A chacun sa Rentrée
Par Houcine ben Achour
Qui, aujourd’hui, serait encore capable donner tort à Lamia Zribi, l’ancienne ministre des Finances, limogée à la fin avril 2017 pour avoir osé naïvement avertir de la nécessité impérieuse d’engager sans tarder les réformes économiques sinon c’est le taux de change du dinar qui se dégradera progressivement pour afficher un euro à 3 dinars à la fin de l’année 2017, tant les finances publiques donnent des signes alarmants de dérapages incontrôlés ? Aujourd’hui, l’euro s’achète à près de 3,260 dinars dans les bureaux de change. Une chute de plus de 20% en moins d’une année et demie depuis le départ de Mme Zribi et cela sans que soit préservé de façon significative le stock de réserves en devises du pays. Actuellement présidente du Conseil national de la statistique, elle peut aisément rire sous cape.
Le limogeage de Lamia Zribi fut d’ailleurs accompagné d’un autre en cette fin du mois d’avril 2017, celui de Néji Jalloul du ministère de l’Education nationale. Actuellement Directeur général de l’Ites (Institut tunisien des études stratégiques), Néji Jalloul devrait, quant à lui, rire jaune pour l’anachronisme dont il a fait preuve en organisant une rencontre sur le thème : « Peut-on sauver la Tunisie en 6 mois ? ». Une question inepte à laquelle Samir Bechouel, Directeur général de l’Apii (Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation) eut une réponse cinglante : « Il ne manquait plus que cela : du radotage. » Et comme si cela ne suffisait pas, il a fallu écouter au cours de cette manifestation les propositions formulées par l’Ites à travers son Directeur des politiques générales et du développement local, Fethi Khémiri, notamment la création d’une « Banque d’Etat » par la fusion des trois banques publiques, STB, BNA et BH. Là, on ne rit plus. Soyons sérieux. M. Khémiri ne semble pas s’être attardé sur les expériences passées en la matière comme par exemple le délai pris par l’opération de fusion-absorption de la BNA avec la BNDA en 1989 ou celle de la STB avec la BNDT et la BDET et des déboires qu’assume encore aujourd’hui la STB du fait de cette hasardeuse opération. En plus, il ne semble pas avoir envisagé les risques ou effets systémiques d’une telle opération. Quelle inconséquence ! D’autant que cela se déroule alors que l’on signale parmi nous la présence de l’équipe du FMI chargée de conclure la 4e revue-programme avec le gouvernement. Ses membres sont sans doute tentés de faire poliment risette devant de telles propositions, tout en n’en pensant pas moins…. Les membres de cette délégation se tiendraient certainement les côtes pour rire des déclarations de Mongi Harbaoui, porte-parole du Directeur exécutif de Nidaa Tounes mettant en doute les résultats de la croissance économique enregistrés au 2e trimestre 2018 sur la base d’arguties absurdes confondant valeur ajoutée et TVA ou passant du coq à l’âne, de la croissance aux dépenses budgétaires en y accolant un tantinet de dégradation de taux de change et autre d’envolée d’endettement. Décidément, l’ignorance constitue un désastre comme dit l’adage bien de chez nous.
Heureusement que l’actualité économique de la semaine ne fut pas que celles-là. Taoufik Baccar, ancien ministre du Plan, ancien gouverneur de la Banque centrale et ci-devant président du Centre international Hédi Nouira de prospectives et d’études sur le développement (Ciped) semble vouloir inaugurer avant tout le monde la Rentrée à travers une conférence de presse de présentation des mesures de sortie de crise. Lui s’est bien gardé de fournir un quelconque délai mais propose des mesures de court terme et des pistes de moyen et long terme. Toutefois, on peut légitimement s’interroger sur le fait que cette contribution du Ciped n’ait été transmise qu’à la Présidence de la république et non pas aussi à la Présidence du gouvernement.
Parallèlement, l’Utica, l’organisation patronale historique, est sortie de sa réserve, anticipant l’engagement du gouvernement dans la préparation du projet de loi de finances pour l’exercice 2019. Ses responsables consultent et proposent tous azimuts.
Pendant ce temps, le gouvernement écoute avec bienveillance, plus concentré, pour le moment, sur les indicateurs macroéconomiques et financiers. A cet égard, l’état d’exécution du budget au 1er semestre 2018 est opportunément favorable, particulièrement en termes de maîtrise du déficit. Reste toutefois le casse-tête des besoins de financements extérieurs. Le gouvernement ne semble pas avoir décidé du moment et du montant de l’emprunt à lever sur le marché international des capitaux, ni d’ailleurs de la monnaie d’emprunt. Serait-ce pour le mois d’octobre prochain ? Dollar ou euro ? Un milliard de dollars ou 1,5 milliards de dollars ou équivalent en euros ? A cela s’ajoute l’idée récemment émise par Marouan Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, d’émettre un emprunt exclusivement réservé aux Tunisiens non-résidents dont l’avantage serait d’être moins coûteux en termes de charges d’intérêt même si la maturité devrait être réduite (3 à 5 ans). La réussite d’une telle opération serait probablement acquise si elle intervenait dans la foulée de l’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) du projet de loi relatif à l’amnistie de changes. Dans ce cas, le gouvernement en fera-t-il son sujet de Rentrée ? Ce ne serait qu’une question de jours. Certainement pas 6 mois.