alexametrics
vendredi 26 avril 2024
Heure de Tunis : 07:21
Chroniques
Chedly Ayari, responsable, mais pas coupable
12/02/2018 | 16:00
6 min

La semaine a été bien noire en Tunisie. Deux jeunes collégiennes meurent dans un internat suite à un incendie. L’une de leur camarade échappe à la mort parce que, dit-elle le plus naturellement du monde, elle n’a pas pu dormir à cause du froid et de la faim.

Le parlement européen vote un texte inscrivant la Tunisie dans une liste de pays fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.

Un nouveau député entre à l’ARP, alors qu’il séjournait, il n’y a pas longtemps, en prison. Avant les élections 2014, il multipliait les injures et les calomnies contre ses adversaires politiques, il touchait carrément l’honneur des femmes et des hommes politiques et de médias, juste parce qu’ils avaient des idées différentes que les siennes ou qu’ils appartenaient à une classe sociale aisée.

Un directeur d’une chaîne de télévision publique est limogé sur le champ suite à ce qui a été considéré comme une erreur, sans avoir consulté son conseil d’administration ou l’autorité de régulation.

Un scandale de blanchiment d’argent éclate à la Banque centrale. Un quotidien accuse, presque nommément, des personnalités politiques et économiques, d’espionnage. Le porte-parole du parquet dément catégoriquement, mais le mal est fait, l’honneur de ces personnalités est atteint.

 

Hassen Zargouni, dans ses excès d’optimisme, répète tout le temps que « le succès est en nous ». Ceci est très vrai, mais ce n’est pas moins vrai que l’autre maxime : « le mal est en nous ».

Après l’inscription de la Tunisie dans la liste des pays fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, plusieurs voix se sont élevées pour dénigrer les Européens et crier à la théorie du complot.  Rares sont ceux qui ont osé se regarder dans le miroir et établir une autocritique pour voir ce mal qui est en nous, en nos institutions, en nos gouvernants, en nos députés, en nos lois, en notre constitution. Cette fois, et contrairement à ce qu’on répétait avant la révolution, les médias ont tiré la sonnette d’alarme depuis belle lurette pour pointer du doigt ce mal. 

Jeudi prochain, l’ARP va examiner la proposition de limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari. Il sera sur le bûcher et on l’accusera du mal qui nous arrive. Peut-être de tout le mal qui nous arrive. La responsabilité de M. Ayari est indéniable, mais il est loin d’être coupable et encore moins l’unique responsable.

 

S’il est vrai que les centaines de milliers de dollars et d’euros qui viennent de l’étranger passent par le système bancaire officiel et que la BCT est informée systématiquement de tout virement important, il n’en demeure pas moins que celle-ci n’a ni le droit, ni les moyens, de contrôler la légalité de ces virement et de ces transactions. Des ONG pullulent par centaines depuis 2011 et font tourner des budgets de centaines de milliers de dinars, mais elles ne subissent aucun contrôle. Les partis politiques font tourner des budgets de centaines de milliers de dinars, voire des millions, mais eux non plus ne subissent aucun contrôle. Ce n’est pas à la Banque centrale de les contrôler, son rôle s’arrête à informer les organismes chargés de ces contrôles, à savoir le fisc, la douane, la présidence du gouvernement. Qu’ont fait ces derniers ? Pas grand-chose.

Les devises s’échangent en toute impunité et presque pignon sur rue à Ben Guerdène et près de la Porte de France à Tunis. Est-ce le rôle de la BCT de les arrêter ? Il est indéniable que la BCT, et tout notre système bancaire est défaillant, mais ce n’est qu’un maillon défaillant parmi les nombreux autres maillons défaillants de la chaîne.

Quand on parle de blanchiment d’argent, on ne peut pas ne pas penser à ces évadés fiscaux qui représentent près de 50% du PIB. Parmi les évadés fiscaux, les contrebandiers, mais aussi des avocats et des médecins. Est-ce à la BCT de leur demander d’où proviennent leurs richesses ou à l’administration fiscale ? Cette dernière, elle-même, est ligotée par des lois qui lui interdisent d’aller voir le contrebandier délinquant et l’obligent à contrôler le commerce qui a choisi la voie de la légalité. C’est tout notre système qui sanctionne la légalité et encourage l’illégalité.

Pour mettre fin à ce système, une proposition de loi, parmi tant d’autres, dort encore dans tiroirs de l’ARP. Elle est destinée à contrer l’enrichissement illicite et elle a été proposée par Attayar depuis 2015, mais personne ne veut la voir votée. Le gouvernement a proposé plusieurs lois similaires qui l’aident à contrer le commerce informel et le blanchiment d’argent, mais elles dorment encore.

 

Les députés ne veulent pas de ces lois, car les députés eux-mêmes ont des choses à se reprocher. On ne compte plus les députés qui défendent ouvertement les contrebandiers et qui crient, jusqu’à la semaine dernière, que le terrorisme est une « fazzâa » (le terrorisme est un épouvantail) ?

Les partis qui ont rendu public leurs états financiers et ont montré les sources de leur financement se comptent sur les doigts d’une main. On ne compte plus, en revanche, les histoires qui se racontent sur l’enrichissement soudain et insolent de plusieurs députés.

Ce sont ces mêmes députés qui vont demander des comptes à Chedly Ayari. Et vous allez être surpris jeudi par le nombre de députés qui vont l’adouber et l’excuser. En apparence, ils vont dire que c’est le gouvernement qui est coupable de notre débâcle actuelle et que M. Ayari ne doit pas être un bouc émissaire, mais en réalité, ils vont essayer de le maintenir à son poste parce qu’il leur a permis, de quelque manière que ce soit, de s’enrichir et de blanchir de l’argent en toute impunité. Parce qu’il leur a gardé leurs agents infiltrés dans la BCT qui ont permis à leur parti de se faire financer de l’étranger en toute impunité.

 

La Tunisie a connu une semaine noire. En théorie, la résolution de ces problèmes liés au financement du terrorisme et au blanchiment d’argent devrait occuper tout le paysage médiatico-politique. En théorie, on devrait dépoussiérer les projets de lois dans les tiroirs pour laver l’honneur de tout un pays.

C’était quoi la loi qui veut être examinée en priorité par nos chers et valeureux députés ? La loi contre la normalisation avec Israël ! Les Palestiniens eux-mêmes ont normalisé avec Israël et traitent avec l’Etat hébreu quotidiennement, mais certains députés tunisiens veulent être plus palestiniens que les palestiniens ! Ils sont amis avec tous les amis d’Israël et veulent criminaliser toute relation avec Israël ! Les Palestiniens sont dans nos cœurs, tout comme leur cause, mais arrêtez de jouer avec leur cause pour vos fins politiques ! Quand vous étiez poursuivis par l’ancien régime, vous vous êtes enfuis en Grande-Bretagne et en France, grands amis d’Israël ! Quand la révolution est arrivée, vous vous êtes acoquinés et vous êtes déculottés devant le Qatar et la Turquie, grands amis d’Israël ! Si ça se trouve, l’argent par lequel vous financez vos partis est de l’argent israélien transitant par Doha et Ankara ! Vous utilisez quotidiennement des produits et des applications venues d’Israël et vous le savez, mais vous le cachez aux moutons qui vous suivent et vous utilisez la cause palestinienne pour gagner une quelconque sympathie et justification de votre existence à l’ARP !

 

La priorité de la Tunisie, en ce moment, n’est pas de criminaliser la normalisation avec Israël, car cela ne nous ajoutera rien, au contraire ! La priorité est d’en finir avec le commerce informel et le blanchiment d’argent pour sauver le pays. Montrez patte blanche, publiez vos comptes au grand public et dites aux électeurs d’où provient votre enrichissement soudain et d’où sont financés vos partis !

La vérité est que nos députés (de l’ANC et de l’ARP) sont les premiers coupables de ce qui nous arrive actuellement. Nous avons une constitution qui empêche le pays d’avancer, nous avons un code électoral qui autorise les délinquants à entrer au parlement, nous avons des députés qui jouissent d’une impunité totale grâce à une immunité détournée de son objectif, nous avons des projets de loi salvateurs qui dorment dans les tiroirs, nous avons des députés qui convoquent un ministre pour l’interroger et s’absentent eux-mêmes.

Le gouverneur de la BCT porte des responsabilités dans ce qui nous arrive et il doit rendre des comptes et, de préférence, être remplacé. Le gouvernement actuel porte également des responsabilités et certains de ses membres méritent le départ. L’administration porte aussi beaucoup de responsabilités et mérite un dépoussiérage tant elle compte de fonctionnaires inutiles. Mais la « culpabilité » de tout ce beau monde réuni ne saurait égaler celle de nos députés dont certaines actions, ou inactions, sont similaires à des crimes contre tout un peuple !    

 

12/02/2018 | 16:00
6 min
Suivez-nous

Commentaires (9)

Commenter

Walii Eddine
| 14-02-2018 10:15
S'il y a eu faute dans cette affaire, elle incombe indiscutablement au tartour Moncef Marzouki. C'est lui qui, pour laver son honneur bafoué suite à l'extradition du l'ancien premier ministre libyen Mahmoudi Baghdadi à laquelle il était opposé, avait décidé de limoger Kamel Nabli du poste de gouverneur de la BCT et de le remplacer par Chedly Ayari. Il assouvissait, par la même occasion le ressentiment qu'il éprouvait, comme tout bon yousséfiste, à l'encontre des sahéliens. J'ajouterai que, s'il avait le sens de l'honneur il aurait du démissionner de la Présidence de le République au lieu de prendre une décision aussi préjudiciable aux intérêts du pays.

Xept
| 13-02-2018 15:37
Bien vu Nizar Bahloul! La Tunisie est malade de ses organes faîtiers. C'est une grave crise de l'intelligence qui frappe tout le pays. Et , bien évidemment, il faut des boucs émissaires.

Abou Walid
| 13-02-2018 12:04
Rien à redire, chapeau bas "N B" !

zbignew
| 13-02-2018 07:54
Enfin une critique objective et une analyse de responsabilité : Les Tunisiens à tous les niveaux sont, malheureusement, accomoaccomodés de leur statut de spectateurs ! Même si nous faisons beaucoup de Brouhaha! Nous ne voulons pas assumer nos responsabilités depuis les ministres, les députés, les responsables (des clubs sportifs entre autres, malgré tout le cinéma!). C'est pourquoi, démissionner d'une responsabilité quand on a gaffé, ne fait pas partie de nos coutumes! Nous avons toujours un alibi et un bouc-émissaire! A commencer par les jeunes qui se présentent ?????? ?? ?????, et qui envahissent les cafés en attendant qu'on leur propose un job à la hauteur de leur diplômes ! Avez-vous jamais eu l'occasion de voir la copie de prétendants au concours de recrutement ? Faites-le et vous comprendrez beaucoup de choses! Entre autres vous saurez que ces jeunes ne peuvent malheureusement pas avoir l'esprit d'initiative, du moment qu'ils n'ont pas la détermination de préparer comme il se doit une épreuve! Et la vie n'est autre qu'une succession d'épreuves! Mais pour affronter une épreuve, il faut d'abord se sentir RESPONSABLE!

Givago
| 12-02-2018 20:29
Le salut viendra de la dissolution de l'ARP et des nouvelles élèctions et rien d'autre.des nouvelles têtes émergeront et à la poubelle de l'histoire ceux qui ont jouer avec l'avenir du pays.

TeTeM
| 12-02-2018 19:29
Beaucoup de vérité et de contre vérité. Oui Ayari est responsable de ce qui se passe à la BCE, ne fût que de part sa position hierarchique, mais il n'est pas coupable... à moins qu'il y ai avalisé ou cautionné directement les détournements et blanchiments. La presse a tiré la sonnette d'alarme? Je ne suis pas tout à fait d'accord. Des faits - parfois mal étayé - ont été rapporté. Mais tant que nous n'aurons pas une presse d'investigation - à même de fouiner et de mener de vraies enquêtes - on ne pourra pas dire que la presse joue son rôle. @BN, je vous invite à regarder le film Pentagon Papers ;). La presse doit rapporter des faits mais cela ne suffit pas. Elle doit enquêter, donner des sources et des preuves sur les informations qu'elle dévoile... Le fait doit être incontestable et non pas se baser sur de simple "on dit" comme c'est trop souvent le cas. L'enrichissement subites et soudain de certains députés? je trouve justement les éléments que vous rapportez proche de la calomnie et de la diffamation. Cessons donc le populisme (que vous dénoncez). Pour tenir de tels propos, il faut des faits concrets (on en revient à l'investigation) et dans ce cas il faut donner des noms ! Sinon, quand un chauffeur de louage devient député, vous imaginez bien que son nouveau salaire d'élu lui permet de vivre confortablement et de s'enrichir... Pour ce qui est des Lois à faire passer d'urgence, il serait peut être utile de rappeler aux députés qu'ils sont censés nous représenter. Israël? Rien à foutre, de cette nation lointaine et à mille lieu de nos préoccupations actuelles. Après, il appartient aussi à la Presse de dénoncer ce feu de paille !

El Gocho
| 12-02-2018 17:34
Vous vous rappelez l affaire du sang contamine au VIH ou l hepathite C ou Fabius alors premier ministre et georgina Dufois ministre de la sante,accuses d homicide involentaire ont ete innocente par la justice...«Responsable mais pas coupable» (1991) – Ce qui nous rappelle aussi le proces intente contre Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Economie et des Finances (de François Fillon) qui a ete condamnée pour « négligence » dans l’un des chapitres politiques de l’affaire (incompréhensible) dite « du contentieux entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais ». Condamnée pour « négligence » mais dispensée de peine.«Coupable mais dispensée de peine» (2016). Mr Ayari sera traine certainement devant la justice,mais il y aura un grand risque de deballage qui generait la plus haute sphere du pouvoir...... . Quand a Israel,c est aux Palestiniens d engager les voies qu ils jugeront utiles pour acquerir leur independance .Les pays arabes ont propose a Israel la Paix a travers leur initiative lors du sommet arabe du 28 Mars 2002 a Beyrouth qui envisage des relations normalisées avec Israël dans le cadre d’une paix globale comprenant l’ensemble des pays arabes. L’Organisation de coopération islamique (OIC), c’est-à-dire un ensemble de pays musulmans, dont certains puissants et dynamiques comme le Pakistan et l’Indonésie entérina l’Initiative. Seul l’Iran s’oppose à l’initiative, ces propositions resteront cependant sans suite. Elle est ensuite réactivée à l'unanimité par le sommet de Riyad cinq ans plus tard en 2007. Nétanyahou a réussi à mettre le processus de paix au congélateur. Visiblement il avait d autres projets qu il est en train de realiser actuellement.Israel est presente dans certains pays arabes a travers des medias sous procuration.Ne dit on pas que l argent est le nerf de la guerre.?????.Le scenario Palestine /Israel n a pas l air de prendre fin,la diplomatie et le politique sont pousses dans la derniere case depuis longtemps et c est l extremisme religieux des deux cotes qui tranchera.Qui vivra verra.

Hanni2
| 12-02-2018 17:10
...le cirque le plus onéreux du monde! Même les tarifs du cirque du soleil sont moins chers alors que leur spectacle est autrement plus enchanteur que celui des triste clowns qui nous servent de "députés"! De toute façon ce cirque permanent qui plombe le budget du contribuable tunisien n'a été fait que pour deux raisons: 1) détourner l'attention du peuple en lui faisant croire qu'il a une représentation au gouvernement tandis que les véritables décisions continuent d'être prise par le gourou et présentées par son obligé de Carthage BCE! Un petit Chahed pour faire joli dans le devanture est le tour est joué...2) Rendre ingouvernable le pays pour que les criquets pélerins puissent s'incruster ad vitam eaternam dans les cercles de pouvoir sans pourtant n'avoir aucune des compétences requises pour occuper des postes avec des telles responsabilités...alors si Nizar ne soyez pas trop dur avec eux! Car si vous leur enlevez les sujets populistes en général et celui de la Palestine en particulier, que va-t-il rester à ses guignols pour amuser la galerie? Assurément pas grand chose...Hannibal

LIBRESPRIT
| 12-02-2018 17:09
Tous les POUVOIRS sont responsables, ainsi qu'une partie du PEUPLE !!! LE MAL EST EN NOUS ET PARTOUT...!!!