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Ce que révèle, entre les lignes, le dernier recensement tunisien
17/05/2025 | 12:15
4 min
Ce que révèle, entre les lignes, le dernier recensement tunisien

 

Par Mohamed Salah Ben Ammar


Le dernier recensement national agit comme un électrochoc. Il bouscule les idées reçues, ébranle les discours rassurants et expose une réalité démographique, sociale et économique à mille lieues des narrations officielles. Nous sommes 11 972 169 dont 50,7% de femmes, 5,86% des enfants de moins de 4 ans et 13% de personnes de plus de 60 ans.

On croyait la Tunisie jeune et dynamique ? Elle vieillit, et ce vieillissement survient sans que la prospérité promise ne soit au rendez-vous.

On imaginait un marché du travail saturé ? Il est aussi en mal de compétences.

Huit tendances fortes émergent, et chacune d’entre elles appelle des réponses urgentes, construites sur l’écoute, le dialogue et la lucidité.

 

Une jeunesse qui s’efface
Les enfants de 0 à 4 ans ne représentent plus que 5,9 % de la population, contre 11 % en 1965. Dans le même temps, les plus de 60 ans dépassent désormais les 13 %. La pyramide des âges s’inverse, fragilisant les piliers du modèle social. Comment penser l’école, l’emploi ou la retraite quand la base démographique se dérobe ?

Un système de retraite sous pression
En 2000, quatre actifs finançaient un retraité. En 2035, ils ne seront plus que deux. Maintenir le statu quo serait une erreur stratégique. Recul de l’âge légal, hausse des cotisations, diversification des financements : autant de pistes que la société doit pouvoir débattre, sans tabous ni slogans.

Le potentiel féminin sous-utilisé
Les Tunisiennes excellent à l’université, mais peinent à accéder au marché du travail et aux postes de décision. Une contradiction lourde de conséquences à l’heure où les jeunes actifs se font plus rares. Libérer ce réservoir de talents n’est pas un luxe, mais une nécessité économique et sociale.

Un système de santé au bord de la saturation
Avec l’augmentation des maladies chroniques liées à l’âge (diabète, AVC, Alzheimer), la pression sur le système de santé s’intensifie. Hôpitaux débordés, pénurie de soignants, inégalités d’accès : l’urgence n’est plus à prouver. Télémédecine, médecine de proximité, réorganisation territoriale… les solutions existent, mais nécessitent une volonté politique forte.

Chômage massif, pénuries criantes
Agriculture, BTP, numérique, soins à la personne : les besoins sont là, les bras manquent. Paradoxalement, le chômage des diplômés reste élevé et plus de 20 000 jeunes partent chaque année à l’étranger. La question n’est plus de créer n’importe quel emploi, mais de reconnecter formation et réalité économique. Cela implique de revaloriser l’apprentissage, les métiers manuels et les filières techniques trop longtemps méprisées.

Un territoire déséquilibré
Les régions de l’intérieur – Kasserine, Siliana, Le Kef, Douz, Gafsa… – se vident de leur population. Pendant ce temps, le littoral sature. Sans emplois attractifs, services publics de qualité, vie culturelle et infrastructures modernes, l’exode rural se poursuivra. Relancer ces territoires n’est pas une faveur : c’est une condition pour éviter une fracture nationale durable.

Un modèle de protection sociale à bout de souffle
Moins d’actifs, plus d’allocataires : l’équation est intenable. Peut-on envisager une TVA réajustée, une fiscalité écologique ou une taxation du numérique sans étrangler consommation et investissement ? La question mérite un débat sincère, loin des postures idéologiques.

La famille, entre mutation et injonctions
Mariages plus tardifs, baisse de la fécondité, explosion des familles monoparentales : les repères traditionnels évoluent. S’adapter à ces nouvelles réalités par des politiques de garde d’enfants, de logement et d’insertion professionnelle des femmes est essentiel. Il ne s’agit pas de défendre un modèle familial figé, mais de répondre aux besoins concrets des familles d’aujourd’hui.

Et si l’immigration était une partie de la réponse ?
Les étrangers représentent à peine 0,55 % de la population, soit moins de 70 000 personnes. Pourtant, le discours dominant agite le spectre de l’envahissement. Une immigration de travail ciblée, encadrée et assumée pourrait combler certains manques, notamment dans les secteurs en tension. La Tunisie a déjà été une terre d’accueil. Elle pourrait, à nouveau, faire de la diversité une force, à condition de dépasser les peurs mimétiques importées d’ailleurs.

Un appel à l’action
Ce recensement n’est pas une sentence. C’est une invitation à regarder la réalité en face, à sortir des routines politiques et des clivages stériles. Personne ne détient seul la vérité, mais l’inaction, elle, aurait un coût terrible. Réformer les retraites, repenser la santé, valoriser les compétences féminines, revitaliser les régions intérieures, adapter la formation aux besoins réels… voilà les chantiers devant nous. Entre croire qu’un seul détient la solution ou continuer comme si de rien n’était, il y a un chemin ardu qui passe par la réflexion, l’écoute et le dépassement de nos tabous. Nous devons l’adopter sans hésiter.

 

* Pr Mohamed Salah Ben Ammar MD - MBA


17/05/2025 | 12:15
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