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Faut-il précipiter la chute de Tunisair ?
09/09/2011 | 1
min
Faut-il précipiter la chute de Tunisair ?
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Le dernier week-end était noir à Tunisair. Aussi bien pour la compagnie et ses agents que pour les clients qui ont juré, pour leur majorité, le boycott pur et simple.
De quoi s’inquiéter, sérieusement, sur l’avenir de la compagnie, car ce qui s’est passé en ce dernier week-end n’est qu’un début de ce qui l’attend les prochains mois. D’ailleurs, et contrairement à ce qu’a déclaré Tunisair, les problèmes ne sont pas encore résolus. Rien que pour le mercredi 7 septembre, il y avait une bonne dizaine de retards dans les vols.
Comme nous l’avons écrit il y a quelques mois (cliquer ici), Tunisair va droit au mur. La question qui se pose, alors, est si nous ne devrions pas précipiter la chute de la compagnie aérienne nationale ? Une décision radicale pour sauver Tunisair, l’image de la Tunisie et le tourisme tunisien ! Enquête et analyse.


Ce sont deux questions simples, courtes et directes que nous avons posées à huit grands directeurs de Tunisair et à un analyste du transport aérien. Ces deux questions sont les suivantes : Tunisair va droit dans le mur, êtes-vous d’accord ? A l’unanimité, nos interlocuteurs ont répondu par l’affirmative. Est-il de l’intérêt de Tunisair (et de la Tunisie) que la compagnie aille dans le mur dans cinq ans ou dans un an ? A l’unanimité, nos interlocuteurs ont répondu « dans un an ! ».
Il est rare de dégager de l’unanimité quand on pose une question sur un sujet aussi délicat. Mais il est vrai aussi que nous avons soigneusement sélectionné notre panel pour n’interroger que des gens qui connaissent parfaitement le transport aérien et qui ont un sentiment d’appartenance, un amour et une loyauté pour Tunisair.
Naturellement, nous ne nous sommes pas limités à poser des questions et avons cherché l’analyse auprès de nos interlocuteurs.

Les déboires de Tunisair ont commencé avec la décision de l’ancien Premier ministre, Mohamed Ghannouchi de céder aux pressions syndicales qui ont exigé (et obtenu) la réintégration au sein même de Tunisair de toutes les sociétés qui avaient été externalisées par le passé, à savoir Tunisair Handling, Tunisair Catering, Tunisair Technics et Sevenair (devenue Tunisair Express). Au lendemain de la révolution, les syndicats ont multiplié les grèves, bloqué les avions au sol poussant le gouvernement à prendre cette décision totalement aberrante. Aberrante, parce qu’elle est contraire à tout ce qu’ont entrepris les compagnies aériennes dans le monde pour éviter la banqueroute.
C’était le début des problèmes et il fallait limiter la casse. Et c’est à Nabil Chettaoui, l’ancien PDG, qu’a échu la mission. Il a essayé de temporiser la fusion, ce qui lui a valu d’être vite pointé du doigt par les syndicats qui ont juré sa peau. L’accusation classique : « Nabil Chettaoui est une figure du régime déchu ». Appelé à plusieurs reprises devant la commission anti-corruption, au Premier ministère, devant le juge d’instruction, Nabil Chettaoui a réussi à prouver qu’il n’a fait que servir son pays, documents à l’appui. Que celui qui a une preuve de son implication la présente ! Et bon à rappeler, c’est Nabil Chettaoui qui a donné l’ordre au commandant de bord de l’avion qui a transporté Ben Ali à Jeddah de rentrer au pays. Sans cet ordre, on imagine mal comme aurait été la Tunisie si Ben Ali est rentré le 15 janvier comme il prévoyait de le faire. En bref, il a réussi à se maintenir à la tête de la compagnie.
Mais ce n’était que partie remise, car l’avis du syndicat était autre et ils tenaient à le faire dégager. Il ne servait tout simplement pas leurs intérêts. Et ces syndicats ont fini par obtenir un soutien de taille : l’ancien ministre du Transport, Yassine Ibrahim. Il a exigé et obtenu le départ, au pire moment, de Nabil Chettaoui.
Pourquoi pire moment ? Parce qu’à défaut de vouloir le garder, Nabil Chettaoui aurait dû être « éjecté » en janvier (comme beaucoup d’autres PDG) pour laisser la possibilité au nouveau patron de la compagnie de redresser la barre avant la pleine saison. Faute de quoi, il aurait fallu attendre le mois d’octobre après la pleine saison. Mais Yassine Ibrahim, pour s’épargner (ou séduire) les syndicats, a préféré la demi-mesure au risque de mettre en danger la compagnie. Choix stratégique catastrophique.
Le retour de bâton n’a pas tardé. Les déboires de nos pèlerins en Arabie Saoudite l’illustrent à merveille. Ces déboires sont nés parce que les autorités saoudiennes n’ont pas délivré les autorisations nécessaires à temps. Bureaucratie classique chez eux. Or les anciens directeurs (éjectés ces derniers mois) connaissent parfaitement comment lutter contre cette bureaucratie saoudienne.
Au fil des années, ils ont développé des relations personnelles avec les fonctionnaires saoudiens, à qui ils offrent quelques « cadeaux » (huile d’olive de haute qualité de Tunisie, dattes tunisiennes, etc) pour faire accélérer leurs dossiers.
Les nouveaux directeurs n’ont pas encore ce background, d’où les débâcles. Mais là c’est un détail.

Le plus important est ailleurs. La compagnie comptait 3200 personnes avant la fusion. Après la fusion, elle compte plus de 7000. Sachant que Tunisair possède 30 avions, cela fait 230 personnes pour chaque avion. Nettement supérieur à la moyenne internationale qui est de 80 à 90 personnes par avion pour les compagnies commerciales et de 180 pour les groupes qui ont le catering, la technique... Mais là où le bât blesse, c’est de savoir que des cuisiniers et des plongeurs qui appartenaient, auparavant, à Tunisair Catering appartiennent désormais à Tunisair et obtiennent tous les avantages y afférents. En clair, des rémunérations globales bien supérieures à la moyenne, ce qui fragilise irrémédiablement les comptes de l’entreprise.
Autre casserole, la réintégration (suite à des pressions syndicales) de quelque 80 personnes qui ont été licenciées par le passé pour des fautes très graves. Ces personnes sont de nouveau en activité et il y a de gros risques qu’elles répètent les mêmes fautes du passé. Le hic, c’est que ces personnes vont plomber à leur tour les comptes, alors que la compagnie n’en a pas besoin et ferait mieux de recruter (dans les règles et la transparence) de nouveaux diplômés.

Reste l’essentiel qui freine la bonne marche de la compagnie depuis un bout de temps. C’est de notoriété publique qu’une partie non négligeable des 7000 salariés de Tunisair est recrutée suite à des interventions et des coups de pouce. Aucun passage par un concours en bonne et due forme qui aurait privilégié le CV au pédigrée. Et ce sont ces « pistonnés » (ou une partie d’entre eux) qui font tout aujourd’hui pour empêcher Tunisair d’évoluer correctement.
Dans ce sens, on aimerait bien connaître les conditions de recrutement des deux enfants (hautement syndiqués) de Abdesselem Jerad, secrétaire général de l’UGTT. On aimerait bien aussi savoir pourquoi le syndicat a exigé la réintégration de ces 80 salariés et pourquoi le gouvernement a cédé. Et on aimerait, enfin, savoir si c’est le syndicat qui dirige la société ou le PDG et si le recrutement à Tunisair s’opère désormais via le syndicat ou via des procédures transparentes.

Last but not least, le gouvernement actuel et l’actuel ministre du Transport ont fait reculer la date d’entrée de l’open sky. Du protectionnisme pur et simple pour Tunisair afin que les « gâtés » d’hier continuent leur somnolence.
Ils privent les Tunisiens de cet avantage concurrentiel certain. Ce n’est donc pas pour demain qu’on aura un Tunis-Paris à 50 euros. Pire, pour protéger Tunisair, ils privent la Tunisie de l’arrivée massive de touristes et de nos émigrés qui viendraient pour un week-end. Tout le monde connait les avantages énormes sur le Maroc (et particulièrement Marrakech) de l’ouverture du ciel aux compagnies low cost. La Tunisie continuera à en être privée pour les beaux yeux de quelques syndiqués de Tunisair !

Résultat des courses, et selon les estimations de la direction générale de la compagnie, Tunisair va accuser cette année une lourde perte qui devrait être supérieure à 200 millions de dinars. Gigantesque quand on sait qu’en 2009, Tunisair avait un bénéfice de 65 millions de dinars.
Pour limiter la casse, il faudrait donc une solution radicale. Et cette solution a été unanimement saluée par nos interlocuteurs. Mettre l’entreprise en difficulté économique, et c’est prévu par la loi, ce qui peut être considéré comme une porte de sortie honorable. On éjectera alors les brebis galeuses parmi les « pistonnés » après leur avoir donné un joli chèque. Quel que soit le montant de ce chèque, il sera inférieur aux surcoûts générés par la fusion, par les grèves et le coût inestimable de l’image négative que dégage désormais la compagnie.
Attendre que Tunisair enregistre déficit sur déficit et demander, ensuite, à l’Etat d’éponger ces déficits est un crime à l’égard de la compagnie et du contribuable tunisien. Non, le contribuable tunisien, qui a fait sa révolution, n’a pas envie de payer les « caprices » du personnel non compétent de Tunisair. Que les chevronnés qui aiment la compagnie restent et que les pistonnés qui se servent sur la bête soient remerciés. Et il vaut mieux que cela se fasse tout de suite que dans cinq ans. La facture ne sera que plus lourde avec la temporisation de cette douloureuse et inévitable opération.
09/09/2011 | 1
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