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Tribunes
Réconcilier l’action publique avec le bon sens
02/06/2025 | 18:31
9 min
Réconcilier l’action publique avec le bon sens

 

Réconcilier l’action publique avec le bon sens : où la justice et l’égalité ne seront plus des promesses mais des réalités partagées

 

Par Hella Ben Youssef*

 

Par pur hasard, une recherche m’a menée à me rendre compte que le mois de juin nous offre bien plus que le début de l’été. Il nous offre une occasion unique de réfléchir à ce qui fonde nos sociétés. Il nous tend un miroir collectif sur ce qui compte vraiment : les liens ! Liens sociaux, liens humains... À travers les multiples thématiques que ce mois évoque ; enfance, vieillesse, parentalité, diplomatie, violence et travail se dessine une vérité simple mais urgente : sans protection réelle des personnes les plus vulnérables, aucune société ne peut prétendre à la justice ou à l'équilibre.

Juin, mois des liens : quand le calendrier nous tend un miroir

Juin nous offre une occasion unique de réfléchir à ce qui fonde nos sociétés : les liens. Liens familiaux, liens sociaux, liens humains… ! À travers les multiples thématiques que ce mois évoque, l’enfance, la vieillesse, la parentalité, la diplomatie, la violence et travail, se dessine une vérité simple mais urgente : sans protection réelle des personnes les plus vulnérables, aucune société ne peut prétendre à la justice ou à l'équilibre.

En Tunisie, comme ailleurs, les liens familiaux sont fragilisés non seulement par la pression économique et sociale, mais aussi par des propositions législatives inquiétantes. Le nombre de divorces a considérablement augmenté ces dernières années : selon les statistiques officielles, plus de 16 000 divorces sont enregistrés chaque année, soit près de 45 par jour. Dans ce contexte, la proposition de rendre possible le divorce en dehors du cadre judiciaire, via des procédures de conciliation privées, constitue un recul préoccupant. Cela risque de soustraire les plus vulnérables notamment les femmes à la protection du droit et à l’encadrement que garantit l’État. Le divorce, s’il est un droit, doit rester régi par des procédures transparentes, équilibrées et justes, inscrites dans le droit civil.

Famille, parentalité, vieillesse : défendre les plus vulnérables pour une société juste

Mais le sens de la famille ne se réduit pas à des schémas fixes. Il évolue. Il repose avant tout sur un lien de confiance, d’appui et de sécurité. Ce lien doit être préservé et accompagné, au-delà des cadres normatifs. À ce titre, des pays comme la Suède ont su développer une vision plus équilibrée de la parentalité. La place du père y est pleinement reconnue : congé paternité généreux, soutien à la coparentalité, campagnes publiques valorisant l’implication des pères dans la vie quotidienne de leurs enfants. La Tunisie a amorcé cette évolution avec plusieurs campagnes sur la responsabilité partagée dans l’éducation et le soin, mais cela reste trop marginal.

L’égalité entre hommes et femmes ne doit pas être vue comme une compétition, mais comme un équilibre nécessaire. Et pour poser les bases de cet équilibre dès l’enfance, il est urgent d’intégrer dans les manuels scolaires des structures de compréhension, d’écoute et de soutien psychologique. Une éducation à la santé mentale, à l’écoute de l’autre, au vivre-ensemble : voilà des piliers concrets pour bâtir une société plus juste et plus humaine.

Quant aux personnes âgées, qui représentent aujourd’hui 17 % de la population tunisienne, elles sont souvent invisibles dans les politiques publiques. La loi n° 94-114 portant organisation des établissements pour personnes âgées encadre leur prise en charge, mais reste peu appliquée, notamment en milieu rural. La maltraitance, les abus financiers ou psychologiques, et la précarité restent largement impunis. Le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Seniors a lancé plusieurs stratégies et programmes, dont le Plan national pour l'autonomisation des femmes et le programme d’appui à la parentalité positive. Pourtant, l’absence de moyens, de coordination interinstitutionnelle et d’évaluation indépendante freine leur portée réelle.

Ce débat soulève aussi une question cruciale que nous devons remettre au cœur de la société et des institutions : celle de l’égalité successorale, en lien avec les transformations profondes des rôles familiaux. Aujourd’hui, dans nombre de nos pays, les filles et plus largement les femmes assurent de fait la charge affective, matérielle et médicale de leurs parents âgés. Cela appelle non seulement à une reconnaissance sociale et juridique, mais aussi à une réforme en profondeur de nos mécanismes de solidarité.

Nous devrions donc anticiper un modèle où les parents âgés accèderont à une autonomie réelle, à travers des structures publiques spécialisées, accessibles à domicile ou en itinérance, encadrées par le ministère de la Santé et des professionnel·les qualifié·es. Il est impératif d’éviter que la prise en charge du vieillissement ne devienne un secteur captif entre les mains d’acteurs privés motivés par le profit, au détriment d’une approche véritablement humaine, solidaire et sanitaire. Des modèles inspirants existent à l’international, notamment en Scandinavie ou au Canada, où les services de soins à domicile relèvent d’un service public intégré.

Cette approche, centrée sur la dignité et l’autonomie, doit faire écho à notre engagement pour l’égalité, y compris dans la sphère familiale et successorale. Repenser l’un, c’est repenser l’autre : car le soin, comme l’héritage, ne peut plus reposer uniquement sur les épaules des femmes, qui sont au croisement de toutes les fragilités.

Des droits bafoués aux violences systémiques : protéger les femmes, c’est protéger l’humanité

Les femmes, citoyennes, militantes, travailleuses, mères ou filles représentent plus de la moitié de l’humanité. Pourtant, elles continuent de subir, partout dans le monde, des violences systémiques, souvent normalisées ou invisibilisées. Dans plus de 100 pays, les lois ne garantissent pas l’égalité entre les femmes et les hommes, et près d’une femme sur trois a déjà été victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie, selon l’OMS.
En temps de crise, de guerre ou de catastrophe, ces violences s’intensifient. Les femmes déplacées ou migrantes sont particulièrement exposées : selon l’ONU, plus de 70 % des femmes réfugiées subissent des violences basées sur le genre à un moment donné de leur parcours. Ces femmes fuient les conflits, le changement climatique ou la misère, mais trouvent trop rarement protection et justice.

La Tunisie, comme d’autres pays, a ratifié de nombreuses conventions internationales, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), et s’est engagée à garantir les droits fondamentaux des femmes, y compris migrantes ou réfugiées. Pourtant, l’écart entre les engagements internationaux et la mise en œuvre concrète reste béant. L’absence de mécanismes de protection efficaces, le manque de coordination entre les institutions, et l’insuffisance des moyens alloués rendent ces droits théoriques, et non réels.

Protéger les femmes, c’est protéger l’humanité tout entière. Cela exige des politiques publiques intégrées, des cadres juridiques contraignants et des dispositifs de prévention, d’accueil et de soin en particulier pour celles qui sont en situation de vulnérabilité accrue : les déplacées, les migrantes, les réfugiées, et les survivantes de violences.

Le droit international humanitaire, les conventions de Genève, la CEDAW, la CIDE, la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies : tous ces textes existent. Ils forment le socle d’un ordre mondial plus juste. Mais encore faut-il que les gouvernements aient le courage politique de les respecter, de les appliquer, de les défendre.

Nos pays ont trop souvent relégué les droits humains aux marges, sous prétexte de traditions, de priorités économiques ou de sécurité. Pourtant, les traditions n’empêchent pas la justice. La sécurité ne peut exister sans équité. Et l’économie ne tiendra pas sans une société fondée sur le respect des droits fondamentaux.

Toutes ces journées, comme toutes ces réunions internationales à l’ONU, dans les forums, les sommets arabes, européens ou mondiaux, devraient être empreintes d’une honnêteté politique nouvelle, d’un pragmatisme constructif et d’une véritable volonté de changement. Ces espaces doivent cesser d’être des tribunes déconnectées des réalités pour devenir des outils concrets de transformation. Elles devraient nous rappeler que ces dates ne sont pas de simples symboles, mais des rappels collectifs de notre devoir commun envers les droits humains. Juin devrait nous rappeler que les liens ne connaissent ni frontières ni dogmes. Qu’il s’agisse d’un enfant à protéger, d’une personne âgée à accompagner, d’une femme à défendre ou d’un diplomate à écouter, la dignité humaine est universelle.

Ce mois des liens est donc un appel. Un appel à replacer l’humain au cœur des politiques. À faire des conventions internationales non plus des vitrines mais des leviers. À promouvoir la diplomatie comme première réponse. Et à faire de la protection des plus vulnérables une priorité nationale et mondiale.

Face à ces défis, la diplomatie doit retrouver sa place centrale. Non pas une diplomatie d’apparat ou de façade, mais une diplomatie active, préventive, inclusive, culturelle, économique et scientifique, au service de la paix, des droits humains et de l’intérêt général.
Loin des postures, c’est souvent la voie diplomatique qui a permis de sortir des impasses les plus dangereuses, même de manière partielle ou fragile. On peut penser à l’accord de paix en Colombie après 50 ans de conflit armé, au cessez-le-feu entre l’Éthiopie et l’Érythrée en 2018, ou encore au processus de Kimberley, qui a permis de réguler partiellement le commerce des « diamants du sang ». En Libye, malgré l’instabilité, les efforts diplomatiques menés sous l’égide de l’Union africaine et des Nations unies ont permis de maintenir ouvert un canal de dialogue fragile mais nécessaire.

Certes, certains processus comme les accords d’Oslo sur la question israélo-palestinienne n’ont pas tenu leurs promesses. Mais leur échec n’invalide pas la diplomatie elle-même, il montre au contraire ce qui se passe quand les engagements ne sont pas respectés, et quand la justice est sacrifiée au profit du statuquo ou de la domination.

La diplomatie des liens : pour une politique de paix, de justice et d’inclusion

Ce que nous devons défendre aujourd’hui, c’est une diplomatie du courage, de la cohérence et de l’action, portée par des acteurs publics, mais aussi par la société civile, les femmes, les chercheurs, les artistes et les jeunes. Une diplomatie qui libère au lieu de contraindre. Une diplomatie qui construit au lieu de détruire.

Dans cette diplomatie, les femmes jouent un rôle déterminant. Parce qu’elles incarnent souvent une approche plus pragmatique, plus inclusive et plus tournée vers la paix. Des figures en témoignent, mais elles sont encore trop peu nombreuses : en 2023, selon les données de l’ONU, seules 23 % des ambassadeur·rices dans le monde étaient des femmes. Dans la région MENA, ce taux tombe à moins de 10 %, et en Tunisie, il reste en deçà de 20 %.

À titre de comparaison, la Suède et le Canada, qui ont adopté une diplomatie dite "féministe", affichent des taux de représentation féminine de plus de 45 % dans leur réseau diplomatique. Cette sous-représentation n’est pas un simple détail : elle reflète un déséquilibre de fond dans les priorités et les modes d’action. Encourager la participation des femmes dans la diplomatie, c’est encourager une vision du monde fondée sur la coopération plutôt que la confrontation.

 

C’est en retrouvant ce bon sens politique et ce sens profond des responsabilités que nous pourrons, enfin, reconstruire un monde où la justice et l’égalité ne seront plus des promesses mais des réalités partagées.


*Hella Ben Youssef est militante pour la justice sociale et l’égalité de genre

*Vice-Présidente de l’Internationale Socialiste des Femmes

02/06/2025 | 18:31
9 min
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Commentaires
nazou de la chameliere
'?videmment
a posté le 03-06-2025 à 08:58
Ma critique ne concerne pas le com d'ibn khaldoun.
Qui est plutôt de bon sens .
nazou de la chameliere
L'enfer
a posté le 02-06-2025 à 22:53
Depuis quelques siècles est toujours pavé de bonnes intentions.

Entre celui qui est totalement perché, à carthage, et ce que je viens de lire article comme com ,il y'a une totale déconnexion de la réalité de ce pays.
Dr. Jamel Tazarki,
@Madame Hella Ben Youssef
a posté le 02-06-2025 à 21:30
Introduction: L'état de minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre. --> Oui, la femme tunisienne est elle-même responsable de cet état de minorité car la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre (dans ce cas d'un homme)!

Je commence par donner d'abord ma définition du féminisme positif: « le féminisme positif est un mouvement qui cherche à établir l'égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Le féminisme a pour objectif d'abolir ces inégalités socio-économiques dont les femmes sont les principales victimes, et ainsi de promouvoir les droits des femmes.'

Ma définition du féminisme n'a rien à voir avec le comportement des femmes fatales (du genre Carmen, voir l'opéra en quatre actes de Georges Bizet sur le lien web suivant:
https://www.youtube.com/watch?v=uV9iGv4sKNI


50,5% des électeurs inscrits à l'élection législative de 2014 étaient des femmes, mais de ces 2,7 Millions de femmes inscrites seulement un Million de femmes ont voté et 1,7 Millions ont préféré s'abstenir --> premier indice que la femme tunisienne est elle-même responsable de son état de minorité dans tous les domaines socio-économiques

Il s'agissait de la sortie de la femme tunisienne hors de l'état de minorité dont elle est, elle-même, responsable. Mais non, la femme tunisienne a raté cette occasion unique. Elle a raté une occasion unique afin de mettre un terme à la dictature de l'homme dans le monde socio-économique tunisien.

En 1784, Emmanuel Kant écrit ce célèbre passage: 'L'état de minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. Sapere aude ! [Ose savoir !] Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise de l'Aufklärung'

La femme tunisienne voulait et veut sortir de cette situation décrite par Kant! Et elle avait eu au mois de décembre 2014 la chance de s'en sortir. Mais elle n'a pas tiré profit de cette occasion et elle s'est laissée prendre au piège du très grand baratineur BCE.

50,5% des électeurs inscrits aux élections législatives et présidentielles de 2014 étaient des femmes. Oui, la candidate Madame Kalthoum Kannou aurait pu réaliser un véritable miracle et devenir la première femme présidente de la Tunisie et dans le monde arabe, si les 2,7 Millions de femmes inscrites à notre ISIE avaient voté majoritairement pour elle!

On attendait de l'élection de Madame Kannou une Tunisie sans exclusion, sans discrimination, avec les mêmes droits socio-économiques pour les femmes que pour les hommes. L'élection de Madame Kalthoum Kannou aurait pu être un coup de tonnerre dans notre pays réputé pour son conservatisme vis-à-vis de la femme.

Oui, les femmes tunisiennes avaient toutes les raisons afin de voter majoritairement pour elle, mais elles avaient refusé de le faire et je ne sais vraiment pas pourquoi. La faute est à qui? Probablement, à cette idée de vote utile à la con propagée par BCE.

Une jeune compatriote en Allemagne m'avait dit: "nous voulons en Tunisie une démocratie plus paritaire qui intègre tout le monde et je crois qu'une femme au poste de Président de la République pourrait être un symbole de changement en Tunisie et un exemple pour d'autres pays arabes."

Vous pouvez imaginer la grande déception de cette jeune fille tunisienne après les élections. Elle m'a dit: "nous avons raté une occasion unique afin de mettre un terme à la discrimination de la femme et des minorités. Honte à toutes celles qui n'ont pas voté pour Kalthoum et qui ont cru aux mensonges de BCE"

La surprise est telle que cette jeune fille tunisienne avait refusé d'y croire: "Ils ont dû tricher, ce n'est pas normale que 2,7 millions de femmes refusent de voter majoritairement pour une femme juriste qui a tous les mérites et les qualités afin de gérer les affaires du pays et d'opter pour le bluffeur BCE"

Oui, moins que 0,1% des femmes ont voulu voter pour une femme, et 99,9% ont voté majoritairement pour BCE, ou elles ont refusé de voter! Je ne sais plus vraiment quoi dire que de redire ce qu'a dit un jour le philosophe allemand Kant: 'On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. Sapere aude ! [Ose savoir!] Aie le courage de te servir de ton propre entendement!

Oui, la femme tunisienne est elle-même responsable de cet état de minorité car la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre, et de se laisser prendre au piège de fausses promesses de BCE.

Très Cordialement

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger
IBN KHALDOUN
La modernité...? Revers de la médaille
a posté le 02-06-2025 à 20:17
Chère Madame : Si la modernité a apporté la citoyenneté depuis le Code Civil de Napoléon, l'égalité, les libertés publiques et les droits de l'homme et l'égalité entre les hommes et les femmes. En revanche cette modernité a son revers de la médaille. L'amour, la compassion , et la gentillesse et la générosité feront bientôt partie des pièces de musée. L'amour est devenu un " marché "
, le mariage est devenu juste une entreprise économique et un ascenseur social
Le consumérisme a aiguisé l'individualisme et le narcissisme. La famille est atomisé. La hiérarchie familiale devient confusionnelle... la fragmentation sociale est dominante et.le creusement des inégalités sociales ne permet de sauvegarder une cohésion humaine et humaniste..
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