Béji Caïd Essebsi, une convalescence pas de tout repos
Le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi a quitté lundi 2 juillet, l’hôpital militaire de Tunis, après son admission, jeudi, pour un « grave malaise ». Convalescent, plusieurs dossiers brûlants attendent pourtant le président de la République.
La journée du 27 juin restera dans les annales : à l’aube une attaque terroriste à Gafsa, vers 11h deux attentats suicide à Tunis presque simultanés et pour couronner le tout, des informations persistantes sur le décès du président de la République. Jeudi noir, commenteront les Tunisiens, tant l’enchainement des mauvaises nouvelles était surréaliste. Passée la panique et l’inquiétude de cette journée, tout est rentré dans l’ordre. Les institutions de l’Etat ont continué à fonctionner normalement, la lutte pour mettre en échec le terrorisme continue avec tout le professionnalisme requis, et les nouvelles du côté de l’hôpital militaire étaient plutôt rassurantes. La Tunisie est restée debout en dépit de tout, attestant de la solidité du processus entamé il y a quelques années.
Le président de la République a donc quitté l’hôpital et on ne parle plus de vacance, ni provisoire, ni permanente. En l’absence de cour constitutionnelle, ce point à fait couler des rivières d’encre et les spécialistes en droit constitutionnel ont écumé les plateaux pour analyser les options et donner des solutions au blocage qui se profilait. Indépendamment de cette situation de crise, l’instauration de la cour constitutionnelle n’a que trop tardé et il est nécessaire aujourd’hui qu’elle voie le jour. A cause des divergences entre les partis politiques et les calculs purement partisans, une telle institution qui constituera la pierre angulaire de la démocratie tunisienne a été reléguée aux oubliettes.
Le chef de l’Etat a un rôle à jouer puisque l’établissement de la cour repose sur un système faisant intervenir les trois pouvoirs, législatif (4 membres élus), exécutif (par le biais du président de la République qui nomme 4 membres) et judiciaire (par le biais du conseil supérieur de la magistrature qui nomme 4 membres). En tant que premier garant de la Constitution, Béji Caïd Essebsi est en droit de pousser vers l’accélération de la mise en place de la cour constitutionnelle et de rapprocher les points de vue.
La convalescence du président de la République ne sera pas de tout repos, alors que le pays a traversé une énième crise politique après l’amendement du code électoral. Là aussi, BCE a un important rôle à jouer. Les amendements polémiques, jugés anticonstitutionnels, puisque excluant des candidats bien particuliers, sont actuellement examinés par l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. Mais pour être validée, cette loi doit encore être signée par Béji Caïd Essebsi. Et c’est Béji Caïd Essebsi lui-même qui l’a dit et répété à plusieurs reprises : pour lui le respect de la constitution est une ligne rouge, pas moyen qu’elle soit bafouée. La balle sera prochainement dans son camp surtout en l’absence d’une cour constitutionnelle. Deux choix : promulguer le code électoral ou le renvoyer devant l’Assemblée des représentants du peuple pour un deuxième examen. Dans ce cas de figure et vu le calendrier serré de l’instance supérieure des élections (le 22 juillet étant la date limite du dépôt des candidatures), c’est l’ancien code électoral qui devra s’appliquer. Ce sera donc à lui de trancher à propos d’une loi sur mesure qui annonce un inquiétant retour aux pratiques dictatoriales.
Dans l’immédiat, le chef de l’Etat a deux dossiers à valider cette semaine. Reporter ne sera en aucun cas possible.
C’est au président de la République de déclarer l’Etat d’urgence et de le proroger par décret. Or l’Etat d’urgence décrété la dernière fois, prendra fin ce vendredi 5 juillet. Béji Caïd Essebsi devra donc annoncer la prorogation par décret présidentiel, surtout à un moment où la Tunisie a fait face à un double attentat. Le recours à l’Etat d’urgence étant une mesure légitimée par de graves menaces sécuritaires. Dans ce cas de figure et en pleine période touristique, il serait plus prudent que les militaires ne regagnent pas les casernes et que les assignations à résidence visant les éléments dangereux soient maintenues.
C’est au président de la République que revient, aussi, la convocation du corps électoral. Le décret convoquant les électeurs doit se faire d’ici samedi 6 juillet, selon le calendrier annoncé par l’Isie, à trois mois de la tenue des élections législatives et présidentielle. Auquel cas, les élections se verront reportées.
Une pétition a largement circulé sur les réseaux sociaux tunisiens exigeant de dévoiler le dossier médical de Béji Caïd Essebsi et s’interrogeant sur sa capacité à remplir ses fonctions. Sous le hashtag #Il est de notre droit de savoir, ces internautes tunisiens expriment une inquiétude « légitime » après les malheureux événements de jeudi dernier.
La porte-parole de la présidence de la République a rassuré sur l’aptitude de Béji Caïd Essebsi à assumer pleinement son rôle. Selon Saida Garrache, le chef de l’Etat signera les décrets de l’Etat d’urgence et celui de la convocation du corps électoral à temps, assurant dans la foulée que l’opinion publique sera informée du rapport médical dans un souci de transparence.
Les photos du président de la République souriant et entouré de son staff médical, le jour de sa sortie de l’hôpital, a contribué à dissiper les rumeurs les plus folles. Des rumeurs alimentées, il faut le dire, par certains acteurs politiques et médiatiques, mais surtout par un couac commucationnel des services de la présidence. Pour l’heure, Béji Caïd Essebsi aura, avant la fin de son mandat, du pain sur la planche en cette période pré-électorale qui s’annonce très mouvementée.
Ikhlas Latif