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Tunisie - Afrique : un nouvel horizon géopolitique
07/05/2014 | 1
min
Tunisie - Afrique : un nouvel horizon géopolitique
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Par Mehdi Taje
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Le monde est en profonde transformation dessinant une novelle équation géopolitique et géoéconomique.

Un monde en profonde reconfiguration

Plus globalement, l’accélération de l’histoire et la fluidité du monde bousculent nos schémas de pensée hérités de la fin de la guerre froide devenus, face à un chaos que nul ne semble en mesure de dominer, inopérants. C’est cela la crise !
Le conflit syrien, la guerre civile menaçant l’Ukraine de fragmentation et les événements au Venezuela sont révélateurs de l’exacerbation des rivalités entre les forces de l’unipolarité visant à maintenir les Etats-Unis en tant que moteur de la transformation du monde à leur image et les forces de la multipolarité œuvrant à l’émergence d’un monde multipolaire (Chine, Russie, Inde, Iran, Brésil, etc.). Les rivalités s’exacerbent au fur et à mesure que la concurrence s’aiguise et que les rapports de puissance s’inversent : la tendance est à l’érosion du leadership américain et « la bagarre multipolaire » est engagée selon les propres termes d’Hubert Védrine. Ces pôles de puissance portent une vision du système international qu’ils entendent modifier en fonction de leurs intérêts stratégiques et de leurs propres agendas et ils bâtissent des projections géopolitiques d’envergure et des représentations collectives de l’avenir.

Les opérateurs économiques tunisiens doivent pleinement appréhender cette nouvelle grammaire géopolitique et géoéconomique.
Le théâtre sahélien (Océan sahélien), notre ceinture de sécurité du sud, n’échappe pas à cette dynamique.
En effet, progressivement, se dessine au Sahel un nouveau « Grand jeu » fait de manœuvres subversives et de manipulations où la duplicité et les stratégies de l’ombre sont la règle. Ainsi, les puissances extérieures, sous couvert de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, convoitent les ressources naturelles avérées et potentielles et visent, à terme, une militarisation croissante de la zone afin d’asseoir leur contrôle et d’évincer les puissances rivales (Chine, Russie, Inde, Brésil, Turquie, Iran, etc.). Ces puissances ont tout intérêt à favoriser l’émergence d’une équation géopolitique les plaçant en situation de force pour le partage des richesses du Sahel. En outre, se positionner militairement au sein de ce couloir stratégique reliant l’océan Atlantique à la mer Rouge offre la double faculté de peser sur les équilibres géopolitiques et énergétiques du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest.

Plus précisément, fournisseur prépondérant d’énergie à l’horizon 2030, le Sahel suscite des rivalités pour le contrôle des gisements (lieux de production), enjeu majeur, mais également des itinéraires d’évacuation dessinant jour après jour une nouvelle géopolitique des tubes. Une superposition de la carte des conflits et des ressources est édifiante. Les lignes bougent !
Deux projets assortis de dispositifs diplomatiques et militaires s’affrontent sur fond d’enjeux énergétiques au sein du couloir sahélien : un projet chinois visant à désenclaver les richesses pétrolières et minérales du Sahel à travers Port Soudan vers la mer Rouge suivant un axe horizontal depuis la Mauritanie (dans ce cadre s’inscrit la volonté de connecter le pétrole nigérien au pétrole tchadien), et un projet occidental visant à désenclaver les richesses à travers le Golfe de Guinée. Ce double tropisme pourrait être bouleversé par la puissance établissant son influence en Libye : la jonction entre les ressources libyennes et sahéliennes (éventuelle prolongation du Green Stream reliant la Libye à la Sicile vers l’oléoduc Doba Kribi désenclavant le pétrole tchadien vers le Golfe de Guinée), pourrait également aboutir, à travers le point d’appui libyen, à la création d’une ouverture sur la Méditerranée.

Le Qatar développe une stratégie singulière : ayant considérablement renforcé ses positions en Libye relativement aux ressources énergétiques, il aspire à étendre son influence au Sahel (Mauritanie et Mali) en s’appuyant sur les groupes islamistes. Quelle stratégie sous-tend cette orientation ? Le Qatar abrite approximativement 15 % des réserves prouvées de gaz. Si l’on additionne la Russie et l’Iran, ces trois Etats détiendraient 60% des réserves prouvées à l’échelle mondiale. En aspirant à étendre son emprise sur le Moyen-Orient (Syrie) et sur le Sahara (Libye, Sahel et demain l’Algérie sur laquelle plane la menace d’une révolution arabe soutenue par Doha), le Qatar, de concert avec les États-Unis, vise à couper l’Europe de la Russie (principal fournisseur de gaz des Européens) et à se substituer à Moscou et à Alger. Les ressources minières de la zone créent une rude compétition entre les acteurs. Des accusations sont portées contre les uns ou les autres pour des calculs d’inspiration hégémonique. Ces controverses entretiennent dans la région une atmosphère trouble.
Enfin, selon des lignes historiques, nous assistons à une nouvelle poussée de l’Islam radical s’opposant à la domination occidentale dans la droite ligne des anciens empires musulmans du XIXème siècle tels que l’empire Toucouleur ou l’empire de Sokoto. Ainsi, derrière l’émergence de certains groupes terroristes se cacherait la volonté de certaines puissances musulmanes de favoriser la reconstruction des anciens Etats historiques pré-coloniaux dominés par l’islam.

Un voisinage stratégique fragmenté et menaçant

Dans ce contexte de fluidité, l’environnement maghrébin, voisinage stratégique de la Tunisie, est en profonde reconfiguration géopolitique. La Tunisie est confrontée à court terme à un ordre régional déphasé, fragmenté, marqué par des inégalités relativement aux étapes du processus démocratique et susceptible, selon l’évolution de la situation, d’aboutir à une reconfiguration de la carte régionale. Sur un fond de rivalité stratégique entre l’Algérie et le Maroc, des conflits interétatiques et intra étatiques ainsi que l’impact de l’extrémisme islamique entraînent une militarisation persistante et un état d’alerte antiterroriste permanent. Travaillé par ces forces centrifuges, cet espace ne parvient pas à trouver son point d’équilibre. La centralité du Maghreb est menacée. Pourtant, la sécurité et le développement économique et social de la Tunisie en transition démocratique sont étroitement corrélés à la future équation maghrébine. Le futur ordre maghrébin pèsera lourdement sur le tissu économique tunisien : qui s’en préoccupe sérieusement ?
Sur le plan géopolitique, la constitution d’un foyer d’instabilité durable sur notre flanc sud sahélien, le chaos libyen à l’Est et l’inconnue algérienne à l’Ouest constituent autant de menaces devant interpeller les chefs d’entreprise tunisiens et les dirigeants politiques.

La Libye, longtemps présentée comme la solution à l’ensemble des problèmes de la Tunisie, est à ce stade bien plus problématique que salvatrice. Travaillée par des forces centrifuges, elle est engagée dans un processus de refondation de l’Etat avec toutes les incertitudes relativement à son avenir en tant qu’entité souveraine. Le drame libyen n’est pas terminé. Aujourd’hui, à l’image de l’Irak, la Libye, scindée en trois entités elles-mêmes fracturées et divisées, mène une lutte acharnée pour maintenir son unité. Le pays traverse une situation de guerres régionales, tribales, claniques, religieuses et mafieuses nourrissant l’instabilité régionale et l’exposant à un risque de somalisation.
Il ne s’agit plus de se raconter des histoires. Il appartient aux opérateurs économiques tunisiens de poser le bon diagnostic. Ceci ne signifie pas pour autant que la Libye n’offre pas des opportunités. Bien au contraire. Encore faut-il savoir les saisir !

Une nouvelle relation à l’Europe

D’un autre coté, l’économie tunisienne est fortement dépendante et étroitement corrélée à l’Union Européenne. Il convient de réaménager notre relation à une Europe elle-même en mutation. Nous sommes dans une nouvelle temporalité dont il convient de saisir tous les ressorts : les opérateurs économiques tunisiens doivent plonger dans cette complexité géopolitique et géoéconomique, en saisir les dynamiques et non les subir passivement.

Quel sera l'avenir de la Tunisie si l'Europe devient une périphérie du monde? Vers quelle Europe allons-nous : élargie ou contractée, dynamique ou minée par les politiques d'austérité et les déficits criants?
D’une part, en raison de l’évolution de l’ordre mondial dans un sens polycentrique où les principaux pôles de puissance (Etats-Unis, Chine, Russie, Inde, Brésil, etc.) auront l’avantage de l’unité de décision, il est vraisemblable que l’UE s’efforce de combler cette lacune par des mécanismes institutionnels centraux qui réduisent la lenteur et la dispersion de la décision politique en évoluant vers une entité de nature supranationale.

D’autre part, dans le cadre d’une deuxième hypothèse, la crise profonde que traverse l’Europe pourrait l’amener à se restructurer autour d’un noyau dur et d’entités différenciées évoluant à des rythmes inégaux. Trop élargie, frappée par une crise inédite, l’Europe se contracterait sur elle-même. Emergerait ainsi une Europe à plusieurs foyers, marquée par de fortes différenciations où s’affirmeraient des logiques différentes mais néanmoins complémentaires. Les prémisses de cette hypothèse apparaissent peu à peu à la faveur de la crise économique menaçant la zone Euro. Là encore il convient de sortir des sentiers battus et d’innover.

Tunisie-Afrique : un nouvel horizon géopolitique


Au regard du Maroc ou de l’Egypte, nous accusons un retard certain. Cette situation est la résultante d’une posture géopolitique et géoéconomique tournant le dos à l’Afrique, continent pourtant en plein essor. C’est notre horizon stratégique ! Elle s’explique également par des préjugés ancrés dans les mentalités et par la frilosité des opérateurs privés. En géopolitique, la perception prime souvent sur la réalité des faits. Il y a là un devoir de rupture par rapport à l’imaginaire collectif et aux préjugés.

L’Afrique, certes minée par des conflits récurrents et des vulnérabilités structurelles, connaît un essor sur la scène internationale sur fond de redistribution des cartes de la puissance. Depuis les années 2000, le continent affiche une croissance moyenne de l’ordre de 5,5% qui devrait franchir la barre des 6% en 2014. Le continent se tourne vers les Amériques, l’Asie et s’ouvre aux investissements en provenance des pays du CCG, rompant progressivement le cordon ombilical avec les anciennes puissances coloniales entrées en récession économique. Au centre des rivalités planétaires, dotée de réserves énergétiques et minérales considérables, l’Afrique est convoitée et courtisée par les différents pôles de puissance, soucieux notamment de diversifier et sécuriser leurs approvisionnements en ressources stratégiques.

Certes, entre afro-optimiste et afro-pessimiste, il n’est pas aisé d’y voir clair. Néanmoins, les faits parlent d’eux-mêmes : à l’horizon 2030, le triangle formé par la Chine, l’Inde et l’Afrique, connu sous le nom de « Chindiafrique », aura transformé la face du monde. En effet, selon les projections du FMI et de la Banque Mondiale, cet espace, tout en abritant la moitié de la population mondiale, va croitre de 5 à 6 % par an et représenter 45 % du PIB mondial à l’horizon 2030. La Tunisie, pays africain, ne peut rester à la périphérie de cette dynamique structurante.

Cette situation autorise à l'avenir une certaine marge de manœuvre aux opérateurs économiques tunisiens au regard des facteurs de compétitivité et des avantages comparatifs de la Tunisie. Cela suppose néanmoins que le contexte interne s’éclaircisse garantissant aux opérateurs un retour sur risque significatif. Les opérateurs privés en sont conscients et certains sont d’ores et déjà engagés dans la bataille. Trop peu oserai-je dire ! Toutefois, parler d’Afrique comme s’il s’agissait d’une entité homogène est réducteur et simpliste : il convient d’opérer par différenciation, l’Afrique étant plurielle !

Dans ce contexte, il convient de lever l'hypothèque politique qui garantirait la sécurité des contrats et la crédibilité financière des opérateurs. Parallèlement, les opérateurs privés, UTICA ou CONNECT, devraient surmonter la passivité ou l'attentisme extrême. La prise de risque est une fonction première de tout investisseur.

En ce sens, trois orientations me paraissent capitales :

L’Etat tunisien doit élaborer une véritable stratégie à l’égard du continent africain ouvrant la voie aux opérateurs privés. En valorisant notre position géographique, il s’agit de se positionner comme voie privilégiée de pénétration vers l’Afrique. La Tunisie doit en ce sens multiplier les relations triangulaires en se dotant des structures de communication maritimes, aériennes et terrestres et des services logistiques érigeant la Tunisie en hub régional et mondial entre le Maghreb, l’Afrique, l’Asie et l’Europe. .

Parallèlement, il convient de changer les mentalités : les atouts de la Tunisie et des opérateurs économiques sont nombreux : encore faut-il développer la diplomatie économique, l’intelligence économique et l’analyse géopolitique et prospective. Nos dirigeants doivent se forger une réelle vision géopolitique et définir une stratégie pertinente de positionnement sur le marché africain. Le cap doit être fixé et la vigie, c’est-à-dire la veille stratégique identifiant des niches porteuses, développée. En appui, le réseau consulaire doit être étoffé et les dessertes aériennes directes vers les pays ciblés mises en place. Il importe également et surtout de sortir de notre zone de confort en étant offensif et agressif. Il est de coutume de dire que les habitudes ont la vie dure. Cessons de croire qu’il n’y a pas d’argent et d’opportunités en Afrique. Certes, il y a des risques qu’il convient de mesurer et d’anticiper. Ces derniers ne doivent aucunement justifier l’inertie et la frilosité. A titre illustratif, recevoir en stage de jeunes diplômés africains au sein d’entreprises tunisiennes pourrait constituer pour celles-ci un puissant levier de pénétration vers le continent car créant des liens et permettant aux dirigeants tunisiens de mieux appréhender la culture africaine à laquelle ils seront confrontés. L’Afrique fonctionne selon une grammaire singulière et des logiques et rythmes qu’il convient de cerner. Il s’agit en définitive de transcender nos schémas mentaux et d’apprendre à penser autrement ;

La Tunisie bénéficie d’un capital de sympathie, de compétences et de savoir-faire dans de nombreux secteurs en essor en Afrique. Les entreprises tunisiennes et l’Etat pourraient viser les secteurs suivants : l’éducation (scolarisation, formation, accueil d’étudiants africains, etc.), la santé, les infrastructures, les NTIC, les services, l’agroalimentaire, la lutte contre la désertification, les énergies renouvelables, l’assistance à la mise en place d’une administration efficace, la formation de militaires et de policiers, la valorisation de l’énergie solaire, etc.

Une cellule d’études et de recherches stratégiques, de veille, de prospective et d’anticipation axée sur le continent africain et l’intelligence économique devrait être créée.

Il convient avant tout de penser global et d’agir local. Néanmoins, ouverture, pragmatisme, efficacité et réussite dictent une solide connaissance des réalités africaines, donc de l’histoire et de la géographie des pays ciblés. Là est tout l’intérêt d’analyses géopolitiques, géoéconomiques et prospectives. La géopolitique, c’est la connaissance de l’autre, c’est être en mesure de cerner les subtilités de la vie locale et donc des opportunités économiques.

Il suffit de voir ce que font les Marocains. Ils nous ont supplantés depuis longtemps. En Tunisie, nous souffrons d’un profond déficit en matière de réflexion stratégique, géopolitique, géoéconomique et prospective. C’est abyssal ! Peu d’attention est accordée à ces disciplines pourtant au cœur de toute stratégie de pénétration et de positionnement au sein d’un marché. Or, il y a urgence. Plus le temps passe et plus nous payerons lourdement cette lacune.
L'étude géopolitique d'une zone révèlera à une entreprise la personnalité stratégique de cet espace, ses enjeux, les dynamiques qui le structurent et ainsi les risques mais aussi les opportunités qu'il projette. L'analyse géopolitique, grille de lecture devenue incontournable afin de déchiffrer les enjeux régionaux et internationaux, constitue un outil managérial d'aide à la décision stratégique en environnement fortement incertain. Il s'agit de comprendre, de distinguer le structurel du conjoncturel afin de mieux agir et d'optimiser ses process.

Sans anticipation, toute entreprise, quelle que soit sa taille, hypothèque son avenir, sa compétitivité, ses performances, voire sa survie par une dilution de l'action dans la gestion quotidienne. Cessons de fuir nos responsabilités de dirigeants et de chefs en arguant que nous ne pouvions pas faire autrement : l'avenir se construit, il ne doit pas être subi dans la torpeur : ouvrons les yeux sur cette nouvelle réalité et cessons de nous dérober !


« Une citadelle imprenable est une citadelle mal attaquée »

*géopoliticien, spécialiste des méthodologies de la prospective et Directeur du Cabinet Global Prospect Intelligence
07/05/2014 | 1
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