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Chroniques
La boite de Pandore est ouverte
Par Synda Tajine
22/10/2019 | 15:59
5 min
La boite de Pandore est ouverte

 

Au milieu de ce capharnaüm politique, des voix se font hésitantes mais fortes. Blessées mais dénonciatrices. Elles ont décidé de ne plus jamais se taire, de ne plus jamais encaisser. Elles…ou ils.

Au milieu de la mobilisation générale, des mouvements citoyens, de cet état d’ébullition post-apocalyptique, que les optimistes appellent euphorie générale, les réseaux se font le théâtre de langues déliées, de grande motivation et d’espoir de réussir à faire tout et, parfois aussi, n’importe quoi.

 

En plus de ceux qui appellent à consommer tunisien, à peindre les trottoirs, à boycotter les bananes, à appeler à la levée de l’immunité parlementaire et à décrocher la lune, il y a ceux qui veulent juste que leurs voix soient entendues. Ceux qui ne veulent plus être des laissés-pour-compte, des victimes transformées en tortionnaires, des oubliés de la société, ceux dont il ne faut surtout pas parler au risque de provoquer la grande colère divine. Ceux-là s’expriment dans le groupe #EnaZeda.

Au risque de me répéter (voir précédent article), cet espace d’échange représente pour beaucoup une sorte de thérapie de groupe des harcelés anonymes. Un « safe space » (souvent mais pas toujours) dans lequel les victimes - elles et ils - d’abus en tous genres, peuvent enfin s’alléger du lourd fardeau porté depuis des années et qui leur a courbé l’échine. Leurs histoires sont accueillies par des messages de soutien dans l’émotion générale.

 

Les victimes sont plus nombreuses que ce qu’on imagine. Beaucoup plus nombreuses. C’est comme si ce simple petit mouvement avait réussi à ouvrir des vannes qui n’attendaient que d’être ouvertes. A ôter ces chapes de plomb qui avaient patienté des années durant dans l’espoir qu’on daigne enfin s’intéresser à elles. C’est comme si une énormissime boite de Pandore avait été ouverte.

Les témoignages sont glaçants. Le « simple » et « gentil » harcèlement de rue, largement toléré et banalisé dans la société tunisienne, semble désormais dérisoire face à des histoires de viols, d’agressions physiques, d’inceste et de pédophilie à répétition. Tous ont une histoire à raconter, de la « simple » et « gentille » main aux fesses dans les transports publics, au viol sous usage d’une arme blanche d’une petite fille de 8 ans sur la banquette arrière d’un membre de sa famille.

Cet espace initialement créé pour que les femmes puissent évoquer le « simple » et « gentil » harcèlement de rue dont elles sont victimes – Q.U.O.T.I.D.I.E.N.N.E.M.E.N.T – est devenu un livre ouvert de drames personnels à peine croyables.

 

Le débat public s’est timidement intéressé, en 2017, à la notion de harcèlement pour pondre dans la hâte la loi incriminant les violences faites aux femmes. Un bon début évidemment, puisque nous sommes encore au stade où toute initiative est bonne à prendre, où le fait d’en parler et de placer ces problèmes dans le débat citoyen est déjà une victoire en soi. Une quarantaine d’articles dont certains demeurent inapplicables dans la vraie vie s’ils ne sont pas accompagnés d’un profond changement de mentalités.

Comment dénoncer un cas d’inceste si on n’apprend jamais à l’enfant que son corps lui appartient,  qu’il a le droit de dire non, qu’il est respecté et considéré par les adultes et qu’embrasser un adulte n’est pas forcément un signe de politesse ?

Comment dénoncer un cas de viol si la victime est stigmatisée, qu’on la rend responsable de son acte en la questionnant sur sa manière de s’habiller, si c’est une femme, et sur ses orientations sexuelles, si c’est un homme ?

Comment dénoncer un cas d’agression, si personne ne se lève dans la rue, dans les transports publics, dans les universités, les collèges et les entreprises pour soutenir une victime de harcèlement et lui porter secours ?

Comment dénoncer un cas de harcèlement si le racisme est omniprésent, si une victime « de couleur » est considérée comme « moins importante » qu’une autre ?

Comment instaurer la notion de consentement si les relations sexuelles restent taboues, « sales » et « interdites ». Si on ne parle jamais aux enfants de leurs corps, si les homosexuels sont stigmatisés et rayés du paysage, si aucune éducation sexuelle n’est prodiguée aux plus jeunes…et même aux moins jeunes ?

Comment aider les victimes à dénoncer alors qu’il demeure très difficile et éprouvant de porter plainte et que les familles, les entreprises, les établissements pédagogiques et universitaires, les institutions sécuritaires et militaires n’encouragent pas qu’un « tel scandale » éclate entre leurs murs et font subir aux victimes un nouvel harcèlement pour abandonner leurs plaintes ? Des très nombreux cas de viols et d’agressions existent dans ces milieux-là, il suffit de serrer les dents et de lire les témoignages.

 

Le harcèlement existe et est omniprésent. Il touche beaucoup plus de personnes qu’on le croit et tous ne sont pas des femmes. Hommes, femmes, enfants, jeunes et moins jeunes deviennent vulnérables face à un « phénomène de société » dont on ne parle presque pas. Il ne suffit pas de pondre des lois inapplicables si le comportement est totalement inconscient et désinvolte.

Les lois sont inapplicables tant qu’une femme est une trainée si elle sort en minijupe après 22h. Tant qu’un homosexuel, devient la propriété de ses bourreaux. Tant qu’un enfant n’a aucun recours face à un adulte. Et tant qu’une épouse se doit de satisfaire les besoins sexuels de son mari, indépendamment de la notion même de consentement….

 

Par Synda Tajine
22/10/2019 | 15:59
5 min
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Commentaires (2)

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mansour
| 23-10-2019 12:40
qui menace les mineurs,les femmes et la société moderne et,ouverte en Tunisie,France Allemagne et occidentale

Nephentes
| 23-10-2019 01:28
Article poignant

Il est diffigile de lutter contre ke harcelement tant il est devenu courant
Pour beaucoup de jeunes et moins jeunes " males' le deficit de savoir vivre est ingerable
Il sagit d une pathologie collective promue au rang de norme sociale dans certains quartiers et milieux

Il est tres difficile de lutter contre ce phenomene

Je cite toujours cet exemple incroyable mais vrai de prostitution de mineurs dans le quartier Ennasr a Hammamet ou a Sousse
Il perdure au vu de tous depuis des annees

Les jeunes filles et garcons proviennent pour l essentiem du gouvernorat de Kasserine

Personne ne s en emeut y compris les autorites je l ai constate in vivo

Notre societe s est tellement clochardisee -et pourtant en apparence islamisee ?-
que malheureusement il faudra une generation pour reapprendre le respect de la femme et des differences

Selon moi il est diffihile de lutter contre des sociopathologies collectives qui sont avant tout des signes d acculturation

Le Maroc le Congo l Argentine la Bulgarie les Philippines le Mexique les banlieues de France meme vivent de tels phenomenes qu on n arrive pas a endiguer

Ils correspondent a une destructuration du tissu social et des reperes identitaires qui exigent des efforts complexes de sensibilisation education et socialisation