Par Nizar Bahloul
Le parlement examine ce lundi 12 novembre 2018 la nouvelle formation gouvernementale proposée par Youssef Chahed lundi dernier. Un examen non-prévu par les lois tunisiennes, ni par la constitution, mais qui a quand même le mérite de rappeler que l’ARP reste la plus haute autorité de l’Etat. Pour le moment, et à l’exception de Sihem Ben Sedrine, tout le monde s’est soumis à cette haute autorité parlementaire et ses injonctions. Ce n’est que comme cela que l’on construit une démocratie et un Etat de droit. Tant mieux donc que le chef du gouvernement (qu’il s’appelle Habib Essid, Youssef Chahed ou autre) se soumette à un examen démocratique non prévu par une constitution qualifiée par ses auteurs de la meilleure au monde.
En dépit de la « louabilité » de cet exercice démocratique et quel que soit son résultat (à l’heure de la rédaction de ces lignes, ce résultat n’est pas encore connu), on aurait pu nous passer de ce passage devant les députés. Une journée de perdue pour le gouvernement, qui a beaucoup d’autres chats à fouetter en cette période de débat de la Loi de finances et de ce marasme économique. Une journée de perdue pour nos 217 députés qui auraient pu la consacrer à l’examen de dizaines de lois urgentes, dont certaines peuvent résoudre plusieurs problèmes sociaux et économiques.
Sauf que ce remaniement, suivi par cet examen démocratico-parlementaire, est devenu inévitable à cause de la crise qui sied à la tête de l’Etat entre le président de la République et le chef du gouvernement. L’un vous dit qu’il est le seul élu au suffrage universel et qu’il a un droit de regard sur tout et l’autre vous dit qu’il est le seul maître à bord, car c’est la constitution qui le dicte. Le premier vous dit qu’il est redevable devant ses électeurs et les citoyens, l’autre vous dit qu’il est redevable devant la constitution et la loi. L’un vous dit qu’il est redevable devant l’Histoire, l’autre vous dit qu’il est redevable du présent et de l’avenir.
On a un peu trop glosé sur cette crise entre Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed. De quoi faire dégoûter les Tunisiens de la politique et de la mesquinerie de la classe politique. Car on est bien d’accord que tout ce qu’on vit aujourd’hui est de la mesquinerie politique ! On a également un peu trop glosé sur la crise politique précédente entre Béji Caïd Essebsi et Habib Essid. Et avant ce duo, il y avait également une grave crise politique entre Moncef Marzouki et Mehdi Jomâa et entre Moncef Marzouki et Hamadi Jebali. Souvent, pour expliquer ces crises, on rappelle que l’on n’a pas (encore) de Cour constitutionnelle capable de trancher ces différends et ces crises. C’est comme si l’on disputait un match sans présence d’un arbitre. Un peu comme si c’était un match de quartier (et encore !) alors qu’il s’agit d’un match de Champion’s League.
Sauf que quand bien même on aurait eu cette Cour constitutionnelle, elle n’aurait pas empêché pour autant les différends et les clashs de naître entre les deux têtes de l’exécutif. Pour résoudre le problème, ce n’est pas d’un arbitre dont on a besoin, mais d’un règlement adapté et accepté par les joueurs. Or le règlement que l’on a actuellement (la fameuse constitution) n’est pas adapté pour notre vie politique, notre société, notre réalité. Un peu comme si l’on a ramené le règlement du football américain pour l’appliquer à notre football. Ou que l’on ait ramené celui de la Formule 1 pour l’appliquer à du karting.
Tout cela a été dit et répété, critiqué et dénoncé, entre 2011 et 2014, mais les hommes politiques de la troïka nous ont imposé ce diktat, ces idées venues d’ailleurs, cette vision de leurs bienfaiteurs étrangers. Le résultat est cette constitution a le mérite de satisfaire et d’irriter tout le monde à la fois. Une constitution hybride où tout le monde trouve son compte et personne ne trouve ce qu’il veut. Une constitution où l’on trouve tout et son contraire, où l’on ne compte plus les absurdités, à commencer par son article premier.
A un moment ou à un autre, il faut se rendre à l’évidence et cesser de dénigrer Youssef Chahed et d’attaquer Béji Caïd Essebsi pour s’attaquer à l’origine du problème et la source de nos maux actuels : notre constitution ne nous sied pas. Tant que l’on ne va pas modifier ces articles à l’origine de toutes les crises politiques que l’on vit depuis 2011, tant que l’on ne va pas pouvoir avancer.
Ce n’est pas un drame si on fait un arrêt d’autocritique pour dire ceci ne nous sied pas, reculons un peu pour mieux sauter ! C’est même le signe d’une bonne intelligence. On ne peut plus continuer dans ces crises sans fin où le président de la République élu n’a pas le droit de limoger le chef du gouvernement et où le chef du gouvernement ne peut agir librement comme s’il était le seul chef de l’exécutif. C’est tout le pays qui est bloqué.
A l’origine de cette idée de gouvernance hybride aux pouvoirs limités pour chacun, l’ancien président Moncef Marzouki. C’est lui qui a imposé cette vision, c’est lui qui a rejeté le système présidentiel proposé par les uns et le système parlementaire proposé par les islamistes d’Ennahdha.
Il a d’ailleurs eu le courage et l’honnêteté intellectuelle de l’avouer et de s’en excuser, dans un post qu’il a publié sur sa page Facebook le 4 septembre dernier.
Moncef Marzouki justifie sa démarche par la nécessité de préserver les Tunisiens de toute velléité dictatoriale d’un président élu tout puissant, comme cela s’est vu par le passé. Et il a peur des dangers d’un chef du gouvernement élu en citant les exemples de l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste, l’Espagne de Franco et aujourd’hui même en Pologne et en Hongrie. « Sauf qu’il y a des défauts dans toute solution. Ce que j’ai rapidement découvert dans ce régime hybride, ce sont les fragilités de ce système et je n’ai pas mesuré les dangers de ce régime qu’après l’avoir pratiqué. Il y a une très grosse différence entre la théorie et la pratique », avoue l’ancien président Moncef Marzouki.
Les faits sont là, nous le savions et nous l’avons dit depuis 2011 : nous étions et nous sommes encore des cobayes entre les mains de puissances étrangères qui ont utilisé plusieurs de nos hommes politiques et fondateurs d’ONG pour tester des systèmes, des régimes et des lois. Maintenant que nous avons testé, à nos dépens, les limites de leur régime et de leur constitution, il est temps de marquer un stop et de tout changer. La Tunisie post 2014, avec sa fameuse « meilleure constitution au monde » est bâtie sur des piliers fragiles. Elle est régie par une constitution médiocre inadaptée à notre situation et à notre réalité.
Que Youssef Chahed gagne ou perde aujourd’hui à l’Assemblée, le problème demeure entier, lui-même ou son successeur auront à se battre demain avec une assemblée qui ne lui est pas acquise et un président qui lui lancera inévitablement des peaux de banane.
C’est le moment ou jamais de mettre à plat cette « meilleure constitution au monde » pour la remplacer par une constitution adaptée à la Tunisie et aux Tunisiens. On ne peut pas donner une Ferrari à quelqu’un qui vient d’obtenir son permis, car c’est un accident mortel qui l’attend au tournant !
Commentaires (13)
CommenterSEUL le tribunal constitutionnel sauvera notre chére TUNISIE
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
Là où je rejoins Mr Bahloul c'est quand il dit" Sauf que quand bien meme on aurait eu cette Cour constitutionnelle, elle n'aurait pas empêché pour autant les différends et les clashs de naître entre les deux têtes de l'exécutif. Pour résoudre le problème, ce n'est pas d'un arbitre dont on a besoin, mais d'un règlement adapté et accepté par les joueurs." Monsieur Bahloul le règlement existe c'est le SENS DE L'?TAT qui manque.
Que pouvait-on espérer d'une Constitution inspirée par un tel aliéné ?
Sauf que, lui gommé de l'Histoire et utilement passé à la trappe, il nous reste néanmoins sur les bras les déchets de son passage, des reliefs pas très ragoûtants, aux remugles peu engageants, mais qui tiennent néanmoins le haut du pavé de cette misérable Assemblée, et pérorent définitivement sur des questions cruciales pour l'avenir de ma Tunisie : depuis le menu fretin aux gens un peu plus consistants, dont certains cercles sont peuplés mais dont la voix ne parvient pas à percer...
Si cette Constitution avait vraiment aspiré à être "la meilleure du monde", elle aurait d'abord dû se prémunir contre ses facteurs dont la qualité était, dès le départ, si clairement défaillante!
Le régime parlementaire ne nous convient pas
Nous n'avons pas dans notre histoire un référentiel politique avec un régime parlementaire au vu de notre histoire, de nos moeurs, de notre religion qui occupe une place prépondérante dans notre société qui par certains aspects est très archaïque (société très conservatrice imprégnée d'Islam) . En plus de la religion, nous sommes un pays du tiers-monde qui a du mal à joindre les deux bouts en fin de mois, nous survivons grâce au bouche à bouche du FMI et de la Banque Mondiale. Notre indice de développement humain bien que supérieur aux pays qui nous entourent reste insuffisant pour rejoindre les nations les plus développées.
On le voit bien en Europe de l'Est avec certains pays qui ont accédé à l'Union Européenne, leur société rejette le modèle démocratique européen tels que la Pologne, la Hongrie, l'Autriche et même l'Italie avec cette vague populiste anti-système et plutôt proche de l'extrême-droite anti-parlementaire. Les électeurs de ces pays veulent plus d'autorité et d'ordre.
Comment voulez-vous qu'un pays comme la Tunisie imprégné de religion, très conservateur s'adapter à cette nouvelle démocratie.
Je pense qu'il nous faut un régime semi-présidentiel avec plus de pouvoirs et de prérogatives , bien sûr un parlement mais qui ne prend pas toute cette importance, il y a trop de perte de temps, d'énergie perdue, c'est inefficace, on a l'impression que la vie politique se passe au parlement alors que les électeurs demandent plus de pouvoir d'achat, moins de chômage, plus de débouchés pour nos jeunes diplômés, plus de sécurité, d'ordre et de propreté des villes. On ne va pas vivre de démocratie et d'eau fraîche alors que le peuple souffre de la misère, des inégalités et des injustices, je ne parle pas de la nouvelle classe politique corrompue, la stratégie du "butin" chère aux islamistes avec la bénédiction de Sihem Ben Sedrine. Je n'ai pas parlé de la crise institutionnelle entre la Présidence et la Kasbah, les frontières sont très mal définies et comment accepter cette "guerre" larvée entre un président et son Chef de Gouvernement? C'est du n'importe quoi. On a l'impression que Carthage et la Kasbah préparent leurs troupes avant la bataille finale de 2019. Je rajoute les coalitions éphémères, les partis qui gagnent les élections et qui se retrouvent quelques mois après dans l'opposition, le tourisme parlementaire insupportable qui est une trahison pure et simple des députés envers leurs électeurs, les coalitions qui se font et se défont suivant l'humeur des leaders politiques.
Comme l'a démontré Nizar Bahloul cette Constitution "la meilleure du Monde" a été bâclée, elle n'a pas prévu tous les cas de figure, elle est incomplète voire inapplicable. Il y a beaucoup de choses à faire : 1. Changer la loi électorale (supprimer la proportionnelle intégrale, instaurer le scrutin majoritaire à deux tours, fixer un pourcentage minimal pour la participation..;). 2. Amender la Constitution sur certains points. 3. Supprimer le tourisme politique. 4. Vérifier le bulletin N°3 de chaque candidat à n'importe quelle élection. (on l'a vu avec Yassine Ayari qui a été élu député en Allemagne avec 200 voix seulement et 95% d'abstentions, un record mondial.)
et encore
@BN
Si Béji et Youssef Chahed+bloc coalition nationale
Et du niveau de nos juristes...
Une analyse qui perd son sens
Le problème est ailleurs?
Avec un projet patriotique et des responsables filtrés par compétence, les résultats sont pratiquement certains, sous une démocratie ou sous une dictature.
La démocratie est comme la dictature, elle présente divers risques. Une démocratie disciplinée et ciblée, de point de vue application, reste la meilleure solution (Japon, Allemagne).