Les contrebandiers au parlement
On en a vu des corporations représentées dans le parlement. Pendant des années, il y a eu beaucoup d’avocats, les médecins sont également représentés à l’ARP. Mais une autre « profession » commence à pointer son nez sous la coupole du Bardo : les contrebandiers.
Apparemment, les contrebandiers en ont eu marre de financer des campagnes et de devoir ensuite s’assurer de la loyauté des élus qu’ils ont placé à l’ARP. Alors, ils ont décidé d’y aller eux-mêmes et puisque les voix sont une marchandise comme une autre qu’on peut acheter comme on achèterait une grosse voiture ou un appartement au Lac II, alors ils y sont allés.
Il faut dire que les contrebandiers ont brillamment réussi à préserver leurs intérêts et leur « profession » de toute gêne que pourrait occasionner l’application de la loi éventuellement ou la mise en place de nouvelles lois. Pendant plus de cinq ans, tout le monde a parlé des circuits de contrebande, de la nécessité vitale pour l’économie tunisienne de mettre un terme à ce commerce, des liens qui peuvent exister entre contrebande et terrorisme, mais personne n’a rien fait. A chaque Loi de finances on discute des mesures à prendre et des entraves que l’on peut dresser aux contrebandiers, mais on n’en retrouve rien dans le projet adopté, bizarrement.
Bref, les contrebandiers pourraient constituer un bloc parlementaire à l’ARP que l’on appellerait le bloc « contra » et qui servirait leurs intérêts. En plus, ils ont beaucoup de sympathisants déjà présents à leurs côtés. Notamment l’inimitable Seif Eddine Makhlouf qui a glorifié l’absence de l’Etat à Ben Guerdène et qui encourage à se « libérer » de l’Etat pour vivre selon d’autres codes et d’autres normes. « Nous on appelle ça de la contrebande alors qu’à Ben Guerdène c’est juste du commerce », avait-il claironné avec un sourire en coin. Des codes et des normes que les contrebandiers établissent et font respecter, parfois violemment, mais bon, on ne va pas en faire un drame.
Les contrebandiers pourraient même faire office de force d’apaisement et de consensus dans un parlement divisé comme le nôtre. Ce sont les seuls qui ont des liens et qui ont financé plusieurs des forces qui « montent » aujourd’hui. Des gens connus dans leurs régions et qui ont un rayonnement international, eu égard à leurs activités, ne peuvent que faire du bien à notre parlement et à la représentation de l’Etat de manière générale. Si des terroristes et des daechiens trouvent leurs places dans l’hémicycle, pourquoi en priver les contrebandiers ?
Pendant ce temps-là, l’ensemble des partis politiques parle de lutter contre la corruption et de mettre sous les verrous les voleurs et les profiteurs. Entendez par là, évidemment, les voleurs, les corrompus et les profiteurs des autres. Mais comme partout ailleurs, plus on en parle moins on en fait, rien ne sera fait contre les contrebandiers. Avant, ils faisaient la loi, aujourd’hui ils vont en plus faire les lois.
Par conséquent, il faut que les gagnants gouvernent. Il ne faut pas que les élections soient refaites, pour n’importe quelle raison. Il ne faut pas non plus aller vers un gouvernement de technocrates ou de compétences. L’option d’un gouvernement de salut national ne doit pas non plus être prise en considération, on a déjà donné dans « l’union nationale » et résultat des courses, un parlement plus divisé que jamais. Que ceux qui ont gagné assument leur victoire et gouvernent. Qu’ils nous montrent leurs capacités et qu’ils nous apprennent comment traduire les valeurs de la révolution qu’ils défendent et les matérialisent dans la pratique du pouvoir. Il y a une Loi de finances qui doit être validée et votée avant le 10 décembre 2019. Qu’ils sortent à temps les pensions de retraite et les différentes prestations sociales de l’Etat tunisien. Nous sommes réellement impatients de voir ça.