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Chroniques
Le week-end du bluff
Par Nizar Bahloul
13/07/2020 | 15:59
5 min
Le week-end du bluff

La chronique d’aujourd’hui devait aborder la dangereuse proposition de loi relative à l’audiovisuel. Approuvée en commission, cette proposition d’Al Karama risque de tuer l’audiovisuel tunisien. Sauf que l’actu a des priorités que la raison ne comprendra jamais. Plutôt que de nous occuper d’économie, de social et de (véritable) politique, nous voilà acculés à suivre les tergiversations, les absurdités et les différentes conneries (excusez !) de nos politiciens. A la tête de ce pays, en cet an 2020, nous avons trois présidences. Les trois ont failli, chacun à sa manière, chacun avec ses casseroles, chacun avec ses petits calculs d’épicier.

 

Le plus flagrant, celui qui a déjà pris trop d’encre, est Elyes Fakhfakh. Attrapé en flagrant délit de conflit d’intérêt, le chef du gouvernement refuse à ce jour de plier bagages. Il croit dur comme fer qu’il n’a pas tort. Pour lui, sa peau vaut mieux que la moralisation de la vie publique, que l’image d’une classe politique propre. A ce stade, on n’est plus au point de savoir s’il est réellement coupable ou pas, puisque seule la justice est capable de rendre ce verdict. Il y a une perception de la part du public et cette perception l’accable. Des sommités nationales et des partis appellent à son départ, afin d’instaurer dans ce pays la tradition de la démission quand éclate un scandale. Non, Elyes Fakhfakh n’est pas de cet avis. Oui, Elyes Fakhfakh veut continuer à jouer les funambules en dépit de son inexpérience totale en la matière. Il est au milieu du chemin et sa chute sera violente s’il n’accepte pas de quitter la scène de suite.

Après plusieurs avertissements, Ennahdha a officiellement décidé hier de le pousser dehors. Ça ne lui fait ni chaud, ni froid, car il sait qu’Ennahdha est en train de bluffer. Si le parti islamiste était sincère, il aurait quitté le gouvernement où il est représenté par une bonne dizaine de personnes. Si Ennahdha était sincère dans sa volonté d’éjecter le chef du gouvernement, il aurait présenté une motion de censure depuis des semaines. La raison de ce bluff ? Le parti islamiste ne veut pas avoir la responsabilité de nommer lui-même un chef du gouvernement issu de ses rangs. Il veut que ce soit Kaïs Saïed qui porte cette responsabilité et il veut que le candidat soit consensuel et non quelqu’un atterri de nulle part, comme c’était le cas avec Elyes Fakhfakh.

 

La deuxième faillite de la semaine vient du palais de Carthage dont le locataire, Kaïs Saïed est réputé être le plus orthodoxe en matière de respect de la légalité et de la Constitution. Le 9 juillet, M. Saïed a présidé le conseil des armées et des dirigeants sécuritaires. Or ce conseil n’existe pas ! Comment se fait-il qu’il faille à ses obligations (politiques et morales) et crée sans préavis un conseil de cet acabit où sa cheffe de cabinet Nadya Akacha se trouve en bonne position ? Cela ne semble déranger personne !

Bien que ça ne soit pas un détail, cette création de conseil demeure moins grave que son contenu. Dans son allocution, le président de la République, chef de l’Etat, chef des armées, a mis en garde « contre les tentatives visant l’Etat et ses institutions. Le danger nous guette de l’intérieur et non de l’extérieur. La menace contre l’Etat passe à travers le ciblage de ses institutions. Et parmi ces dangers, les tentatives d’impliquer l’armée dans les conflits politiques. »

De quoi parle le président de la République, chef de l’Etat, chef des armées ? Nul ne le sait. On est juste invité à jouer aux devinettes avec lui.

Il en dit trop et pas assez. Il agit comme s’il était encore candidat. Il raisonne comme un opposant et parle comme ce client de café fumant sa chicha.

On l’attendait pour trancher sur le sort du chef du gouvernement qu’il a lui-même nommé, on le trouve en train de lancer de nouvelles énigmes à résoudre. Qui menace l’Etat ? Pourquoi le chef de l’Etat ne le dit pas et n’agit pas ? Pourquoi ne tient-il pas sa promesse électorale de tout dire au peuple et de prendre celui-ci à témoin ? Pourquoi ne se prononce-t-il pas sur le scandale frappant son poulain ? Si la situation est alarmante comme il le prétend, il se doit de prendre des mesures immédiates et de nous en informer !

 

La palme d’or du bluff vient du parlement tunisien, source de tous nos problèmes, depuis 2011. Un parlement où l’on force la sécurité présidentielle à accepter l’entrée d’un suspect de terrorisme. Où les députés usent d’un langage grossier et injuriant. Où les lois devant sauver le pays restent bloquées, alors que celles servant les amis passent en premier.

Vendredi dernier, suite à l’entrée forcée d’un membre d’Al Karama fiché S17, avec la complicité de la présidence du parlement, des chefs de blocs parlementaires se sont réunis samedi et dimanche pour évoquer une motion de censure contre Rached Ghannouchi. Ils savent tous que cette motion n’a aucune chance de passer, tout comme la précédente initiative d’avoir une présidence tournante n’a pas marché. C’est du pur bluff digne d’une partie de poker d’amateurs. Pourquoi ? L’explication est arithmétique.

Les blocs parlementaires réunis pour proposer le retrait de confiance sont le bloc démocrate (38), la Réforme nationale (16), Tahya Tounes (11) et le bloc national (11). A ces blocs, on peut ajouter le PDL (16) pour voter pour l’éjection de Rached Ghannouchi. L’ensemble de ces blocs totalise 92 voix. Il en faut 109 pour déloger le chef islamiste. Ennahdha (54) et ses deux toutous Qalb Tounes (27) et Karama (19) totalisent, à eux trois, cent voix. Pour collecter les neuf voix restantes, c’est un jeu d’enfants pour Ennahdha. Les opportunistes et les voix à vendre au plus offrrant sont légion au parlement.

C’est de la naïveté de croire que l’initiative de retrait de confiance à Rached Ghannouchi va aboutir. Cette initiative va servir à bien monnayer des places dans le futur gouvernement et, au mieux, à pousser Ghannouchi à réduire sa partialité et à tenir en laisse ses toutous.

 

Par Nizar Bahloul
13/07/2020 | 15:59
5 min
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Commentaires
Ahmed
Un jeu d'echec et de poker très sympathique
a posté le 14-07-2020 à 12:18
RG tiendra sa place grâce a NK.
Nk sera tranquille grâce a Fakhfakh finalement.
JeRentreDansLeNoir
Je ne veux plus payer pour ça
a posté le 14-07-2020 à 07:39
Je ne veux plus payer pour ça, je rentre dans le noir.
Alya
Update
a posté le 14-07-2020 à 00:22
Pardon de vous lire en regardais je pense que le lundi a vraiment depasse le week end. Perso j aimerais savoir ce que voulait KAIS SAID .
veritas
Toujours du bluff
a posté le 13-07-2020 à 20:59
Depuis des mois je n'arrête pas de parler du bluff de la secte du gourou ..maintenant NB qui en parle c'est bon signe que beaucoup commence comment fonctionne ce gourou maudit avec sa secte maudite .
aliocha
il n'y a plus d'ARP
a posté le 13-07-2020 à 20:47
Les députés fonctionnent comme si ils sont entendu par le peuple, or depuis longtemps il ne pense qu'à démolir ce qui existe et non à bâtir les bases de la future démocratie, c'est pas Ghannouchi qui représente le problème c'est le système entier qui est grippé! celui ou celle qui va le remplacer ne fera pas mieux et on tournera toujours en rond! Pauvre pays qui s'est vidé de ses compétences et qui est en voie de perdition!
abouali
Si Nizar : vous oubliez la méthode Coué !
a posté le 13-07-2020 à 18:29
Ces déductions concernant le retrait de confiance ne tiennent pas compte de certaines hypothèses qui pourraient tout faire basculer.
Primo : le nombre de voix est, comme vous le savez 217, donc il restera tout de même théoriquement 117 votes qui pourraient être en faveur de la motion, ce qui dépasse confortablement le seuil requis. Dans sa première phase, le projet a recueilli plus de 73 signatures, sans tenir compte de celles du PDL.
Secundo : Quelques revirements du côté de Qalb Tounes, dont tous les membres ne partagent pas la soumission, pour des raisons d'intérêt judiciaire, de leur chef aux islamistes et qui pourraient le faire savoir à cette occasion, pourraient être espérés.
Tertio : La détermination des initiateurs de la motion semble établie et demeure intacte. Leur enthousiasme, leur volonté et leur force de conviction pourraient inciter certains députés qui hésitent encore à s'y rallier. D'autant plus que les arguments sont solides et le danger patent !
je ne serais donc pas aussi catégorique que vous semblez l'être. Tout reste jouable et certains de vos chroniqueurs le pensent également. La plupart des députés ont conscience qu'ils ont rendez vous avec l'histoire et qu'ils peuvent écrire une nouvelle page plus conforme avec les attentes de ceux qui les ont élus.
Mamout
La pire des voyoucraties!
a posté le 13-07-2020 à 17:35
Et pendant ce temps là, le pays est entrain de couler et chacun des clans est dans son coin entrain d'aiguiser ses couteaux en préparant la boucherie qui s'annonce.
hafedh
Privatisation de l'ARP
a posté le 13-07-2020 à 17:03
A mon avis, il est temps de privatiser cette ARP et de vendre ses actions dans la bourse ou aux enchères en espérant de trouver des acquéreurs.