Habib Bourguiba, un absent tellement présent
Le 6 avril prochain marque la date de commémoration du décès de Habib Bourguiba, premier président de la République tunisienne et bâtisseur de la Tunisie moderne. 19 ans après sa mort, Bourguiba reste présent sur la scène politique tunisienne, mais certainement pas de la meilleure des manières.
Le 6 avril coïncide également avec la date du congrès de Nidaa Tounes. Sur l’affiche de cet évènement, on trouve une photo de Habib Bourguiba présentée de manière ostentatoire aux côtés de celle de Béji Caïd Essebsi, fondateur du parti et président de la République. Il n’a échappé à personne que ce parti qui n’a connu que conflits et dislocations, depuis son accession au pouvoir, ne cesse de se réclamer de l’héritage bourguibien en prétendant poursuivre son œuvre. Au vu de l’histoire, pourtant courte, de ce parti, il est certain que Habib Bourguiba doit se retourner dans sa tombe. Les maîtres-mots de l’ère bourguibienne, du moins dans sa partie éclairée, étaient réforme, responsabilité et travail. Seulement, le parti Nidaa Tounes a tourné le dos à ses trois principes et s’est même évertué à faire l’inverse.
Pour ce qui est de la réforme, Nidaa Tounes n’a pratiquement rien proposé. Même le président de la République, qui se plaint toujours du manque de prérogatives de son poste, n’a eu que deux initiatives législatives notables qui sont la loi de la réconciliation et celle de l’égalité dans l’héritage. La première a été un flop notoire et la deuxième obéit plus à des impératifs politiques qu’à une réelle conviction sociétale. Si cela était le cas, l’ensemble du rapport de la Colibe aurait été converti en projets de lois. Le bloc parlementaire de Nidaa Tounes, premier au classement des absents à l’assemblée, ne s’est pas non plus distingué par les propositions législatives. La part belle a été faite plutôt aux micmacs et à la manipulation au sein de l’assemblée.
Quant au rapport de Nidaa Tounes à la responsabilité, on pourrait le résumer dans la maxime : « c’est la faute aux autres ». Même aujourd’hui, rares sont les responsables de Nidaa Tounes qui admettent ouvertement avoir commis des erreurs qui pourraient expliquer le parcours chaotique de ce parti qui a commencé par gagner des élections pour finir en étant un parti d’opposition. A les entendre, Nidaa est la cible de toutes les machinations et de tous les complots. Un discours dangereusement repris par Béji Caïd Essebi quand il avait suggéré qu’on voulait le mettre sur la touche et l’isoler.
Pour le travail, il n’y a qu’à voir la situation actuelle. Il est vrai que la valeur travail en a pris plein la gueule pendant ces dernières années et ce n’est pas Nidaa Tounes qui a ralenti la tendance, au contraire. On se souvient des enregistrements fuités des réunions du parti durant lesquelles les dirigeants se plaignaient du fait que Youssef Chahed ne voulait pas placer leurs sbires dans les administrations. On se souvient également de la tentative de nomination du fils d’un député en tant que gouverneur par l’intermédiaire de Sofiène Toubel. Autant dire que le travail et la méritocratie ont été remplacés par le népotisme et le trafic d’influence.
Un autre parti se réclame allégrement du bourguibisme. Il s’agit du parti destourien libre conduit par Abir Moussi. Le fait qu’elle n’ait jamais pipé un mot pendant les années d’assignation à résidence de Bourguiba devrait suffire à discréditer toute filiation qu’elle prétendrait avoir avec le bourguibisme. Mais cela ne l’empêche pas de continuer à jouer sur cette fibre en installant un lien fallacieux entre Bourguiba et l’ère Ben Ali pour finalement se présenter comme celle qui poursuivra cet élan de patriotisme et de construction du pays.
Toutefois, Abir Moussi n’est que l’héritière du népotisme et de l’arrivisme qui a caractérisé les pires moments du règne de Ben Ali. Cette ère a connu son lot de vrais bâtisseurs du pays et de vrais patriotes qui ont participé grandement au progrès de la Tunisie. Il se trouve que non seulement Abir Moussi n’en fait pas partie, mais en plus, elle est en désaccord profond avec eux. Elle est plus l’héritière d’un esprit RCDiste dans sa partie clientéliste et profiteuse que d’un quelconque esprit réformateur. Prétendre éliminer les islamistes et les « renvoyer d’où ils viennent » n’est certainement pas un projet politique si l’on admet d’abord qu’elle puisse le faire. Par ailleurs, mettre les islamistes sur la touche, on ne sait trop par quel moyen d’ailleurs, ne résoudra pas les problèmes de transport, de santé ou d’éducation et ne redressera pas le dinar ni ne renflouera les caisses sociales.
Les vrais partisans du bourguibisme ne peuvent en aucun cas se reconnaitre dans les « offres politiques » fournies par Nidaa Tounes ou par Abir Moussi. L’imposture politique qui consiste à se prétendre héritier de Bourguiba et de sa pensée a déjà fait assez de dégâts en Tunisie et ne devrait plus être électoralement porteuse. Porter les mêmes lunettes que le combattant suprême ou crier tous les jours le nom de Bourguiba ne fait pas un grand leader. Ça se saurait si c’était le cas…