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Tunisie - Comment faire renaître la Justice ?
14/06/2011 |
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Tunisie - Comment faire renaître la Justice ?
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« Où est ce que se trouvaient les juges pendant ces 23 ans », demande une personne parmi le public. « Où est ce que se trouvaient les Tunisiens », répond Majda Ben Jaâfar magistrate de son état, « ce régime savait répandre la peur ».
La table ronde, organisée par l’Association de recherche sur la démocratie et le développement et intitulée « la justice tunisienne après la révolution : enjeux et perspectives », n’a pas tourné à l’examen de conscience ni au déballage de linge sale (exceptées une pique ou deux contre le Conseil de la magistrature et son jeu trouble). Des interventions qui ont trainé en longueur, des débats tièdes, un ton parfois trop docte, trop magistral mais les débatteurs Wahid Ferchichi, professeur de droit public, Hamadi M’zoughi, juge d’instruction et Majda Ben Jaâfar, juge, ont établi, clairement, les impasses dans lesquelles a glissé la justice tunisienne, ainsi que les conditions à mettre en place pour en faire un réel 3ème pouvoir garant des droits fondamentaux.


Pas de surprise, la justice tunisienne est dans la même situation qu’ont connue les pays vivant leur transition démocratique : blocage institutionnel, déficit criant de la confiance dont elle bénéficie au sein de la population, manque terrible de moyens…, constate Wahid Ferchichi. Certains ne manquent pas de rappeler cette étude surréaliste : le juge tunisien est l’un des plus mal payés du monde juste après le Bengladesh.
Un magistrat tunisien touche 2000 dinars au sommet de sa carrière. A titre comparatif, un juge anglais reçoit chaque fin de mois un chèque en blanc, un juge algérien l’équivalent de 6000 dinars mensuels. Anecdote ubuesque qui en dit long sur cette « paupérisation » de la Justice : une juge nous avoue qu’elle partage son bureau avec deux autres juges, donc quand un des trois convoque des témoins dans le cadre d’une instruction, les deux autres sortent faire un tour.
Quand on sait que seulement 25% des pays qui ont vécu une transition démocratique l’ont vraiment réussie au cours des 40 dernières années, on conclut que la Tunisie a vraiment du pain sur la planche. Et il n’existe pas de panacée pour mettre en place une justice transitionnelle, justice transitionnelle qui devra regarder dans plus de 50 années de non-droit pour réconcilier tout un peuple avec son histoire. « Nous sommes tous responsables », déclare Wahid Ferchichi et nous devons user de concessions et de consensus pour passer ce cap, la loi ne suffira pas, et nous manquons de légitimité. Et puis « tout ce qui appartenait à l’ancien régime n’est pas mauvais, sinon nous devrions nous suicider, car nous appartenons tous à ce régime », poursuit-il un brin provocateur.

Autre constat qui fait l’unanimité : le pouvoir judiciaire qui n’en n’est pas vraiment un. Il a toujours été inféodé à l’exécutif. L’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs, éléments fondamentaux des systèmes démocratiques depuis la révolution française, inscrits dans les principes onusiens sont une chimère en Tunisie.
Les juges censés êtres les protecteurs de la Loi sont devenus les bras du pouvoir, un cauchemar, avoue Hamadi M’zoughi. L’Etat de droit, la suprématie de la loi, l’indépendance de la justice ont toujours été proclamés par les régimes en place depuis 50 ans. Dans les faits, Majda Ben Jaâfar précise dans son analyse que, déjà, la constitution de 1959 donnait les pleins-pouvoirs à l’exécutif en la personne du président de la république. L’amendement de la constitution en 1967 fait de la justice une institution de pouvoir, mais pas un pouvoir. La période la plus noire de la justice tunisienne a coïncidé avec les procès des yousséfistes, des syndicalistes du 26 janvier 1978 et des islamistes en 1981. La troisième tentative pour instaurer l’Etat de droit en 1987 « enterre » définitivement la république et marginalise le parlement. Nous sommes entrés dans l’ère de « l’autorisation présidentielle ». Une justice moribonde même si les lois étaient en théorie des plus modernes sous Ben Ali, encore fallait-il les appliquer, précise Hamadi M’zoughi.

La Justice tunisienne est à la ramasse : peu de moyens financiers et humains et un vaste chantier en attente. Comment procéder ? La corporation est divisée, explique Majda Ben Jaâfar. Une première faction cède à la pression populaire et médiatique prônant une justice accusatrice, partant à la chasse aux sorcières et réunissant les partisans sur Facebook. Les seconds pour une justice « légale et juste » ont plus de mal à se faire entendre. Tous les présents ont semblé être d’accord pour juger les positions du Conseil de la magistrature et de l’Association de magistrats équivoques. La participation aux débats de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution est une implication contre-nature de la Justice dans le jeu politique. La création d’une commission pour la réforme de la magistrature est intempestive car anticipant la nouvelle constitution qui devra d’abord statuer du rôle et des objectifs de la Justice dans la nouvelle république, juge-t-on encore.

Aucune solution miracle, en somme, mais les premières pierres qui serviront à bâtir une Justice indépendante et garante des Droits de l’Homme et des libertés font l’unanimité : une révision du statut de la justice dans la constitution et la suppression de la loi de 67 qui en fait un jouet aux mains du pouvoir exécutif, expurger les textes de loi actuels des lois portant atteinte aux droits de l’Homme, créer des commissions d’enquête sur les cas de torture, crime qui ne tombe jamais sous le coup de la prescription…

Dans le texte de présentation de la table ronde, il était question que la Justice fasse « son propre procès, avant de faire celui des autres, et qu’elle saisisse l’opportunité qui s’offre à elle « pour rompre définitivement avec un passé entaché de corruption ». Une corruption dont on n’a pas beaucoup parlé lors de cette rencontre, les intervenants et les participants se sont contenté de présenter la Justice dans le rôle de victime d’un demi-siècle de dictature.
14/06/2011 |
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