?
Les partis qui ont rendu public leurs états financiers et ont montré les sources de leur financement se comptent sur les doigts d’une main. On ne compte plus, en revanche, les histoires qui se racontent sur l’enrichissement soudain et insolent de plusieurs députés.
Ce sont ces mêmes députés qui vont demander des comptes à Chedly Ayari. Et vous allez être surpris jeudi par le nombre de députés qui vont l’adouber et l’excuser. En apparence, ils vont dire que c’est le gouvernement qui est coupable de notre débâcle actuelle et que M. Ayari ne doit pas être un bouc émissaire, mais en réalité, ils vont essayer de le maintenir à son poste parce qu’il leur a permis, de quelque manière que ce soit, de s’enrichir et de blanchir de l’argent en toute impunité. Parce qu’il leur a gardé leurs agents infiltrés dans la BCT qui ont permis à leur parti de se faire financer de l’étranger en toute impunité.
La Tunisie a connu une semaine noire. En théorie, la résolution de ces problèmes liés au financement du terrorisme et au blanchiment d’argent devrait occuper tout le paysage médiatico-politique. En théorie, on devrait dépoussiérer les projets de lois dans les tiroirs pour laver l’honneur de tout un pays.
C’était quoi la loi qui veut être examinée en priorité par nos chers et valeureux députés ? La loi contre la normalisation avec Israël ! Les Palestiniens eux-mêmes ont normalisé avec Israël et traitent avec l’Etat hébreu quotidiennement, mais certains députés tunisiens veulent être plus palestiniens que les palestiniens ! Ils sont amis avec tous les amis d’Israël et veulent criminaliser toute relation avec Israël ! Les Palestiniens sont dans nos cœurs, tout comme leur cause, mais arrêtez de jouer avec leur cause pour vos fins politiques ! Quand vous étiez poursuivis par l’ancien régime, vous vous êtes enfuis en Grande-Bretagne et en France, grands amis d’Israël ! Quand la révolution est arrivée, vous vous êtes acoquinés et vous êtes déculottés devant le Qatar et la Turquie, grands amis d’Israël ! Si ça se trouve, l’argent par lequel vous financez vos partis est de l’argent israélien transitant par Doha et Ankara ! Vous utilisez quotidiennement des produits et des applications venues d’Israël et vous le savez, mais vous le cachez aux moutons qui vous suivent et vous utilisez la cause palestinienne pour gagner une quelconque sympathie et justification de votre existence à l’ARP !
La priorité de la Tunisie, en ce moment, n’est pas de criminaliser la normalisation avec Israël, car cela ne nous ajoutera rien, au contraire ! La priorité est d’en finir avec le commerce informel et le blanchiment d’argent pour sauver le pays. Montrez patte blanche, publiez vos comptes au grand public et dites aux électeurs d’où provient votre enrichissement soudain et d’où sont financés vos partis !
La vérité est que nos députés (de l’ANC et de l’ARP) sont les premiers coupables de ce qui nous arrive actuellement. Nous avons une constitution qui empêche le pays d’avancer, nous avons un code électoral qui autorise les délinquants à entrer au parlement, nous avons des députés qui jouissent d’une impunité totale grâce à une immunité détournée de son objectif, nous avons des projets de loi salvateurs qui dorment dans les tiroirs, nous avons des députés qui convoquent un ministre pour l’interroger et s’absentent eux-mêmes.
Le gouverneur de la BCT porte des responsabilités dans ce qui nous arrive et il doit rendre des comptes et, de préférence, être remplacé. Le gouvernement actuel porte également des responsabilités et certains de ses membres méritent le départ. L’administration porte aussi beaucoup de responsabilités et mérite un dépoussiérage tant elle compte de fonctionnaires inutiles. Mais la « culpabilité » de tout ce beau monde réuni ne saurait égaler celle de nos députés dont certaines actions, ou inactions, sont similaires à des crimes contre tout un peuple !