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Tribunes
Le coup de maître de Hamadi Jebali : la distinction entre légalité constitutionnelle et légitimité politique
12/02/2013 | 1
min
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Par Abdorahman Hassen Chouchane

Le Chef du Gouvernement ne cesse de nous surprendre avec la subtilité juridique et politique de son action. Il a réussi un coup de maître à la fois légal et politique.

(I) La légalité constitutionnelle : le choix de l’option 17-2 de la Petite Constitution : Le coup de maître légal

Le chef du gouvernement a fait une déclaration qui conforte ses dernières sorties médiatiques en affirmant qu’il est décidé à procéder à son remaniement ministériel sans demander l’aval de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) et obtenir la légalité constitutionnelle conformément à une interprétation audacieuse de l’article 17-2 de la loi du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics (Petite constitution).
L’article 17 de la Petite Constitution qui énumère les prérogatives du chef du gouvernement dispose dans son paragraphe 2 que: « …Le président du gouvernement est compétent pour créer, modifier et supprimer les ministères et les secrétariats d’Etat, ainsi que pour fixer leurs attributions et prérogatives, après délibérations du Conseil des ministres et information du président de la République. »
Le chef du gouvernement se base donc sur cet article pour justifier la légalité de son remaniement ministériel sans recourir à l’aval de l’ANC. En effet, en l’absence d’une disposition claire dans la Petite constitution traitant du cas bien précis du remaniement ministériel, le chef du gouvernement se réfère à une règle simple d’interprétation que les juristes connaissent bien, à savoir le principe «qui peut le plus peut le moins». Si le Chef du Gouvernement peut « créer, modifier et supprimer » des ministères et des secrétariats d’Etat », il est à même de faire le moins et de changer un ministre ou plusieurs de ses ministres sans tomber sous le coup de l’article 15 de la Petite Constitution qui traite d’une nouvelle investiture ou sous le giron de l’article 19 qui traite de la motion de censure contre le gouvernement ou un ministre.
Par ce coup de maître constitutionnel, le chef du gouvernement pourra légalement, sans recourir à l’ANC, procéder à son remaniement ministériel en gardant même un seul ou deux ministères techniques avec leurs ministres technocrates et en remplaçant tous les autres membres de son gouvernement appartenant à des partis politiques (par des technocrates).

(II) La légitimité Politique: Le coup de maître politique

Le chef du gouvernement a très bien compris que ce nouveau gouvernement, même s’il est légalement constitué conformément aux dispositions de l’article 17-2 de la Petite Constitution, rencontrera les difficultés suivantes :

(I) politiquement parlant, ce nouveau gouvernement aura un énorme talon d’Achille en l’absence d’une légitimité politique qu’il pourra obtenir s’il est approuvé par l’ANC,
(II) ce nouveau gouvernement risque de faire l’objet d’une motion de censure présentée à l’ANC par les partis réticents à l’égard de l’initiative du chef du gouvernement (conformément aux dispositions de l’article 19 de la Petite Constitution). Une telle motion de censure pourra être approuvée à la majorité absolue des membres de l’ANC;

(III) le nouveau gouvernement devra, le moment venu, obtenir la majorité requise au sein de l’ANC pour faire approuver ses projets de lois (surtout en ce qui concerne le code électoral ou toute autre loi qui sera nécessaire à l’organisation des élections ou à la conduite des affaires courantes du pays).

Cependant, le chef du gouvernement sait aussi pertinemment que le passage par l’ANC reste très périlleux en prenant en considération le refus actuel de son propre parti, du CPR et du Mouvement Wafa de son initiative et l’hésitation d’Ettakatol qui risque d’être tiraillé entre l’option évidente de garder ses ministres dans un nouveau gouvernement politisé et l’initiative de chef du gouvernement qui reste très populaire.
Afin d’éviter ce passage par l’ANC mais tout en partant à la conquête d’une légitimité politique fondamentale pour la réussite de sa mission, le chef du gouvernement a décidé de faire une manœuvre assez subtile. Il a décidé, en effet, de présenter son gouvernement à l’ensemble des partis représentés au sein de l’ANC (et non à l’ANC directement) pour requérir leur accord sous peine de démissionner en cas d’échec. Ce faisant, le chef du gouvernement témoigne d’une grande habileté politique qui se manifeste comme suit:

(I) cette manœuvre lui permet d’éviter les écueils d’une ANC complètement déstabilisée et décrédibilisée et tiraillée par les conflits entre les partis politiques intéressés par le partage des postes (l’exemple du candidat de l’Alliance Démocratique pour le poste de ministre de l’Education et sa querelle avec son parti en est malheureusement une preuve pitoyable) plutôt que par l’intérêt général d’une nation qui est en train d’agoniser. Le chef du gouvernement sait qu’il ne pourra pas compter sur un sursaut patriotique des membres de l’ANC pour obtenir l’aval politique pour son gouvernement ;

(II) cette manœuvre permet au chef du gouvernement de discuter directement avec les partis politiques en tant qu’institutions et non en tant que personnes physiques changeant d’humeur (et d’intention de vote) au gré de leur intérêt personnel (en tant que ministres par exemple dans le gouvernement devenu ancien). Le chef du gouvernement pourra obtenir le soutien de tout un parti politique dès lors que le bureau politique de ce parti (en tant qu’institution) confirme son accord à ladite initiative;

(III) afin de pouvoir convaincre les partis politiques, le chef du gouvernement sera dans une posture beaucoup plus intéressante pour discuter avec les partis politiques s’il a déjà validé, légalement et juridiquement, la composition de son gouvernement que de se retrouver en quête de reconnaissance juridique devant des membres de l’ANC manquant de culture juridique pour une grande majorité ce qui aurait pu engager des débats juridiques stériles et les membres de l’ANC nous ont malheureusement habitué à ce genre de débats et autres querelles byzantines aussi inutiles qu’interminables;

(IV) en discutant avec les partis politiques en dehors de l’ANC, le chef du gouvernement sera maître de son destin et du destin de son nouveau gouvernement. Il gardera l’initiative pour mener la danse et diriger les discussions sans avoir à craindre les votes éventuellement hasardeux et dénués de toute logique patriotique de certains élus de l’ANC. Le chef du gouvernement obtiendra, à notre sens, en premier lieu l’aval des partis de l’opposition à savoir, le front de l’Union pour la Tunisie (composé par Nidaa Tounes, Al Joumhouri et El Massar), l’Alliance démocratique, l’accord d’Ettakatol (qui a déjà annoncé son soutien à cette initiative) et éventuellement du Front Populaire représenté par Hamma Hammami. Fort du soutien de ces partis et du soutien de l’opinion publique à sa nouvelle équipe, le chef du gouvernement sera dans une posture assez favorable pour convaincre les partis réticents, en l’occurrence, son propre parti, le CPR et le Mouvement Wafa dans des discussions directes avec les bureaux politiques de ces partis ;

(V) en demandant l’accord politique des partis représentés à l’ANC, le chef du gouvernement s’assurera de leur soutien en cas de présentation d’une motion de censure par les partis réticents (à savoir son propre parti, le CPR et le Mouvement Wafa).

En notre qualité de citoyen tunisien, d’avocat et de démocrate convaincu, nous ne pouvons qu’approuver cette initiative assez habile qui a déjà reçu l’appui légal de notre éminent professeur Yadh Ben Achour et qui obtiendra, avec l’appui du peuple, l’accord unanime de tous les partis politiques représentés à l’ANC, nous l’espérons sincèrement.


*Avocat admis aux barreaux de Tunis et de Paris
Membre de l’American Bar Association
LL.M Columbia Law School New York City 2004
Diplômé de l’Institut de Défense National 2012
12/02/2013 | 1
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