Selma Elloumi ressuscite la Pravda pour les beaux yeux de Béji Caïd Essebsi
C’est un des très rares acquis depuis la révolution et il est en voie d’être menacé par le comportement anachronique, immature et irresponsable de la nouvelle cheffe de cabinet du président de la République Selma Elloumi. L’acquis en question est la liberté d’expression et la menace réside en ces pages et ces sites web anonymes qu’elle fait diriger via quelques uns de ses conseillers.
Ces pages Facebook et sites internet ont été créés entre les années 2012 et 2014 et servaient à appuyer la candidature de Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes. Ils ont été plus ou moins mis en veilleuse à partir de 2015 sauf pour redorer le blason de Selma Elloumi, à l’époque ministre du Tourisme. Pas toujours, car parfois ces pages et ces sites anonymes peuvent être utilisés pour attaquer et dénigrer quelques opposants politiques ou certains médias « coupables » de chercher un peu trop de poux dans les cheveux de madame la ministre.
Nommée fin octobre au palais de Carthage, Selma Elloumi a rapidement ramené avec elle ses poulains, gestionnaires de pages. Ils ont été officiellement nommés conseillers au palais et leur mission réelle était assez énigmatique.
Ce que l’on sait déjà, c’est que dans les coulisses, les conseillers en question, tout comme leur supérieure, alternent les menaces à peine voilées et les reproches aux journalistes et leurs proches qui osent évoquer le sujet. Cela peut monter jusqu’aux dirigeants de médias, voire les actionnaires eux-mêmes.
Vendredi 28 décembre 2018, on découvre la mission attribuée par Selma Elloumi à ses protégés : jouer de la brosse à reluire pour le président de la République. La méthode a beau être éculée et balayée depuis des décennies dans les pays développés, Mme la cheffe de cabinet ne semble pas le savoir. Son idée du journalisme est restée figée dans les années 1970.
Ainsi, et pour ce vendredi 28 décembre, on découvre un long article anonyme dans cette page sponsorisée (en devises) « Tunisia Success » chantant les louanges de Béji Caïd Essebsi, dans les mêmes termes qu’utilisaient autrefois le quotidien du PSD « L’Action » ou encore « La Pravda » soviétique. Le sujet est l’atterrissage du premier avion arrivant de Syrie depuis 8 ans. A lire l’article, c’est grâce à une « décision politique et souveraine du président de la République Béji Caïd Essebsi » que cet avion a atterri. D’après des sources dignes de foi de « Tunisia Success », c’est le chef de l’Etat « qui a donné son accord pour ce vol, au vu de la sensibilité du sujet et son impact diplomatique et il a veillé à ce que le vol se fasse dans de bonnes conditions ».
Les auteurs anonymes (pas si anonymes que cela), savent-ils que le président de la République n’a pas les prérogatives nécessaires pour donner un tel accord et que c’est du ressort exclusif du ministre du Transport ? Savent-ils que le président de la République n’est ni un commandant de bord, ni un steward pour veiller au bon déroulement d’un vol Damas-Monastir ? Savent-ils que par un tel article, ils ternissent l’image du président de la République et renvoient la Tunisie et sa presse à quarante ans en arrière ? Savent-ils que le niveau des médias tunisiens, déjà loin d’être bon et conforme aux attentes des Tunisiens, est tiré d’un coup vers le bas par ce genre d’articles car le grand public ne fait hélas pas la différence entre un média réel derrière lequel se trouve une véritable entreprise de presse et un média de propagande derrière lequel se trouvent des anonymes ?
Le sujet de ces pages et sites anonymes dirigés directement depuis le palais de Carthage allait être évoqué aujourd’hui même au président de la République au cours d’une réunion programmée avec les membres du bureau directeur de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux. La réunion a été reportée à la dernière minute vu les tensions sociales actuellement en Tunisie.
Alors que la planète entière est en train de combattre les « fake news » et les pages anonymes sur les réseaux sociaux, d’élaborer des législations parfois liberticides y compris dans les pays démocratiques pour préserver les véritables médias et les journalistes de ce fléau menaçant gravement la démocratie et la liberté d’expression, il est anormal que la présidence de la République soit derrière de tels agissements. Et il n’y a que Béji Caïd Essebsi qui peut mettre le holà à ce comportement dangereux d’autant plus que sa cheffe de cabinet fait tout à fait le contraire de ce qu’elle prétend.
N.B.