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Ennahdha : la guerre des clans a-t-elle commencé ?
11/09/2012 | 1
min
Ennahdha : la guerre des clans a-t-elle commencé ?
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S’il y a un point positif à enregistrer pour l’actif du parti islamiste au pouvoir Ennahdha, ce serait bien la discipline de ses troupes. Tout le monde en convient, vue de dehors, la famille Ennahdha demeure unie et soudée.
Mais depuis quelques semaines, il y a des signes montrant quelques fissures. Plusieurs différends entre les « clans » ont éclaté lors du congrès, mais rien (ou presque) n’a été étalé devant le grand public et aucun clan n’a stigmatisé l’autre sur les médias.
Il se trouve que ces derniers jours, ce « silence » n’est plus respecté. La campagne Ekbess, qui a étalé plusieurs différends entre les « clans » et Hamadi Jebali (sa politique du moins), a été fortement pointée du doigt.
En réponse, d’une manière sibylline, mais suffisamment claire pour être compris par ses adversaires, un proche du chef du gouvernement a étalé au grand jour quelques uns de ses différends. Il a même livré les noms de ses … frères ennemis.


C’est une interview de laquelle se dégage un langage nouveau et totalement inhabituel au sein de la famille islamiste d’Ennahdha. C’est celle qu’a accordée Néjib Karoui, lundi 10 septembre, au quotidien tunisien Attounissia. Néjib Karoui étant le médecin personnel et un des hommes de confiance de Hamadi Jebali.
Islamiste notoire et qui s’assume (depuis des décennies), Néjib Karoui est un homme sensé, qui pèse ses mots et sait tourner sa langue plusieurs fois avant de se prononcer. C'est aussi quelqu'un qui sait parfaitement envoyer des messages entre les lignes.
Ses propos n’engagent pas Hamadi Jebali, certes, mais vu leur proximité, il y a lieu de croire que les deux font la paire et partagent les mêmes opinions.



Alors, lorsque Néjib Karoui déclare que Lotfi Zitoun (ministre conseiller du chef du gouvernement) est l’homme le plus détesté de Tunisie ou que Abdellatif Mekki (ministre de la Santé) est un homme dangereux et un projet de dictateur, il y a de quoi s’arrêter un instant.
Quand il dit ne plus reconnaître ses anciens compagnons Ali Laârayedh et Noureddine Bhiri (qui ne répondent plus à ses appels et à ses SMS) ou Abdelkrim Harouni et Ajmi Lourimi, il y a de quoi soulever quelques interrogations.
Quand il tacle le ministre de l’Industrie (qui ne comprend rien), la ministre de l’Environnement (totalement perdue) ou le ministre de l’Emploi (qui ne fait rien), tout en précisant que ces ministres ne méritent pas leur place au gouvernement, Néjib Karoui met carrément le pied dans le plat.
Quand il dit qu’Ennahdha a agi avec le pouvoir comme s’il était un trésor de guerre et qu’il se désole de ne pas avoir pu rencontrer Rached Ghannouchi (qu’il a bien aidé durant les années de braise), l’ami du chef du gouvernement touche là à un tabou et commet (presque) un crime de lèse majesté.

Est-ce l’annonce de la guerre au sein de la fratrie ? Pas encore. En témoigne cette phrase de Néjib Karoui qui en dit long sur l’ambiance actuelle chez les Islamistes et les relations entre le parti et le gouvernement (M. Karoui n’est membre ni de l’un, ni de l’autre) : « Peut-être que je serai obligé de dévoiler quelques vérités dangereuses et à déclarer la guerre à quelques parties. Peut-être que je serai amené à user de toutes les armes en ma possession afin de dévoiler leurs sales plans en rapport essentiellement avec le secteur de médecine d’urgence ».
Plus loin, et à propos du ministre de la Santé, il dit : « Abdellatif Mekki est un projet de dictateur. Il rêve de diriger le Mouvement, voire de présider le pays. Il est l’ennemi juré de Hamadi Jebali et veut nommer d’autres compétences que celles que [nous] avons proposées, juste par pique contre Hamadi Jebali, et c’est ce que nous n’acceptons pas. Il y aura bientôt une confrontation entre nous. »
En avouant qu’il propose des noms de compétences à désigner à certains postes, Néjib Karoui annonce implicitement qu’il n’est pas seulement l’ami et le médecin du chef du gouvernement. C’est aussi son conseiller non déclaré.
Ses propos prennent une autre tournure et un autre poids quand il utilise des mots comme « guerre » et « armes ».

Mais que se passe-t-il donc à Ennahdha ?
Contacté par Business News, un haut cadre du parti islamiste (ancien prisonnier de plus de 15 ans), nous déclare que le parti a toujours connu des différends et des luttes intestines. « En interne, nous sommes 1000 fois plus virulents que tous les médias réunis. Lotfi Zitoun, par exemple, n’a pas du tout été ménagé par nos militants après l’éclatement du scandale de ses biens non déclarés à l’étranger. Reste que je ne peux rien vous dire de plus, encore moins sur cette guerre de clans. Confidentialité et esprit partisan obligent ».
Des sources proches d’Ennahdha (qui n’ont donc pas cette obligation de réserve) ont les langues plus déliées.
« En effet, nous dit-on, il y a une véritable guerre de clans au sein du parti. Au moins trois ministres agissent en véritables Iznogoud qui veulent prendre la place du Calife. » Outre Abdellatif Mekki, Abdelkrim Harouni et Lotfi Zitoun lorgneraient le poste du chef du gouvernement. Ali Laârayedh, par contre, n’est pas du tout intéressé par la Kasbah et se plait, parait-il, où il est.
« Ils n’hésitent pas à se tacler les uns les autres, affirme l’un de nos interlocuteurs. Ainsi, Zitoun n’a été quasiment pas soutenu lors de la campagne médiatique contre lui. En retour, le même Zitoun n’a pas hésité à désavouer Ali Laârayedh lors de la manifestation d’Ekbes il y a une dizaine de jours. Aujourd’hui mardi, dans La Presse, il admet les erreurs du gouvernement et fait une sorte de mea culpa au nom de ses pairs. Or, qui est responsable de l’erreur si ce n’est Hamadi Jebali ? Il fallait juste suivre son regard et lire entre les lignes», conclut cet interlocuteur.

Le bras de fer n’est pas uniquement avec Hamadi Jebali, mais aussi avec les ministres entre eux.
A l’origine de ces différends entre ministres, l’incompétence de certains qui a jeté de l’ombre sur la compétence des autres, d’où la piètre image de tout le gouvernement devant l’opinion publique. « Il n’y a pas que les médias et l’opposition qui réclament le remaniement et le départ de têtes, c’est au gouvernement même qu’on répète cela nuit et jour ! »
On s’en veut également entre ministres sur le traitement de certains dossiers et sur l’absence de retours par rapport à des doléances personnelles. Exemple parmi d’autres, tel ministre en veut à tel autre, car il ne lui a pas « placé » un de ses proches.

Tous ces différends sont remontés au chef du gouvernement, Hamadi Jebali, et au chef du parti, Rached Ghannouchi, appelés à arbitrer d’une manière permanente.
Cette direction bicéphale ne se passerait pas non plus sans problèmes et le climat ne serait pas au beau fixe entre MM. Jebali et Ghannouchi. Supputation que nul ne confirme avec certitude, puisqu’elle fait partie des secrets des Dieux.
Les propos de Néjib Karoui portent cependant à croire que le conflit principal est bel et bien entre ces deux clans, celui de Ghannouchi (ceux qui étaient à l’étranger) et celui de Jebali (ceux qui étaient en prison).
Le chef du gouvernement a donné une interview dimanche dernier à l’hebdomadaire égyptien Al Ahram où il a évoqué sa démission qu’il a toujours dans la poche et qu’il aurait déjà présentée. Le message est clair : « soit vous me laissez travailler tranquillement, soit je claque la porte et vous laisse vous démener seuls face à l’opposition et la société civile ! »
Alors que l’interview de Néjib Karoui a été publiée lundi, les services du chef du gouvernement ont dû attendre mardi après-midi pour publier un communiqué explicatif indiquant que les propos de M. Karoui ne reflètent aucunement les positions de M. Jebali.
Le même communiqué ne dément, en rien, les relations tendues dont a parlé M. Karoui, mais sait faire la part des choses entre ce qui est personnel et ce qui est lié au travail gouvernemental.

Malgré le communiqué se voulant rassurant de mardi après-midi, ces deux sorties médiatiques de MM. Jebali et Karoui sonnent, pour le moment, comme un avertissement d’un camp à un autre.
Y en aura-t-il d’autres, comme le laisse entendre M. Karoui ?
« Rached Ghannouchi est habile, très habile. Il saura calmer ses troupes et faire les concessions qui s’imposent pour ne pas en arriver là. Il l’a déjà fait avec Moncef Marzouki, il a accepté la nomination de Chedly Ayari proposé par Ben Jaâfar, il est difficile d’imaginer qu’il n’accède pas aux exigences de Hamadi Jebali », nous répond ce haut dirigeant d’Ennahdha.

En attendant, le climat politique est des plus tendus, alors que la rentrée n’a pas encore démarré.

11/09/2012 | 1
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