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Chroniques
Non tu n'hériteras point !
15/08/2017 | 15:59
5 min

On ne peut évoquer l’actualité de la semaine sans revenir sur le discours présidentiel du 13 août. Béji Caïd Essebsi a annoncé des mesures « phares », dit-on, qui ont été commentées, critiquées et applaudies, de long en large, sur la toile et dans les médias, depuis dimanche. Entre « blasphème » et véritable « coup de génie », personne n’est resté de marbre.

En réalité, rien n’a changé pour l’instant, puisqu’il s’agit encore de « suggérer » et de « créer une commission pour étudier la faisabilité ». Mais ce pavé jeté dans la marre a eu le mérite de susciter un véritable débat sur une question qui fait peur.

 

L’égalité de l’héritage. Donner à la femme le droit d’hériter au même titre que l’homme. Si ces mots vous font froid dans le dos et vous donnent des cauchemars la nuit, c’est que vous faites partie de ces Tunisiens encore attachés à une vision traditionnelle et patriarcale du pays. Celle qui veut que les femmes restent « bien à leur place » afin que les hommes puissent encore trouver quelque chose à contrôler et à conquérir. Si la femme n’a plus besoin de l’homme et n’est plus cet être fragile qu’il devra sauver, que lui reste-t-il à faire ? En quoi sera-t-il  un être dominant et indispensable ? Mais les femmes aussi ont été offusquées par cette nouvelle.

Les femmes sont aujourd’hui coincées dans une époque aux pourtours flous et indéfinis. Avant, chacun était parfaitement à sa place. Quand il n’y avait pas à manger ou que les enfants pleuraient, on blâmait la femme, quand le frigo était vide et qu’il n’y avait pas assez d’argent, l’homme était responsable. C’était très clair comme ça et personne n’avait à y redire. Beaucoup de gens souhaitent que les choses restent comme ça et le changement fait autant peur aux hommes qu’aux femmes.

Aujourd’hui encore, si la société patriarcale consent à la femme certains droits, elle veut cependant qu’elle reste cet être fragile encore dépendant d’un homme. On peut être offusqué de voir une femme se lever contre ses droits, « les femmes sont les pires ennemies des femmes », dit-on. Mais ces femmes restent attachées à un certain confort. Si la femme venait à hériter la même chose qu’un homme, elle devra aussi contribuer autant que lui dans toutes les dépenses de son foyer.

Elle ne pourra plus bénéficier de discrimination positive et elle devra renoncer, à jamais et pour toujours, à son doux confort. Certaines y tiennent absolument ! Certaines tiennent à ne pas faire la queue, parce que ce sont des femmes, à ne pas venir à l’heure au travail, parce que ce sont des femmes, à ne pas payer parce que ce sont des femmes et de ce fait, à hériter la moitié de la part d’un homme…parce que ce ne sont que des femmes après tout.

 

« Nous sommes désormais deux Tunisie. Il ne faut plus se leurrer », a écrit le sage Yassine Ayari. Alors qu’il nous avait habitués aux pires diatribes, pour une fois, il a dit juste. 

Dans les faits, rien n’empêche un Tunisien de léguer à l’un de ses enfants la part de sa fortune qu’il juge opportune. De même que si la loi sur l’égalité de l’héritage venait à être votée, ceux qui restent attachés aux lois charaïques pourront toujours suivre les préceptes du Coran. Il ne s’agit pas de protéger ses droits, il s’agit plutôt de les imposer aux autres. Ceux qui s’opposent à l’égalité, s’opposent au changement et veulent que l’Autre pense et agisse exactement comme eux, sous peine d’être rejeté.

Pourquoi donc privilégier un principe et non un autre ? Parce que distribuer équitablement un héritage, revient tout simplement à respecter la constitution, à garantir les droits humains et à traiter tous les citoyens de la même manière. Chacun est libre, après, de vivre la vie qu’il estime juste en fonction de ses principes et de sa religion. Ceci ne regarde que lui et il ne devra rien imposer aux autres.

 

La constitution de 2014 ne vaudrait plus rien si on continue à respecter des lois qui lui sont contraires.  Garantir la liberté de conscience, la liberté de religion et l’égalité entre tous les citoyens sans aucune distinction permet de garantir les droits des uns et des autres et ne signifie pas forcément la « victoire » d’un camp sur un autre. La Tunisie n’est-elle pas un état civil ? Ce principe, inscrit dans la constitution, n’est pas là juste pour faire joli et pour s’attirer les flatteries de la communauté internationale. Il est là pour être respecté. Que la majorité ou non des Tunisiens soit musulmane (ça on n’en sait rien) ne change rien. La constitution devra garantir les lois des musulmans et des non-musulmans. De tout le monde.

Mais pourquoi parler d’islam lorsqu’on sait tous que c’est plutôt de traditions qu’il s’agit ? Il est vrai que c’est l’argument brandi afin de légitimer toutes sortes de choses. C’est l’argument contre lequel on ne peut argumenter, l’argument visant à balayer toutes les thèses les plus solides car personne ne peut s’élever contre la parole de Dieu.

On peut, en effet, faire dire tout ce qu’on veut à la parole de Dieu. Très peu de lois restent aujourd’hui inspirées de la Chariâa dans la loi tunisienne et bien d’autres principes archaïques ne sont plus du tout appliqués et sont même rejetés par la société.

On a jugé que l’intérêt social était ailleurs. On a admis dans les mœurs que l’homme ne pouvaient épouser quatre femmes, on a admis dans nos traditions que le voleur doit être mis en prison, que l’adultère n’implique pas de lapidation et que l’esclavage ne fait plus partie des règles de notre société. Mais tout ceci est moins délicat que le patrimoine, la succession et l’héritage. Les voies de l’argent sont impénétrables, car ces voies sont les mêmes que celles du pouvoir.

 

Pour l’instant, si rien n’est fait encore, ces annonces présidentielles « historiques » et « progressistes » ont eu le mérite de faire réagir, de relancer un débat. De détourner le regard des véritables questions ? Sans doute oui. Le président de la République ne fait jamais rien par hasard. Derrière ce discours digne du « grand et de l’unique Bourguiba », se cache une guerre de pouvoir. L’homme qui avait dit, il y a quelques années, que la femme « n’est qu’une femme après tout », s’approprie des combats vieux de plusieurs dizaines d’années. Des combats qui ne sont pas siens afin de se faire voir comme l’homme providence, celui qui sauvera la gente féminine d’années d’injustice. Cette même gente féminine qui a fait qu’il est là où il est aujourd’hui. C’est que les élections sont proches et le calife veut, plus que jamais encore, rester calife… 

15/08/2017 | 15:59
5 min

Commentaires (32)

Commenter

Monday
| 21-08-2017 08:37
" Si ces mots vous font froid dans le dos et vous donnent des cauchemars la nuit, c'est que vous faites partie de ces Tunisiens encore attachés à une vision traditionnelle et patriarcale du pays."??

Vous êtes sur que vous parlez de la Tunisie?

Allez faire un tour à Hammamat, sousse, ou ailleurs, et dite moi de quelle société patriarcale vous parlez;

On parle là de problème de fond, de texte coranique clair et de lignes rouges à ne pas franchir, ce qui a fait que de tout temps les héritiers ont accepte de plein gré le principe et le mode d'héritage appliqué (et encore car il a été meme déformé après la proclamation de l'indépendance, car le mécanisme est défini par le texte sacré du bon dieu.

Vouloir changer les préceptes de fond de l'Islam équivaudrait à ouvrir les portes de l'enfer à des situations incontrôlables.

Si cela se produirait, rien n'empercherait demain de vouloir toucher à d'autres principes coranique inaliénables et intouchables.

Fehri
| 18-08-2017 11:58
Bourguiba voulait la liberation totale de la femme, mais la classe bourgeoise lui dit stop je veux mes restent avec mes garcons. Alors Bourguiba a fait un compromise just pour calmer Les Richards: landlords. Rien avoir avoir avec l'islam, lisez bien votre histoire.

Microbio
| 16-08-2017 14:45
Madame / Mademoiselle!

Il est grand temps pour la mise en place d'une partie politique pour la femme tunisienne!
S'il vous plaît ne plus croire à aucune des parties tunisiennes toujours envahis par les hommes, qui parlent au nom de la la femme.
Dépuis l'indépendance, pour arriver au consolider leur pouvoir, les hommes (Burguiba aussi!)
n'ont fait qu´ intrumentaliser la cause de la femme tunisienne et bien sûr pour plaire à l´ occident.

Je suis sûr qu´il y a beaucoup de femmes tunisiennes, qui peuvent initier une véritable révolution pacifique pour la femme tunisienne / arabe.
Et ainsi la création d´une PARTIE POLITIQUE POUR LA CAUSE DE LA FEMME TUNISIENNE pourra révolutionner la vie politique tunisienne et influencer les élections.
Les chances sont si bonnes pour gagner sur tout les plans.
Nos chères femmes tunisiennes ont une occasion historique en or pour l´avenir de la tunisie démocratique et juste. S'il vous plaît profitez en!

Je suis médecin convaincu que les hommes ne comprennent pas beaucoup les problemes des femmes sans parler de leur donner des solutions.
Uniquement les femmes peuvent imposer et présenter les réformes nécessaires!


Mes Salutations de l´allemagne.

aljazzair
| 16-08-2017 13:46
Madame ou mademoiselle,
Une petite observation qui se veut constructive:
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Bien sur chacun est libre de se forger une opinion sur ce sujet.
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Cependant il ne faut pas isoler la question de l'héritage des autres droits et devoirs issus de nos textes religieux.
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La femme hérite moins que l'homme mais en contre-partie l'homme a des obligations, y compris légales, envers la femme qui n'existent pas dans l'autre sens.
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Donc au delà du débat religieux, qui est en soi légitime car important aux yeux d'une frange importante de la société, il a un débat sur la JUSTICE et la COHÉRENCE D'ENSEMBLE de telles mesures.
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Les gens qui veulent les mêmes droits a l'héritage doivent, s'ils sont logiques et cohérents, supprimer toutes les dispositions qui avantagent les femmes par rapport aux hommes et toutes les obligations a sens unique que les hommes ont envers les femmes en vertu du droit musulman.
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Si vous ignorez ces obligations alors il serait utile de vous éduquer sur ces questions afin de vous forger un avis cohérent.
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Cordialement.

Gg
| 16-08-2017 12:59
A la mort des deux parents ou conjoints, les enfants retrouvent tous leurs droits, sans distinction entre les garçons et les filles.
Mais je préférerais qu'un avocat ou un notaire parle à ma place, le droit n'est pas du tout ma spécialité!

DHEJ
| 16-08-2017 12:47
Pourquoi cette DIVISION INÉGALE?

Gg
| 16-08-2017 12:33
Dans le droit français, la femme (ou l'homme), mariée civilement ou pacsée ou en union libre depuis plusieurs années (j'ignore combien), ne peut se retrouver à la rue à cause des enfants.
Ceux-ci attendront donc la mort du conjoint pour hériter de leur part manquante.

DHEJ
| 16-08-2017 12:07
C'est une inégalité Femme-Homme!!!


Hum

citoyenne
| 16-08-2017 11:56
Mme tajine si vous voulez défendre l'égalité homme femme criez alors à haute voie et demandez avant tout d'annuler les lois qui soutiennent la femme tunisienne au détriment de l'homme surtout sur le plan financier, pourquoi alors se taire devant la loi qui prévoit que la femme divorcée ou la fille célibataire sans revenu peut bénéficier sans limites de la pension de son père après sa mort , alors que l'homme sans revenu doit s'emmerder pour vivre et n'a rien avoir avec la pension de son père après l'age de 21 ans

DHEJ
| 16-08-2017 11:41
Et quid de l'égalité entre ta femme et ta fille???